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Théologie du protestantisme

 

Je me suis interrogé sur le titre de ce livre. Devais-je écrire « théologie » et « protestantisme » au singulier ou au pluriel ? Il y a de nombreuses théologies protestantes ; elles sont différentes, parfois incompatibles, et on ne peut pas sérieusement prétendre les ramener à l’unité.

 Protestantisme

Le protestantisme présente de multiples visages. Entre certains d’entre eux, on a de la peine à discerner une quelconque ressemblance qui leur conférerait un « air de famille » si vague soit-il. Cette extrême diversité, il faut la reconnaître. Bien souvent, dans des rencontres, des commissions, des tables rondes, des interviews, j’ai dû préciser que je n’y représentais pas le protestantisme, mais un protestantisme, que je n’allais pas exprimer la position protestante, mais celle d’un protestant et qu’on trouverait sans peine des personnalités et des textes protestants en désaccord voire en opposition avec ce que j’allais dire.

En dépit de tout ce qui plaide pour le pluriel, j’ai cependant opté pour le singulier, car il rend bien compte de l’intention et du dessein qui ont présidé à la longue élaboration de cet ouvrage. Il ne cherche ni à présenter une histoire de la théologie protestante ni à dresser un tableau de sa situation actuelle. Son projet est autre. Tout en ayant conscience qu’il s’agit là d’une ambition à la fois risquée et prétentieuse, j’ai voulu dégager quelques logiques et quelques thèmes qui sous-tendent, traversent et structurent, au moins partiellement, l’ensemble apparemment flou, nébuleux, discordant de la théologie protestante. Elle n’est certainement pas réductible à quelques éléments admis par tous ; elle n’est ni unifiée ni unifiable (et tant mieux). Je ne pense cependant pas que son éclatement suffise à la caractériser et dispense d’un effort de définition. Il ne s’agit pas d’atténuer ou de dissimuler sa pluralité, mais de l’organiser. Ses divergences s’inscrivent au sein de problématiques dont il m’a paru possible de dessiner les contours. L’identité du protestantisme consiste tout autant, à mon sens, en une communauté de débats conflictuels qu’en un ensemble de positions identiques.

Dans une page de son livre La nature de la doctrine (publié chez Van Dieren), l’américain George Lindbeck compare une religion à une langue (tel que l’anglais, l’allemand, l’italien). Une langue comprend, d’une part une grammaire, d’autre part un vocabulaire, qui permettent de construire quantité de discours. Une abondante littérature, hétéroclite, disparate, contradictoire, utilise la même syntaxe et un lexique commun. Lindbeck se sert également de l’image d’un jeu de société, par exemple le bridge, qui comporte un ensemble de cartes et des règles d’utilisation. Pour reprendre ces métaphores, ce livre cherche à clarifier les notions (lexique ou cartes du jeu) et à dégager la grammaire (syntaxe ou règles du jeu) qui conduisent à des argumentations et des positions diverses, parfois discordantes.

  Théologie

Le terme de « théologie » demande une brève explication. Il associe deux mots grecs, theos qui veut dire Dieu et logos qui signifie parole, science ou raisonnement. Par théologie, j’entends la manière dont on vit et dont on comprend sa relation avec Dieu (ou avec l’ultime, si on préfère éviter le terme « Dieu » à cause des malentendus et des contresens qu’il comporte). Dans le cas du christianisme, cette relation passe par Jésus le Christ et se nourrit de la Bible. Elle s’entretient et se prolonge dans un groupe social ou communautaire que nous appelons « Église ». Le protestantisme a aussi une réalité historique et sociologique, il a également une dimension éthique et politique. Son histoire lui a donné une physionomie particulière, lui a inculqué des habitudes et des réflexes. Je ne me suis guère arrêté sur ces divers aspects et me suis concentré sur ce qui, à mes yeux, est le plus central : la théologie.

Ma démarche reprend, en les développant, les précisant, les détaillant et les approfondissant, les étapes esquissées dans ma petite brochure Les grands principes du protestantisme. Après une première partie sur « Réforme et protestantisme » (qu’on confond trop souvent ; ce n’est pas la même chose), la deuxième porte sur la Bible : comment en comprendre l’autorité ? À quoi s’applique-t-elle exactement et quelles en sont les limites ? Comment la concilier avec la critique historique ? La troisième partie traite de notions essentielles, mais devenues aujourd’hui lointaines, étrangères étrangères, difficiles à bien saisir : la foi, la grâce et le salut. La quatrième partie porte sur l’Église, les ministères, le culte et les sacrements ; il y a là d’importantes pommes de discorde. Le chapitre final caractérise « l’esprit » du protestantisme en cinq propositions : « Dieu seul est Dieu » ; « je suis devant Dieu » ; « Dieu me parle dans la Bible » (et non « la Bible est parole de Dieu ») ; « Dieu libère » ; « Dieu fait surgir du nouveau ». Sur chaque thème, les divergences, parfois grandes, entre luthériens, réformés, radicaux et aussi entre classiques et modernes, sont situées et explicitées. Des références nombreuses aux grands textes du protestantisme, depuis ses débuts jusqu’à aujourd’hui, jalonnent les analyses. Ces textes sont indicatifs, et ne jouent pas un rôle normatif. Beaucoup le disent clairement, et de toute manière, une Église réformée est par définition semper reformanda, non pas figée dans son passé, mais tournée vers un avenir et constamment en évolution.

 Un cheminement

Il existe incontestablement un écart entre les principes du protestantisme et sa réalité concrète. Ce n’est pas une originalité : les catholiques ne sont pas non plus totalement fidèles à ce qu’ils croient et professent ; dans un autre domaine, les idéaux du socialisme ont été mal incarnés dans les États ou dans les politiques qui s’en réclamaient. Je n’ai pas cherché à dire ce que les protestants sont en fait, mais ce qu’ils sont appelés à être. J’essaie de définir un « type-idéal » (au sens de M. Weber) et non de décrire ce qui existe dans les faits, même si j’en tiens le plus grand compte. Il est clair que les protestants ont besoin d’être protestantisés et que parfois leurs propres principes sont mieux compris et mieux mis en application chez d’autres.

Que nous protestants (moi le premier) ne soyons pas à la hauteur de notre message (ou de notre « vocation ») ne fait aucun doute. Ce constat ne me pousse cependant ni à la morosité ni à la déploration. D’abord, parce que l’Évangile annonce que les croyants sont des pécheurs pardonnés ; ils restent toujours indignes, même si Dieu les accepte et les reçoit. Ensuite parce que le christianisme, tel que je le comprends, est un chemin, non un état ; ne le comparons pas à un édifice mais à une route sur laquelle on avance plus ou moins difficilement (parfois on recule). Marcher sur cette route, même quand on claudique et qu’on se traîne, remplit de reconnaissance et donne du courage. L’essentiel ne se situe pas dans ce que nous sommes et ce que nous faisons, mais dans ce que Dieu nous appelle à être et à faire – autrement dit dans ce qu’il est pour nous et ce qu’il fait en nous. L’important, la « seule chose nécessaire », c’est que sa parole et son esprit nous interpellent, nous travaillent, nous déplacent, nous mobilisent et nous transforment.

 André Gounelle, Théologie du protestantisme, Paris, Van Dieren Éditeur, isbn 978-2-37466-023-3 • 422 pages, 25 €

 

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À propos André Gounelle

est pasteur, professeur honoraire de l’Institut Protestant de Théologie (Montpellier), auteur de nombreux livres, collaborateur depuis 50 ans d’Évangile et liberté.

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