Qu’est-ce que la vérité ? Jn 18,28 à 19,16

L’année 2021 s’est ouverte en fanfare, voyant pour la première fois dans l’histoire un président américain privé de ses comptes Tweeter, Facebook etc. Mark Zuckerberg, PDG du réseau social numérique Facebook a pris cette décision en la justifiant par la dangerosité des propos mensongers de Donald Trump. Il y a donc une limite aux fake news qu’une personne, même politique, peut divulguer.

Cette situation inédite m’a fait penser au récit que fait l’évangéliste Jean de la rencontre entre Jésus et Ponce Pilate, gouverneur romain. Dans ce récit, faisant face à la foule vitupérante et partisane, Ponce Pilate a vraisemblablement décidé de s’en laver les mains, ne donnant aucune réponse à la question qu’il pose : « qu’est-ce que la vérité ? ». Les PDG des réseaux numériques ont, eux, donné leur réponse. Donald Trump aussi, en multipliant les exécutions capitales. Ce ne sont pas moins de treize exécutions qui ont eu lieu lors des six derniers mois de son mandat, sous une administration qui semblait vouloir rompre avec la tradition de la grâce présidentielle. Ces mises à mort ont sonné comme un écho macabre au procès de Jésus.

Mais le sujet qui m’intéresse ici est celui de la vérité. Car ne pas se risquer à édicter une vérité définitive me semble être parfois une posture intéressante, même si elle a mauvaise presse. Pilate a longtemps été le méchant de l’histoire et on a certes beaucoup glosé sur sa lâcheté dans l’affaire, mais son attitude dit peut-être également le renoncement à saisir ce qui ne peut jamais l’être, ce qui justement n’est pas entre nos mains : la vérité. Et le jugement ultime de la vie d’une personne. Dans l’affaire, on aurait peut-être préféré que ce soit Barabbas le condamné, plutôt que Jésus. L’information, « c’était un brigand », suffit à nous convaincre, nous épargnant l’inconfort du doute. Mais finalement, qui mérite une telle condamnation ?

« Qu’est-ce que la vérité ? » cette question de Pilate, lancée comme une balle, n’a pas vocation à trouver de réponse définitive. Bien sûr, il faut risquer quelques réponses. Individuelles, collectives aussi. Mais, comme l’explique le théologien américain Langdon Gilkey, on se doit de tenir à la fois l’absolu et le relatif. L’absolu de ce qui constitue, pour soi-même, la vérité. Et le relatif qui permet d’entendre la vérité de l’autre, différente et parfois carrément opposée à la mienne. Pour entrer en dialogue, il faut bien se tenir quelque part, s’appuyer sur quelque chose voire sur quelqu’un. Il en va même d’une certaine responsabilité à laquelle nous ne pouvons nous soustraire : « Prenez-le vous-même et jugez-le selon votre loi », annonce d’ailleurs Pilate aux religieux qui lui amènent Jésus. Pour autant, il faut également être capable de quitter sa citadelle pour aller rencontrer l’absolu de l’autre. Entrevoir ne serait-ce qu’un instant la possibilité que l’autre puisse aussi dire quelque chose de la vérité. Une sorte de doute positif. Une posture d’équilibriste, je vous l’accorde, mais qui évite les clivages !

On ne peut pas la laisser de côté, cette question : « qu’est-ce que la vérité ? » Elle est vitale. Elle nous met en mouvement. Et quand Jésus dit « rendre témoignage à la vérité », cela ne signifie pas partir en croisade, être pour ou contre, ni même savoir ce qui est bon. Je crois que c’est justement se tenir sur ce seuil du dialogue, de la recherche commune, de l’élan qui ouvrira des voies nouvelles. D’ailleurs, vous aurez remarqué que lui non plus ne donne pas de réponse, il invite simplement à l’écoute !

« La fidélité ne consiste pas à conserver les cendres, mais à entretenir une flamme », a dit Jean Jaurès. En la matière, permettez-moi de traduire : la fidélité à l’Évangile ne consiste pas à mettre en boîte une vérité intouchable et bien délimitée, mais à poursuivre sans relâche la quête d’une réponse à cette question brûlante : « Qu’est-ce que la vérité ? »

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