Jean Calvin, Henri IV, Marie Durand, Michel Rocard dans un même sommaire, cela ne laisse aucun doute sur le sujet du livre : le protestantisme. Rassurez-vous, ce n’est pas un livre de plus sur les stars du protestantisme, mais un travail personnel de Frédérick Casadesus qui nous fait accéder à une histoire de France qui prend des couleurs parpaillotes et à des figures illustres qui se trouvent rajeunies ou qui sortent de l’ombre.
Si Ferdinand Buisson parle à ceux qui s’intéressent à la laïcité, qui connaît Théophraste Renaudot (1586-1653), alors qu’il peut être considéré comme le père du journalisme ? C’est lui qui fonde l’hebdomadaire La Gazette en 1631. L’auteur nous fait vivre les balbutiements du journalisme dans une monarchie absolue. Est-ce seulement possible ? Oui, en raison même de sa formation protestante qui a forgé son goût pour la vérité, une vérité qui ne saurait être la répétition docile de ce que Richelieu lui fait savoir, car il faut rassembler différentes sources, les évaluer, avant de s’exprimer. C’est en sa mémoire que sera créé le prix Renaudot en 1926.
Le baron Hausmann (1809-1891) évoque un personnage sans fantaisie, transformant les villes en paradis pour le pouvoir qui n’aura plus à craindre les rebellions qui se vivent dans les venelles où le canon ne peut pas donner. D’ailleurs, l’auteur y voit la marque de son protestantisme : travail bien fait, discipline. Mais il nous explique qu’il n’y a pas que cela dans l’oeuvre du préfet de la Seine. L’hygiène, la sécurité des parisiens et la misère sont également en jeu, et on ne transige pas avec cela. Les chambres de bonnes du dernier étage peuvent faire sourire, jusqu’à ce qu’on prenne conscience de l’importance d’une chambre individuelle pour des personnes qui s’entassaient avec les autres dans de véritables cloaques.
On sait de Jean Zay (1904-1944) qu’il est désormais au Panthéon. Il a donc été un grand Homme. Député à 27 ans, il devient ministre de l’Éducation nationale sous Léon Blum. Cela lui vaut quelques mots d’amour parmi lesquels « M. Jean Zay, un juif (sic), a entre les mains l’avenir vivant de ce pays. Il peut en pétrir à sa guise, à sa mode, la matière et l’esprit ». Précisément, il ne cherche pas à imposer quoi que ce soit, mais à rendre le savoir disponible, partageable, pour tous, sans restriction. Favoriser la culture, cela le conduira « à inaugurer une manifestation cinématographique étonnante : un festival, à Cannes ». C’est aussi une manière de lutter contre le totalitarisme qui prend de l’ampleur en Europe. En 1939 il s’engage pour le front, rejoint Bordeaux au début de l’été 40 pour y être avec les députés, ce qui lui vaudra d’être arrêté par le nouveau pouvoir. Il sera exécuté en juin 44.
Et puis il y a Godard, ouf ! Un Monod car, sans un Monod, ce livre n’aurait été qu’une vaste plaisanterie. Tout commence par cet accident à l’angle de la rue d’Assas et de la rue de Rennes (on ne devrait jamais quitter ce pâté de maison). C’est dans les veines bibliques et les méandres de ces textes pleins de rebondissement, de haine farouche de l’hypocrisie, que Frédérick Casadesus trouve les ressorts de Godard et la part du protestantisme dans la création d’un cinéma qui « veut renverser la tables de convenances afin d’atteindre une vérité que la morale sociale à ses yeux ne fait que trahir ». Pour cela, il se fait iconoclaste.
Il y a aussi Marguerite de Navarre, Germaine de Staël, François Guizot et puis l’écriture de Frédérick Casadesus, gourmande, joyeuse, généreuse, qui n’esquive pas pour autant les parts d’ombre qui ne sont pas pardonnables. Il y a aussi tous ceux qui manquent. Il faut espérer qu’il y aura les autres, ceux qui feront la France, demain, dans les années à venir.
Frédérick Casadesus, Douze protestants qui ont fait la France, Paris, Cerf, 2019.
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