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Habiter le monde

 

Licencié pour détournement de fonds de son Église, Johanes déclare : « Que Dieu, s’il vous voit vous bénisse », un dimanche matin, lors de sa dernière prédication sur le thème de la transmission. Reconnaissant ses propres fautes, la perte de sa foi et même son impossibilité de prier, il s’effondre en acceptant la condamnation de ses propres paroissiens. Si le thème conducteur du roman est la vie de Paul, son fils, le monde de la Réforme, parfaitement connu de Dubois, doit aussi être pris en compte pour apprécier cette oeuvre. Dès le début du récit, on comprend que Paul, ancien intendant d’une résidence, n’habite pas le monde de façon heureuse. À l’âge de 53 ans, il purge une peine criminelle dans un pénitencier. Une situation d’enfermement, thème récurrent dans les romans de Dubois, qu’il vit en partageant sa cellule avec Patrick Horton, codétenu brutal, mais attachant. Pourtant, Paul ne semble ni souffrir de cette situation, ni regretter l’acte à l’origine de cet enfermement. Ayant connu de grands moments de bonheur, il avait déjà tout perdu. Cet enfermement lui permettra néanmoins, le lecteur ne peut que l’espérer, de redonner un sens à sa vie dans d’autres lieux.

Pour expliquer l’intrigue, Jean-Paul Dubois intercale scènes de prison et scènes de la vie de Paul. Petit à petit, une double histoire se construit, éthique avec Paul et spirituelle avec Johanes. Si Paul n’a pas suivi son père sur le chemin de sa foi, son éducation n’est pas étrangère à l’abnégation « accomplir des tâches ingrates avec sérieux est conforme à l’esprit de la Réforme ». Paul a ainsi été nourri de spiritualité pendant toute sa jeunesse sans pour autant ouvrir la Bible. Détail croustillant, une citation du journal d’André Gide : « Je ne suis qu’un petit garçon qui s’amuse doublé d’un pasteur protestant qui l’ennuie ». Réalisant que son fils avait honte de son ministère, Johanes l’avait inscrite sur un petit mot déposé sur son bureau d’écolier. « Humble, doux et patient », Paul est un être devenu solitaire. Ces valeurs lui sont personnelles et ne sont pas uniquement des mots. Paul a toujours vécu ainsi en se satisfaisant de peu de choses et se mettant au service des autres en tant que « superintendant, confesseur, psychologue, honorable gardien d’un petit Temple ». Sans être pasteur, il aime simplement son prochain, des copropriétaires qui vieillissent, meurent dans ses bras ou se perdent en chemise de nuit par un froid de voleur. Après avoir goûté au bonheur, les êtres aimés de Paul décèdent les uns après les autres. Dans sa cellule, ce sont des esprits qui viennent à sa rencontre et lui tiennent compagnie.

Quant à son père, Johanes, sa personnalité est particulièrement attachante. Né dans une famille danoise non pratiquante, il se convertit en découvrant une église ensablée de Skagen. Devenu pasteur, la perfection de la foi demeure le pilier de sa pratique et de ses prédications. Ensuite, bien qu’ayant perdu sa foi, il poursuivra son ministère à Toulouse puis au Canada. Imaginer un pasteur perdre sa foi est troublant mais tellement possible. J’avoue que je n’avais imaginé un pasteur dans une telle situation. Mais pourquoi pas ? Et quelle importance ? Si la foi est liée à la révélation, cette révélation est à géométrie variable et commence par le souffle. Avant la foi, n’y-a-t-il pas la grâce ? D’ailleurs, Johanes parle de plus en plus de la foi en y incluant la dimension du doute. Ses prédications se transforment en un enseignement subversif en connivence avec son organiste qui, avec humour et à propos, choisit la musique en fonction de ses humeurs. À mon sens, Johanes est certes un pasteur antihéros de la foi, mais je lui aurais rappelé que la grâce est donnée sans condition. Par rapport à la transmission de génération en génération, thème de sa dernière prédication, j’y vois aussi un signe. Acceptant son bonheur perdu, il fera retour à ses racines en s’installant dans la quiétude de Skagen. N’est-ce pas une forme de transmission dans le cycle de la vie compatible avec notre foi et pratique ?

  Jean-Paul Dubois, Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon, Paris, éditions de l’Olivier, 2019.

 

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À propos Claude Riffé

est juriste et chargée de veille documentaire dans un cabinet d’avocats d’affaires francilien. Née de parents dont la religion était juive et catholique, elle a trouvé sa propre voie au sein du protestantisme. Elle a longtemps été engagée dans diverses activités catéchétiques (Église protestante unie de Pentemont Luxembourg) et culturelles (Oratoire du Louvre)

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