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Où est-il, ton Dieu ?

 

La présence autour de moi de proches et d’amis qui pensent et vivent paisiblement leur existence sans référence à Dieu continue de m’interroger depuis de longues années : pourquoi continué-je personnellement à croire en Dieu ? Avec certains d’entre eux, j’ai partagé autrefois des convictions chrétiennes, puis ils s’en sont lentement éloignés et ils ont tiré définitivement l’échelle. Qu’est-ce qui nous différencie ? Nous avons le souci identique de ne pas mener une vie de somnambule, d’automate et de girouette. Nous partageons les mêmes valeurs d’humanisme que nous nous efforçons tant bien que mal de pratiquer au quotidien : nous essayons d’accueillir autrui dans sa singularité, de l’écouter, de l’accompagner dans les passes difficiles qu’il peut traverser. Nous acceptons de prendre des responsabilités pour le bien commun ; ainsi, quand il y a trois ans il a fallu dans ma commune envisager de recevoir une famille de migrants, c’est ensemble que nous nous sommes mobilisés pour créer de bonnes conditions d’accueil, et cette expérience de solidarité a resserré les liens entre nous… Bref, je suis frappé de constater que notre façon d’exister humainement n’est pas bien différente. Nous ne sommes ni plus humains ni moins humains du fait que nous croyons ou pas en Dieu. Mais alors, me rétorquerez-vous, à quoi ça te sert de croire en Dieu ? Qu’est-ce que ça t’apporte ? Rien en vérité qui me qualifie davantage en humanité. Je ne suis pas plus que vous dispensé de chercher ma route, protégé des inévitables épreuves de l’existence, éclairé d’emblée sur les choix à faire. Je n’ai pas de solutions toutes faites, je peux errer, hésiter, douter.

Je vous entends me presser : dis-nous, précisément, qu’est-ce qui te fait croire en Dieu ? Avant tout, je dois vous dire que je ne crois plus en un Dieu tout-puissant, créateur du ciel et de la terre, qui ferait la pluie et le beau temps, en un Dieu créateur de l’homme à son image et à sa ressemblance, en un Dieu consolateur de nos misères qu’il pourrait nous alléger dès cette terre, si nous le lui demandons, en un Dieu paratonnerre protecteur en échange du culte qu’on lui rend, en un Dieu qui aurait confié aux religions le soin d’interpréter ses volontés et de les faire respecter. Je ne crois pas au Dieu dont la voix retentit à travers le ciel ouvert, au Dieu qui conduit en sous-main l’histoire, je ne crois pas au Dieu qui sacrifie son Fils bien-aimé pour que les hommes pécheurs soient réconciliés avec lui, je ne crois pas au Dieu qui se joue des lois qui régissent le monde et les humains… Ces représentations de Dieu me paraissent indignes de l’homme, car elles le déresponsabilisent. La représentation de Dieu qui est crédible à mes yeux, je la tire d’un questionnement qui m’habite depuis longtemps dans l’invention quotidienne de ma vie. Comme vous, j’essaie de la conduire en tâchant de vivre vrai, car j’expérimente que là est la vraie vie. Mais en même temps je n’échappe pas aux sirènes qui m’invitent à emprunter la pente de la facilité, de l’égocentrisme, du renoncement. Je vis un tiraillement. Ce qui m’étonne, c’est qu’en dépit des sinuosités de mon existence, je constate que j’ai progressé en humanité au long des années. Mes choix se sont révélés féconds, les épreuves que j’ai traversées m’ont appris, non sans douleur parfois, à consentir et à m’approprier la réalité, avec en prime une maturation inespérée ; la paix qui m’habite en profondeur n’est pas altérée par les houles de surface. J’en arrive à ma question permanente : comment se fait-il que malgré tous les obstacles intérieurs et extérieurs, j’ai pu, malgré tout, advenir à une qualité d’humanité que j’ignorais il y a soixante ans ? Je reconnais m’être efforcé d’obéir à une exigence intime d’ouverture, de dépassement, de probité, de lucidité, de ressourcement. Mais d’où vient cette inspiration si pressante ?

Je fais mienne la réponse de Marcel Légaut. Il appelait cette inspiration « motion intérieure » et y lisait les traces en lui d’une « action qui n’est pas que de lui, mais qui ne saurait être menée sans lui ». Il en concluait qu’on pouvait « appeler cette action qui opère en soi l’action de Dieu sans nullement se donner de Dieu – et même en s’y refusant – une représentation bien définie comme celles dont par le passé les hommes ont usé si spontanément et si puérilement. » Bien entendu, cette prise de position n’est en rien une preuve, mais l’interprétation croyante d’une expérience de « transcendance » commune à tous les humains, cette capacité qu’a l’homme de vivre à un niveau éminent de profondeur, d’authenticité, d’ouverture à autrui, de don de soi-même. Cette capacité, j’imagine que vous, mes amis athées, l’expliquez par les propres ressources dont dispose l’homme, ressources cachées et si souvent méconnues auxquelles il a peine à croire tant elles sont peu exploitées. Mais le mystère demeure. Pascal le rappelle : « L’homme passe infiniment l’homme. » Comment rendre compte de cette étonnante expérience ?

Suis-je éloigné de l’expérience qu’avait Jésus de son Dieu ? Je ne le pense pas. Certes Jésus s’exprimait dans la culture de son temps. Il se représentait Dieu comme un Père qui est aux cieux, qui donne généreusement du pain à ceux qui l’en prient, et qui est sur le point de faire advenir définitivement son règne sur le monde en catapultant d’un coup les forces de mort. Cette représentation ne peut être la mienne aujourd’hui. Mais si nos représentations divergent, nos expériences de Dieu convergent-elles ou non ? Jésus vivait en intimité avec son Dieu en présence duquel il aimait se recueillir solitairement N’est-ce pas en ces moments qu’il se ressourçait en force intérieure, en approfondissement de ses engagements, en fidélité à sa mission ? Par ailleurs, le critère de fidélité de Jésus à son Dieu était son investissement dans sa pratique de libération, en paroles et en actes, au bénéfice des marginalisés, des exclus, et des victimes de toutes sortes de déshumanisation. Jésus se situait ainsi vigoureusement dans la ligne des prophètes qui répétaient à longueur de siècles : le vrai culte rendu à Dieu est « que le droit jaillisse comme les eaux et la justice comme un torrent intarissable » (Amos 5, 24-25). Jésus a poussé à l’extrême cette logique en mettant sur le même pied les deux grands commandements : aimer Dieu et aimer son prochain (Mc 12, 28-34), ce qui a fait dire à l’auteur de la première lettre de Saint-Jean : « Celui qui n’aime pas son frère qu’il voit ne peut aimer Dieu qu’il ne voit pas » (4, 20). Tel est pour moi, disciple de Jésus, le cœur du christianisme. Sans que je puisse me le représenter, il est appel constant à maintenir en mon être l’ouverture qui empêche ma vie de se cadenasser, de se rapetisser, de s’enfermer, de s’aseptiser, de s’endormir, de se clôturer. Cet appel, je tâche de l’entendre au travers des mille sollicitations des événements quotidiens. Parfois je suis sourd, mais l’exigence revient et je m’efforce tant bien que mal de la traduire en actes. C’est là le grand exercice vital de mon existence. C’est la voie de la vie. Je l’expérimente comme tel.

Au fond, mes amis, ce qui nous différencie, c’est la manière dont nous nommons ce qui nous inspire communément, au plus intime. Le plus important reste cette expérience d’humanisation vers laquelle nous tendons tous et sur la voie de laquelle nous nous accompagnons. Dans le respect du sens que chacun donne à son cheminement, poursuivons ensemble la seule aventure qui vaille, celle de grandir en humanité et de participer à l’humanisation de notre monde.

 

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À propos Jacques Musset

a été successivement aumônier de lycée, animateur de groupes bibliques, formateur à l’accompagnement des malades en milieu hospitalier. Il a écrit plusieurs livres sur l’aventure spirituelle et chrétienne.

Un commentaire

  1. georgescasenave@gmail.com'

    Magnifique
    Vous avez exprimé simplement mais clairement ce que je ressent sans pouvoir le formuler
    Merci

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