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L’amour, la soif et la mort

 

Je me suis incarné dans un pays de sécheresse. Il fallait non seulement que je naisse là où la soif exerçait son règne, mais aussi que sévisse la chaleur. » Au moment même où la canicule sur les pays du Nord nous rappelle le soleil brûlant sur Jérusalem, Amélie Nothomb nous propose le livre de sa vie. En effet, sous un titre aussi bref qu’énigmatique, Nothomb ose se rapprocher de manière presque impudique de la figure qui l’intrigue depuis sa plus tendre enfance, Jésus. En se glissant sous sa peau comme seul peut le faire un écrivain, parfaitement libre, elle désire partager sa compréhension de Jésus, fils de Dieu, qui contrairement à son père, incarne ce qui rend l’homme pleinement humain, ce qui le rend présent : l’amour, la soif et la mort. Parce que Jésus, contrairement à dieu, a un corps. Parce qu’il est corps.

Jésus, selon Nothomb, est la plus parfaite incarnation, si bien que le corps exalte et souffre de manière à sombrer dans une sorte de semi-conscience qui permet de revisiter les rencontres faites, les paroles prononcées, les gestes offerts. Ainsi, les mariés de Cana, Madeleine, Marie, Joseph, Pierre et Judas mais aussi ces gens de la dernière heure, accompagnent l’homme mourant jusqu’au moment de passer du temps à l’éternité.

Puis, il y a ce moment d’éternité avant même de mourir, lorsque les regards de Madeleine et Jésus se croisent et se confondent dans un faisceau de lumière. « Il (Dieu) n’a pas de corps et l’absolu de l’amour que Madeleine et moi vivons en ce moment s’élève du corps comme la musique jaillit de l’instrument. On n’apprend des vérités si fortes qu’en ayant soif, qu’en éprouvant l’amour et en mourant : trois activités qui nécessitent un corps. »

Parmi les réflexions de Jésus, celle qui porte sur le pardon des péchés mérite qu’on s’y attarde, tant elle est originale et libératrice. Pardonner est avant toute chose se pardonner, se pardonner d’avoir, dans sa colère, maudit un figuier innocent ou d’être là sur la croix… Arriver à ce stade d’humanisation lui inspirera cette parole : « Tout est accompli. » Et dans la même veine, cette réflexion qui critique une certaine compréhension de Dieu et du destin de Jésus : accepter la souffrance de la croix n’a jamais eu pour but d’expier les fautes de l’humanité, il s’agit là d’un malheureux malentendu, mais simplement de souffrir moins. D’ailleurs, le père se trompe s’il pense que faire subir une telle souffrance à son fils puisse être l’expression adéquate de son amour.

Avec ce roman, Nothomb signe un appel pressant à revisiter une théologie qui fait l’éloge de la souffrance en donnant de Dieu une image perverse et donc incompréhensible. Pour ceux qui fréquentent l’Évangile depuis longtemps, ce roman permet d’interroger ce qui est parfois devenu un savoir, plutôt qu’une connaissance profonde qui émane d’une rencontre, peau contre peau. Pour croire, croire l’Évangile, il faut s’y frotter. Il me semble que c’est ce que Nothomb a fait. « J’ai la foi » écrira Nothomb à l’avant-dernière page. Le dernier mot est « solitude ». De qui parle-telle au juste ?

Amélie Nothomb, Soif, Paris, Albin Michel, 2019, 162 pages.

 

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À propos Judith Van Vooren

est pasteure de l’Église protestante unie de Belgique. Son ministère est notamment marqué par son engagement dans le dialogue interconvictionnel. Elle a été enseignante pendant 7 ans.

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