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Il n’y a pas d’écologie chrétienne !

 

Essayons d’éviter d’emblée tout malentendu : l’auteur de ces lignes n’est pas climato-sceptique. Le péril écologique qui menace notre planète est grand, il n’a même jamais été aussi près d’engloutir l’humanité. Il est donc plus que souhaitable que les Églises prennent position en faveur d’une action globale et que, surtout, elles appliquent là où elles le peuvent les règles nécessaires à une prise en charge du risque écologique. Mais cela revient-il à prétendre qu’elles ont à proposer un discours spécifique au sujet de la question écologique ? Je ne le crois pas et je serais même tenté de dire que leur rôle est, au contraire, de rester vigilantes à ce sujet.

 L’avènement de la morale écologique

Ne nous faisons pas d’illusion : la morale écologique est devenue aujourd’hui la pensée dominante – ce qui ne veut pas dire, bien entendu, que tout le monde fasse ce qu’il faut. Il n’est besoin, pour s’en persuader, que de considérer comment les entreprises ont désormais intégré dans leur discours marketing l’aspect écologique et en font même un argument récurrent. Or ceci ne va pas sans poser une question : est-ce la vocation des Églises que de prêcher la morale commune, dominante ? Une première chose qui doit être soulignée, c’est que lors des premiers développements en faveur de l’écologie dite politique (celle qui se soucie de porter au plan politique, celui de la « cité », la question écologique), la critique envers le christianisme a été l’un des éléments clefs du débat : en insistant sur le salut, sur le destinataire du message de l’Évangile (l’être humain), les Églises, et en particulier les Églises protestantes, auraient contribué à l’anthropocentrisme de la modernité et donc à l’exploitation abusive de la nature par l’homme. Que cette thèse soit historiquement fondée importe peu – ce qui est sûr, en revanche, c’est qu’avec la prise de conscience progressive de la société face au péril écologique, nombreux ont été les théologiens à vouloir montrer que, non, le christianisme n’est pas naturellement enclin à mettre de côté la dimension écologique. D’où le retour en force des théologies de la Création, le développement de la « green theology » et des discours officiels des institutions ecclésiastiques en faveur de l’engagement écologique… jusqu’au synode de l’ÉPUdF de 2020 sur l’écologie ! Bref : nous avons cru devoir nous lancer dans ce qui peut apparaître comme une forme d’apologétique face à une pensée commune, exactement comme les apologètes du IIe siècle voulaient montrer que l’Évangile n’était pas incompatible avec la philosophie platonicienne alors dominante. Tout comme pour les apologètes du IIe siècle, une telle démarche n’est pas condamnable en soi, mais il me semble toutefois important de souligner les limites d’une telle entreprise : de même que le centre de l’Évangile ne se réduit pas à la philosophie de Platon, il ne saurait se résumer à un message écologique.

Adopter une posture apologétique, c’est en effet entrer en dialogue avec un point de vue jugé discordant pour montrer qu’il n’y a en vérité aucune opposition de principe entre celui-ci et l’Évangile, même si des tensions peuvent se faire sentir à partir desquelles un dialogue constructif peut être envisagé. En revanche, prétendre que ce point de vue jugé discordant se trouve au cœur de l’Évangile, ce n’est plus de l’apologétique, c’est de la justification – or l’on sait combien ce thème est chargé, théologiquement parlant. On connaît l’affirmation réformatrice : toute tentative de justification devant Dieu de l’ordre mondain est destinée à être mise en crise par la foi au Dieu de l’Évangile. Le meilleur des citoyens n’est jamais que le pire des scélérats aux yeux de Dieu, tant qu’il n’a pas la foi. Toute morale est, au regard de l’Évangile, une morale mondaine et provisoire qui ne peut prétendre réaliser le royaume de Dieu, faute de sombrer nécessairement dans des dévoiements, des vices, des perversions. Pourquoi ? Parce qu’elle ne place plus l’être humain en relation avec Dieu au cœur de ses préoccupations.

 Préserver les libertés

C’est là, il me semble, que les chrétiens se devraient d’être plus vigilants à l’endroit de la morale écologique : l’écologie n’est pas une fin en soi. Nous ne sommes pas appelés à voir dans la restauration de la création une fin ultime – et qu’est-ce d’ailleurs que la Création, dès lors que nous sortons de la vision plus ou moins mythologique qui sous-tend encore trop souvent, même chez certains théologiens pourtant bien inspirés, la morale écologique chrétienne ? Non, la fin ultime de la foi chrétienne c’est d’accepter de recevoir de Dieu ce que nous voudrions accomplir nous-mêmes : exister. Or, nous existons déjà, cela nous est donné et nous ne pouvons que l’accepter. Cela revient à considérer que c’est d’abord cela, accepter la vie et même la choisir, que nous devons prêcher en premier lieu. Et une fois que nous aurons accepté ce que nous sommes (des êtres limités, faillibles mais appelés à la vie pleine et entière), nous serons à même de comprendre que si nous devons accepter ce qui nous est donné, il est probable que cela implique aussi de reconnaître que nous vivons dans un écosystème qui nous est lui aussi donné, et qu’il nous faut donc le préserver. Mais cela signifie aussi que la préservation de cet écosystème ne saurait nous amener à nier l’humain ou à le faire passer en second lieu : si nous voulons préserver la terre, c’est pour pouvoir continuer à y vivre, non parce que nous serions en somme des parasites qui devraient en être éliminés. Or, il me semble que cette approche doit nous appeler à rester attentifs aux propositions, toujours plus nombreuses, qui visent à restreindre la liberté de l’homme au nom de l’impératif écologique. Le discours général est aujourd’hui, pour reprendre les termes de l’astrophysicien Aurélien Barrau, celui d’une « guerre à la fin du monde ». Or ce discours guerrier devrait nous préoccuper : il a en effet l’avantage de justifier toutes les mesures d’exception, y compris celles qui, en temps de paix, nous feraient bondir. Que penser, par exemple, de ceux qui envisagent la tenue d’un fichier des climato-sceptiques afin de leur faire « payer » leurs propos le jour venu ? Quelle attitude adopter face à ceux qui proposent, y compris à droite de l’échiquier politique, l’organisation d’un tribunal pénal international pour juger les entreprises coupables de non-respect des règles écologiques ? Que dire, en tant que chrétiens, de ces écologistes, pourtant souvent très pragmatiques, qui suggèrent de ne plus soigner les personnes au-delà de soixante-cinq ans, afin de réduire le bilan carbone de l’humanité ou de ceux, de plus en plus nombreux, qui invitent les hommes à se faire stériliser, là aussi pour éviter une augmentation des émissions de CO2 – et je passe sous silence l’idée de ceux qui invitent à imposer un « permis » d’enfant aux couples qui désirent en avoir ? Même minoritaires, ces tendances mortifères devraient nous alerter, pour peu que nous tenions à la liberté et que nous soyons capables d’entendre le message de l’Évangile. Bref, les chrétiens ont le droit et même le devoir d’adopter un comportement écoresponsable. Mais de là à prétendre qu’il existerait une écologie théologique impliquant une certaine morale écologique chrétienne, je ne le crois pas. Je suis même persuadé que le croire représente un risque non seulement pour le salut de la théologie mais aussi pour celui de l’humanité.

 

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À propos Pierre-Olivier Léchot

est docteur en théologie et professeur d’histoire moderne à l’Institut Protestant de Théologie (faculté de Paris). Il est également membre associé du Laboratoire d’Études sur les Monothéismes (CNRS EPHE) et du comité de la Société de l’Histoire du Protestantisme Français (SHPF).

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