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Pour un destin commun

 

Le livre de Frédéric Rognon, professeur de philosophie des religions à la faculté de théologie protestante de l’Université de Strasbourg, est venu à point quelques mois avant la consultation sur l’accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté organisée le 4 novembre 2018. L’auteur connaît bien son sujet, pour avoir séjourné sur le « Caillou » et avoir étudié les Mélanésiens de Nouvelle-Calédonie dans le cadre de sa thèse de doctorat en ethnologie.

Tracer le parcours de Maurice Leenhardt (1878-1954), c’est écrire l’histoire d’une terre qui a connu la violence à l’arrivée des Européens, d’abord les Britanniques en 1774 puis les Français en 1853 qui y implantent le bagne. Le peuple autochtone de l’archipel est surnommé péjorativement « canaque » , terme qu’il se réapproprie au cours de la deuxième moitié du XXe siècle en l’écrivant « kanak* » , si bien que les mouvements autonomistes comme l’une des Églises protestantes actuelles (EPKNC) usent de l’expression « Kanaky-Nouvelle-Calédonie » . La colonisation est si brutale que ne subsistent plus que 10 000 Kanak environ lorsque Maurice Leenhardt débute sa mission en 1902. Spoliation des terres, exil des leaders, meurtres, alcool, il s’agit d’un génocide. C’est dans ce contexte que Maurice Leenhardt découvre la culture et l’une des langues kanak qui feront de lui plus qu’un missionnaire, un ethnologue cité par Marcel Mauss dans son Essai sur le don.

L’auteur décrit rapidement la Nouvelle-Calédonie dans son environnement précolonial et dans les premiers temps de la colonisation, puis deux chapitres centraux décrivent la vie de Maurice Leenhardt, aux titres suggestifs : Missionnaire, donc ethnologue ; Ethnologue, quoique missionnaire. Comme nous n’avons pas la place de rendre compte de toutes les richesses de l’ouvrage, nous dirons seulement quelques mots en particulier au sujet du site de Do Néva décrit dans le deuxième chapitre parce que l’auteur de ces lignes a pu le visiter en mai 2017. Maurice Leenhardt crée cette station missionnaire au centre de la Grande Terre en 1903, pour y former des pasteurs et des enseignants kanak qui ensuite sont envoyés dans les différentes tribus. L’enseignement se fait d’ailleurs dans les deux sens car Maurice Leenhardt considérait que des efforts d’acculturation devaient être entrepris aussi par les Européens. De cette manière, Maurice Leenhardt crée une missiologie et une ecclésiologie qu’il diffusera à son retour en métropole. Aujourd’hui, Do Néva comprend un groupe scolaire et un lycée agricole protestants qui donnent une seconde chance aux enfants et adolescents kanak et leur offrent de redécouvrir leur culture selon une pédagogie portée par une équipe dynamique. Des pluies importantes ont causé des dégâts en 2016-2017 et vos dons adressés au DEFAP aideront à finir les travaux nécessaires. Le quatrième chapitre est consacré à la Nouvelle-Calédonie après Maurice Leenhardt. « L’utopie leenhardtienne » a marqué l’archipel, « utopie réaliste, utopie au sens de ce qui n’a pas encore de lieu, et qui peine à le trouver, mais qui cherche à s’y ancrer avec toute l’énergie de l’espérance. Utopie d’un vivre-ensemble harmonieux, dans la reconnaissance mutuelle entre des peuples, des cultures et des mentalités différentes ».

J’ajoute ici que la principale organisation syndicale, l’USOENC, indépendante des partis politiques, rassemble des travailleuses et travailleurs de toutes les communautés (Kanak, « Caldoches » , Wallisiens et Futuniens, métropolitains…) Elle ouvre le champ des possibles dans une société encore très fragile. Le « destin commun » est là devant, l’histoire continue donc de s’écrire.

* le mot Kanak est invariable, orthographe officielle depuis les accords de Matignon de 1988

 Frédéric Rognon, Maurice Leenhardt. Pour un « Destin commun » en Nouvelle-Calédonie, Lyon, Olivétan, 2018, 212 pages.

 

 

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À propos Olivier Guivarch

est secrétaire national d’une fédération syndicale de salariés, après avoir étudié la théologie protestante et exercé le métier de libraire. Il participe au comité de rédaction depuis 2004.

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