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Le deuil de nos animaux est chose sérieuse

 

Un jour, alors que je venais de voir mourir dans mes bras l’un de mes chats adorés, une conseillère presbytérale me reprocha vivement de ne pas venir au conseil, parce que j’étais en larmes. Elle me dit même qu’il était scandaleux qu’un pasteur préfère son chat à ses conseillers. Or oui, ce soir-là je ne pensais qu’à mon chat pour lequel je pleurais ! En disant cela, je sais bien que je maintiens ce fossé qui demeure, et peut-être demeurera toujours, entre ceux qui considèrent leur animal comme un membre de leur famille intime, et ceux qui pensent que ce ne sont que des animaux… Ces derniers, souvent, mais pas toujours, n’ont pas, n’ont jamais eu et n’auront jamais un animal de compagnie. La question est souvent passionnelle. Tellement passionnelle que ceux qui vivent ce deuil d’un animal proche n’osent souvent pas en parler, par peur des réactions (comme celle de mon ancienne conseillère presbytérale…) ou même par honte de vivre une vraie souffrance pour « si peu de chose » … Lorsqu’ils pleurent, c’est cachés qu’ils le font.

Allons plus loin : comment considérer et accompagner ces deuils en évitant les deux pièges que l’excès d’un dialogue, parfois de sourds, nous fait courir : nier l’existence d’un deuil ou humaniser l’animal dans un anthropomorphisme excessif ? Il se trouve que notre protestantisme a sans doute un outil, un argument, qui peut nous faire trouver ce point d’équilibre. Nous voulons parler de la manière avec laquelle nous accompagnons les deuils dans nos familles. Dans l’Église catholique, la célébration des funérailles est d’abord un accompagnement de la personne décédée, même si cela peut comporter celui du deuil des vivants. À la fin de la célébration, on fait l’absoute, c’est-à-dire la bénédiction du mort pour, en quelque sorte, l’envoyer vers cet autre monde dans les mains de Dieu. On peut difficilement imaginer cela pour un chat ou chien… Mais, et c’est sans doute là une différence plus fondamentale qu’on ne le pense, notre protestantisme a fait un autre choix, celui de désacraliser la mort. Au XVIe siècle, les pasteurs n’avaient pas le droit, dans certaines régions du moins, de faire les enterrements. On invoquait le fameux verset de l’Évangile : « laissez les morts enterrer leurs morts » . On accentua ainsi l’irréductible fossé entre notre vie et l’autre vie… Désormais, plus de prière pour les morts, plus de présence pastorale. Traditionnellement, lorsque quelqu’un mourait, on l’enterrait puis, ensuite, on faisait un culte d’action de grâce, sans cercueil. On se gardait bien alors d’évoquer la vie de la personne décédée, en se contentant « d’annoncer la résurrection » . Ce positionnement souvent catégorique, parce que polémique, évolua dans le temps. On peut dire qu’il s’humanisa, même si certains protestants campent encore sur leur position de ne laisser aucune place à l’émotion… Mais, à la base, quelle fut l’intuition des réformateurs ? Précisément, celle-ci fut d’affirmer que l’être humain était, au-delà de sa mort, accueilli par grâce dans cette autre réalité, cette autre vie, dans les mains de Dieu. Les morts n’ont pas besoin de nos prières ! La conséquence première est que désormais, c’est le deuil des vivants qui est mis en avant. Encore aujourd’hui, lorsque nous faisons des célébrations de funérailles, notre accent est fortement mis sur l’accompagnement du deuil, plus que celui du défunt, accueilli dans cette autre vie… La réaction est d’ailleurs assez unanime lors de ces célébrations auprès des personnes, largement majoritaires, qui ne font pas partie de nos Églises. Ils nous disent combien nous sommes « humains » , dans la compassion plus que dans le rite. Et c’est vrai puisque nous affirmons que le deuil est le cœur de notre accompagnement.

Revenons à nos animaux et appliquons notre principe protestant d’accompagnement du deuil. Si nous considérons le décès d’un animal de compagnie comme un deuil, l’Église n’aurait-elle rien à dire ? Est-elle obligée de nier l’existence, la réalité de ces deuils vécus par des millions de personnes ? Y aurait-il des souffrances légitimes et d’autres illégitimes ? Le débat ne porte pas d’abord sur ce qu’est un animal (même si cette question doit être traitée), mais sur la prise en compte de notre relation intime et aimante avec un animal de compagnie qui, sans être humain, est un membre de notre famille. L’Église, en oubliant nos animaux, court peut-être, paradoxalement, le risque de son inhumanité… Sans doute sommes-nous tous gagnés par ce risque de « l’anthropie », c’est-à-dire de considérer que l’être humain est l’aboutissement ultime et unique de la création qui, seul, a droit à une forme de partenariat exclusif avec Dieu. Notre notion biblique de l’Alliance entre Dieu et l’humanité est alors la forme théologique de l’anthropie. Oui, mais (car il y a toujours un mais), il existe des bémols bibliques à cette notion. Dans le récit mythologique de Genèse 1, l’être humain est mis en relation de manière responsable avec la nature et plus particulièrement avec les animaux. Dans le récit, tout aussi mythologique, du Déluge, l’être humain, ici Noé, doit sauver les animaux.

Dans la philosophie et la théologie du Process, on parle pour évoquer des choses et des êtres, de « structures d’existence » , c’est-à-dire de l’ensemble des relations qu’entretient cette chose ou cet être avec son environnement. Le caillou par exemple a un temps long mais une structure d’existence simple, sans autonomie. Plus on s’approche de l’être humain plus cette structure se complexifie vers une forme d’autonomie et de liberté de décision. Or, cette complexification tient à l’augmentation du nombre d’interactions avec l’environnement. L’être humain est dans une relation en grande partie libre et responsable avec l’ensemble des animaux, de la nature et bien sûr des autres êtres humains. Ce sont ces relations (y compris la culture) qui vont définir ce qu’est un être humain, ou plutôt ce qu’il devient. Comme l’écrivit Simone de Beauvoir : « On ne naît pas femme, on le devient. » Cela rejoint la philosophie du Process, sur ce point très existentialiste, qui affirme que ce sont les événements, dans leur enchaînement, qui nous constituent. Si l’on applique cela aux animaux de compagnie, leurs interactions sont en grande partie avec nous. À tel point qu’ils finissent par préférer l’humanité à leurs congénères. Les personnes qui vivent avec des animaux de compagnie le savent bien aussi : la question du langage continue de nous fasciner. Un animal et un être humain peuvent communiquer sur bien plus de choses que sur les besoins primaires d’alimentation ou autre. Sans doute n’existet-il pas toujours une rupture aussi nette entre le monde animal et le monde humain. Les animaux de compagnie demeurent des animaux certes, et doivent être respectés comme tels, mais ils sont humanisés dans leur devenir et dans leurs relations. Il ne s’agit pas ici d’un anthropomorphisme mais de la prise en compte d’une relation entre deux êtres qui créent un lien que l’on peut qualifier d’amour réciproque.

Nos lois ont sans doute évolué plus vite que nos Églises. En effet, désormais, un animal est, pour la loi, un « être vivant et sensible » . Il n’est plus un objet avec lequel on peut tout faire. Notre appel ici n’est évidemment pas pour créer des liturgies de funérailles de nos animaux. Notre appel est pour que nous soyons vraiment protestants, attentifs aux souffrances humaines, à toutes les souffrances humaines, dans nos prières, nos actes et nos paroles. Et au-delà même, nous souhaitons repenser notre rapport au monde animal, qui n’est pas un tout homogène mais une multitude d’existences en interaction avec notre propre existence.

 

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À propos Jean-Marie de Bourqueney

est pasteur de l’Église protestante unie. Il est actuellement à Paris-Batignolles. Il est notamment intéressé par le dialogue interreligieux et par la théologie du Process.

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