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Les Voisins de Dieu

Qui a vu ce film, sorti en avril 2013 ? Très peu de gens, j’imagine. C’est dommage, car avec Les voisins de Dieu, son premier long-métrage, Meni Yaesh nous embarque au cœur de Bat Yam, dans les faubourgs de Tel-Aviv, où il a grandi. Il capte avec beaucoup de finesse l’ambivalence d’une jeunesse écartelée entre un fanatisme qui justifie la violence et le racisme, et un judaïsme tempéré, presque bon enfant, plein de bon sens et ancré dans la vie.

Dans la banlieue de Tel-Aviv, dans le secteur juif orthodoxe, des jeunes gens ont décidé par eux-mêmes de faire respecter la Torah, la Loi de Dieu, à la lettre du texte et de la Tradition. Ils choisissent la force et la contrainte et s’érigent en juges. Pourtant, dans leur vie quotidienne, ils se situent en marge, en buvant de l’alcool et en fumant des substances illicites. Ils sont intransigeants avec les jeunes filles et leur façon « moderne » » de s’habiller, qu’ils jugent indécente. Ils font régner la terreur sur tout le quartier et cela déborde bien souvent sur le quartier arabe de la ville, alimentant la spirale de la vengeance par toute sorte d’exactions.

Mais la rencontre d’une jeune fille, plutôt libérée et ayant choisi la laïcité pour son quotidien, va déstabiliser le chef de la bande qui, à sa grande surprise, en tombe amoureux. Commence alors pour lui une réflexion de fond sur ses engagements religieux, sa façon de croire et surtout de pratiquer sa religion. Pour la première fois, il entre vraiment en dialogue avec lui-même, voire avec Dieu, lors d’une très belle scène sur la plage où, à la manière du psalmiste, il interroge Dieu dans toute sa vigueur, voire toute sa colère, troublé par ses sentiments et son attirance pour cette jeune fille, son opposée. Il lutte, mais en vain. C’est elle qui l’oblige à revisiter ce qu’il croit, et à interroger l’approche fondamentaliste de sa pratique, en mettant le doigt sur ses contradictions. Elle-même, réfractaire à toute forme de pratique religieuse, accepte, in fine, d’être reçue dans la famille du jeune homme, de participer à un Shabbat et de se réapproprier la pratique religieuse délaissée.

C’est un film rude et courageux. Il dénonce tous les débordements qu’offre insidieusement la tentation fondamentaliste de tout faire respecter à la lettre, tout en se permettant de rester en marge, comme si le monde se réduisait à une somme de lois qu’il faudrait respecter à tout prix.

Mais le monde est rempli d’exceptions. Chaque être humain, unique et irremplaçable, est une exception, avec son mode de pensée et de réflexion, avec son histoire et ses aspirations, avec son « courage d’être » (Paul Tillich). Cela a déjà été prouvé par le passé, et cela continue d’être vrai aujourd’hui : on ne peut enfermer personne dans une case religieuse, sexuelle, ou raciale. Inlassablement, on reste invité à se rencontrer, à dialoguer, à se connaître et se comprendre, pour essayer de vivre ensemble. Qu’on le veuille ou non, l’amour humain, qui dit, d’une certaine manière, quelque chose de l’amour de Dieu, continue de faire réfléchir, de pousser dans les retranchements, de remettre en question, de faire flancher, et même de sortir de toute sorte de barbarie. Il contribue sans cesse à changer le monde en le faisant passer des ténèbres de toutes les formes de fermeture, à la lumière de l’accueil et du respect, voire de l’admiration de l’autre, toujours différent.

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À propos Agnès Adeline

est pasteure de l’Église protestante unie de France à Paris (Oratoire), et aumônier à la Maison d’arrêt de Paris la Santé

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