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Une psychanalyste aux prises avec l’impossible question de Dieu

 

Qu’est-ce qu’une psychanalyste qui avoue qu’elle ne peut trouver sa seule liberté d’être dans les structures du langage ? Cette psychanalyste est-elle fiable ?

Je ne mets pas mes pas dans ceux de Françoise Dolto qui lit la Bible avec les lunettes de la psychanalyse ni de Marie Balmary qui fait œuvre sensible d’exégète. Dieu est pour moi une question existentielle selon le sens que Kierkegaard, Léon Chestov et Benjamin Fondane donnent à la pensée existentielle. La pensée existentielle fait passer la vie avant la philosophie sur la vie, le sujet avant le genre humain. Pour le penseur existentiel la foi ne vient pas consoler ni rassurer mais troubler, désarçonner la conscience, nous délogeant de nos certitudes. En elle, un sujet est confronté à l’impossible, l’indicible. « Le mot Dieu, écrit René Magritte, n’a pas de sens pour moi mais je le restitue au mystère, pas au néant. » C’est ainsi qu’au fil d’un long cheminement entre psychanalyse et Bible, j’ai découvert que le mot Dieu, pour moi, ne recouvrait rien de religieux mais les effets d’un « soudain » comme une « brusque coulée de présence à soi » montant mystérieusement du récit biblique de l’Exode. C’est ainsi que furent déposés dans l’âme de la toute jeune enfant que j’étais – j’avais alors cinq ans – les germes d’une quête dont je comprendrai des décennies plus tard qu’elle a pour objet la question de l’Altérité, entre Autre radical (Dieu) et autre (le prochain), difficile question d’un sujet entre foi et amour, entre passion pour les premiers objets d’amour qui ne cessera de colorer le destin des amours futures et passion pour l’Autre de la foi, conduisant parfois jusqu’aux confins de la vie.

Pour la technique psychanalytique, le désir est appel au désir d’un Autre, ce prochain agrandi par la passion infantile jusqu’à devenir « comme un dieu » (d’où la majuscule). Il n’est pas étonnant que ce soit un juif, nourri de poésie biblique dès son plus jeune âge comme le fut Freud, qui ait inventé la psychanalyse dont le levier est l’amour de transfert, cet appel, dans la médiation de la personne du psychanalyste, aux Autres de la vie, ces êtres passionnément aimés, parfois haïs : une mère, un père… L’intuition de génie de Freud fut celle de l’humain vivant, désirant du désir d’un autre. Un être d’altérité et de passion.

Pour bien des figures bibliques, la foi est pareillement répondre d’un appel à l’Autre, appel à devenir soi devant cet Autre radical qui mystérieusement se souvient de l’humain, auquel la Bible donne le nom de Dieu. Appel à devenir soi sans garantie autre que la confiance en un Dieu impossible à saisir par la raison et pourtant concret dans ses effets de vie : Va ! Lève toi ! Quitte ! Tels en sont les impératifs intérieurs, au risque du ridicule (Abraham et Sarah à l’annonce de la promesse qui aura pour nom Isaac), de l’absurde (Abraham affronté à l’absurde du sacrifice du même Isaac), du désespoir (Job et le réel du mal).

Psychanalyse et foi biblique sont deux domaines d’expérience et de pensée différents, irréductibles l’un à l’autre, mais leur point de jonction (non de synthèse) est bien la question d’un sujet dans la singularité de son désir, entre énigme du désir de l’autre aimé et mystère de l’Autre de la foi.

C’est dans la rencontre de l’œuvre poétique et philosophique de Benjamin Fondane que je devins capable de différencier le désir tel que le comprend la psychanalyse (aliéné aux passions infantiles), de la foi comme désir d’une Altérité radicale, d’un indicible convoquant à une « irrésignation » devant l’impossible. Kierkegaard se serait peut-être exprimé différemment, situant la psychanalyse sur le versant du désir inscrit dans le temporel et la foi sur le versant de l’intemporel. Benjamin Fondane a su témoigner du lien entre Bible et pensée existentielle. « Il était, écrira sa femme Geneviève Fondane, un homme de l’Ancien Testament, et comprendre cela est la condition pour comprendre toute son œuvre. » Voilà pourquoi il me bouleversa.

Avec le poète roumain Benjamin Fondane et le philosophe russe Léon Chestov, tous deux juifs, tous deux penseurs existentiels durant ces terribles années 1920- 1944, penser devient un courage, une audace, celle de devenir soi, une liberté, parfois une folie, dans la traversée des défilés, gouffres ou déserts imposés par la condition humaine d’une vie singulière. La devise du penseur existentiel serait : vivre, souffrir, gémir parfois, aimer, haïr avant que de comprendre.

La Terre Promise ne se trouve pas, ne s’enseigne pas, nous rappellent-ils, elle se cherche, nous révélant ce plus profondément humain qui nous constitue, porté par un désir de l’impossible, condition de l’Émigrant, celui qui, contre toute logique et sans garantie aucune, persiste, disant : « J’irai, j’irai ».

 

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À propos Dominique Gauch

est psychanalyste et théologienne. Elle a fait ses études de théologie à l’Institut Protestant de Théologie (Montpellier). Elle a été influencée par ses lectures de Benjamin Fondane, Léon Chestov et Soren Kierkegaard, et son travail se situe entre inconscient et foi biblique.

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