«Je n’arrive pas à prier » m’écrit, inquiète, une jeune fille fraîchement émoulue d’un catéchisme qu’elle a intensément suivi. Un pasteur chevronné me confie avec embarras : « Je ne prie jamais, sauf en chaire, quand je préside un culte ». Je m’interroge. Ne seraient-ils pas victimes, tous les deux, de la conception de la prière qu’on m’a enseignée dans mon enfance : « tu joins les mains, tu fermes les yeux, tu parles à Dieu en commençant par “mon Dieu, mon père” et en terminant par “au nom de Jésus Christ, amen” » ? Je ne rejette pas cette prière « rituelle » ; elle peut réconforter, soutenir, voire vivifier certains. Mais il faut reconnaître et accepter que d’autres la trouvent artificielle et la pratiquent avec peine ou pas du tout. Dans ce cas, plutôt que de se sentir déficient ou coupable, il importe de revoir l’idée qu’on s’en fait.
Quelques citations nous y aident. Pour Emerson, nos soupirs, nos espoirs et nos émotions sont des prières autant, sinon plus, qu’un discours « audible et structuré ». Kierkegaard souligne que prier veut dire « se taire et écouter », non pas parler ou « s’écouter parler, mais … demeurer dans le silence et l’attente jusqu’à ce que l’on entende Dieu ». Selon Charles Wagner, on prie quand on s’ouvre au « regard de Celui qui seul sait tout voir et tout comprendre ».
Prier ne consiste pas (ou pas seulement ni principalement) à mettre en parenthèses ou à part un moment spécial pour dire quelque chose à Dieu en public ou en son for intérieur (dans une chambre dont on a fermé la porte, selon le conseil de Jésus). On prie quand dans ses occupations ordinaires, au milieu de ses travaux et activités, sans les interrompre, on se place devant Dieu, on prend conscience qu’il est présent et proche. Je compare parfois les prières rituelles à des bains de soleil. Tous les jours, nous bénéficions du soleil, de sa lumière et de sa chaleur ; et puis en été, on va parfois sur une plage pour bronzer. Les moments spéciaux de prière nous exposent à Dieu de même qu’au bord de la mer, on s’expose au soleil. Ils ont pour but de nous faire sentir plus vivement une présence, celle de Dieu, qui à chaque instant nous accompagne. Comme pour les bains de soleil, dangereux s’ils durent trop longtemps, il ne faut pas en abuser (avec le « Notre Père » Jésus donne en modèle à ses disciples une prière extrêmement courte). Si la prière rituelle ennuie ou pèse, si le bain de soleil se révèle fastidieux ou contre-indiqué, qu’on s’en dispense et qu’on cherche autre chose. On n’en bénéficie pas moins du soleil et Dieu n’en est pas moins présent.
À ma correspondante, j’ai répondu : « Ne vous en faites pas, personne ne parvient à bien prier. Quand vous regardez un beau paysage ou que vous écoutez une musique qui vous touche, vous vous sentez en contact avec quelque chose qui vous dépasse et vous émerveille ; vous avez, sans le savoir, prié ». Au pasteur, j’ai répliqué : « en réalité, vous priez beaucoup, car, jour après jour, vous référez à Dieu vos lectures, vos rencontres, vos activités ». À ceux qui tiennent aux traditionnelles réunions de prière, j’aimerais dire : « n’accusez pas ceux qui n’y viennent pas. Ils prient, eux aussi, mais autrement que vous ».
Nous ne savons pas comment prier, écrit Paul, mais « l’Esprit intercède par des soupirs inexprimables ». Autrement dit : si nous ne pratiquons pas le rite appelé « prière », peu importe. Dieu prie en nous et nous rend priant chaque fois que son Esprit nous fait sentir sa présence
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