Les premières années de la Réforme allemande sont une période de profondes transformations sociétales. Parmi celles-ci, il faut mentionner le rôle acquis par certaines femmes dans la diffusion du message réformateur. La vie d’Argula von Grumbach en est un exemple parlant. Née en 1492, elle est issue d’une famille noble de Bavière. On sait qu’enfant, elle lit une Bible allemande que son père lui aurait offerte – elle affirmera plus tard que les moines de son entourage essayaient pourtant de l’en dissuader. En 1516, elle doit épouser Friedrich von Grumbach, un noble de Basse-Franconie au service des ducs de Bavière. Très vite, elle entre en contact avec les représentants de la Réforme dans sa région, comme Andreas Osiander de Nuremberg et semble entretenir des liens épistolaires avec Luther lui-même. En 1523, l’université d’Ingolstadt contraint un jeune maître, Arsacius Seehofer, à renier publiquement la doctrine de Luther à laquelle il a adhéré lors d’un séjour à Wittemberg. Argula von Grumbach prend alors la plume pour défendre le jeune homme. Son texte est bien vite publié par un anonyme – certains pensent qu’il s’agit de son ami, le Réformateur de Nuremberg, Andreas Osian-der. Ce dernier tente en tout cas de justifier la prise de parole d’une femme : « Dans ces derniers jours », proches de la fin du monde, la Bible n’est plus l’apanage des seuls érudits, mais peut être interprétée « par beaucoup d’autres, jeunes et vieux, hommes et femmes ». Pour son éditeur, ce qui est en train de se passer en Allemagne n’est rien d’autre que l’accomplissement de la prophétie de Joël 2,28 : « Vos fils et vos filles prophétiseront, vos vieillards auront des songes et vos jeunes gens des visions. » La lettre que la jeune femme adresse à l’université d’Ingolstadt pour défendre Seehofer confirme cette conviction que les temps extraordinaires que traverse la foi chrétienne permettent aux femmes de prêcher. Pareille à une seconde Judith, von Grumbach s’autorise ainsi à instruire les prêtres en se fondant sur la seule Écriture : elle estime que la parole du Christ à propos de la confession sincère ne s’adresse pas qu’aux hommes et permet donc d’invalider l’injonction paulinienne faite aux femmes de se taire dans les assemblées. La situation religieuse de l’Allemagne des années 1520 est en effet pour elle un état d’exception qui impose que toute personne appelée par Dieu prenne la parole en faveur de l’Évangile. Comme l’ânesse de Balaam parlant à la place du prophète (Nombres 22,21- 35), von Grumbach pense donc qu’elle est appelée à prêcher puisque les prophètes de son temps, les prêtres, ne savent plus annoncer l’Évangile. Son écrit est un véritable succès auprès du public et connaît quinze réimpressions en un an. Mais l’on se doute bien des réactions que pareille prise de parole devait engendrer. Von Grumbach parvient par la suite à faire imprimer quelques libelles mais ne rencontre que peu de soutien, y compris auprès des Réformateurs. En 1530, elle rend pourtant visite à Luther, qui lui garde toute sa sympathie, mais doit bientôt s’imposer un long silence, sans doute sous la pression de son mari. Veuve une première fois en 1529/30, elle se remarie en 1533 mais son époux disparaît peu après, bientôt suivi dans la tombe par la plupart de ses enfants. Elle continue pourtant d’entretenir de nombreuses correspondances et décède à un âge avancé, vers 1568 probablement. Aujourd’hui, un prix « Argula von Grumbach » de l’Église protestante de Bavière récompense les démarches en faveur de l’égalité des sexes.
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