Véritable « serpent de mer du calvinisme » selon l’expression de Bernard Cottret, la doctrine de la prédestination développée par Calvin est devenue étrangère à nos consciences modernes, soucieuses d’autonomie : comment imaginer qu’un Dieu autoritaire ait pu décider de damner une bonne partie de l’humanité dès avant la création du monde ? Pour être bien comprise, la doctrine de la prédestination de Calvin doit d’abord être replacée dans son contexte historique. À une époque marquée par la peur des tourments infernaux qui guettent les croyants qui n’auraient pas été en mesure d’accumuler suffisamment de mérites, Calvin poursuit un objectif avant tout pastoral : convaincre les fidèles que, dès avant la création du monde, Dieu avait en vue leur salut et qu’il ne changera pas d’avis, quoi qu’ils fassent. Doutent-ils de leur élection ? Le fait même de s’en préoccuper est sans doute le signe de celle-ci. La doctrine de la prédestination apparaît ainsi sous sa plume comme l’ultime découverte d’un parcours de foi répondant à une subtile pédagogie divine : Calvin n’est pas avare de formules soulignant la bienveillance d’un Dieu ménageant au croyant un parcours d’apprentissage de la foi qui le conduit à reconnaître derrière la volonté divine de prédestination le signe de son amour. On peut bien sûr estimer que cette vision du salut n’a plus grand-chose à voir avec un christianisme soucieux de répondre aux enjeux de la modernité. Pourtant, au début du XIXe siècle, l’un des grands penseurs du protestantisme moderne, Friedrich Schleiermacher, verra derrière cette doctrine le noyau de toute piété, à savoir ce sentiment de dépendance pur et simple face à la vie qui nous habite tous et qui nous invite à regarder l’existence avec confiance et à la comprendre, dans la foi, comme un don.
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