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Jésus à Nazareth : un retour raté Marc 6,1-6

Juillard JacquesC’est le seul échec de Jésus, unique dans les évangiles, avec pour finir ce constat d’impuissance désabusé : « Il s’étonnait de leur manque de foi. » Dans la synagogue de Nazareth, Jésus prend la parole. L’auteur n’a pas retenu son discours, mais seulement la réaction des auditeurs : la foule est étonnée, frappée de son enseignement. Après cet étonnement, le rejet. Pourquoi ? Tout bascule sur cette question : « N’est-ce pas le charpentier, le fils de Marie, le frère de Jacques, de José, de Judas et de Simon ? Ses sœurs ne sont-elles pas ici parmi nous ? » Jésus, dont la famille habite le village, manque d’exotisme pour qu’on puisse supporter d’être étonné par lui. Le scandale, c’est ce contraste entre l’ordinaire de sa condition et de son apparence et l’extraordinaire de ses paroles. D’où une dynamique de refus qui rend toute conversion, tout miracle impossibles.

Pourquoi ? Est-ce la jalousie, cause banale de toute violence depuis Caïn et Abel, où je ne peux supporter que celui qui me ressemble paraisse me surpasser ? Ou un sentiment d’anomalie ? On attendait bien un homme providentiel qui devait tout changer, mais son apparence glorieuse et son origine mystérieuse devaient révéler sans équivoque le caractère divin de sa mission. Il ne pouvait avoir joué avec les enfants du village et ressembler aux autres. Pensons d’ailleurs à tous les efforts ultérieurs pour débanaliser sa naissance en la divinisant. Ou la cause de ce refus est-elle simplement la peur ? Dans les évangiles, souvent la peur s’oppose à la foi. La différence fait peur, surtout quand elle surgit au cœur du quotidien, car elle menace l’ordre et l’habitude. Et l’étonnement se change en haine et en rejet.

Il est bien difficile aujourd’hui d’être étonné ou d’étonner les autres. Déjà l’étonnement s’use avec l’âge. D’où la proximité des enfants avec ce rêve mystérieux que l’Évangile appelle le Royaume. Le pire qui puisse arriver, c’est d’être blasé, c’est-à-dire de perdre toute capacité d’étonnement. Beaucoup cherchent toujours plus loin cet étonnement perdu sans lequel la vie est terne et grise, dans des voyages lointains ou des expériences extrêmes. Les artistes, amuseurs, journalistes savent bien qu’ils doivent étonner et que c’est de plus en plus difficile. Ils cherchent d’ailleurs plutôt du côté de l’extrême de la violence, du malheur ou de l’horreur que de l’émerveillement devant la beauté, l’amour, la générosité ou le pardon gratuit. Et ce que nous tolérons de rupture avec l’ordinaire dans un film, un livre, un journal ne doit pas passer dans la banalité quotidienne où il devient insupportable, ou au mieux ridicule, sans doute à cause de la peur, de l’absence de foi, de confiance.

Être chrétien, c’est peut-être simplement accepter d’être étonné, entraîné loin de l’immobilité du présent dans un mouvement vers l’avenir, et aussi ne pas avoir peur d’étonner les autres. Le propre de l’Évangile est d’être inclassable, irrécupérable. Toute dogmatique, toute morale, toute théologie qui se croit immuable n’est qu’une réduction rassurante pour tenter d’exprimer en mots, en actes et en raison ce qui les dépasse et les dépassera toujours.

« D’où cela lui vient-il ? » questionnent les habitants de Nazareth. Ils sentent que quelque chose est là qui vient d’ailleurs, de plus haut, de plus profond, d’un inconnu qui déstabilise, ébranle routines et certitudes, qu’il faut donc enfermer ou chasser. La religion souvent tente de faire entrer un Dieu libre et fou dans des lieux, des temps, des paroles et des gestes mis à part de la vie quotidienne. Sachons l’en faire sortir pour que se répandent dans tous les domaines de la vie sa liberté et sa folie !

À l’approche de Noël, souvenons-nous de la belle histoire des bergers éblouis par l’ange (Luc 2,18) qui se retrouvent devant la crèche. « Tous étaient étonnés de ce que disaient les bergers. » Ainsi déjà des paroles inouïes dans la bouche d’hommes banals ouvrent le temps de l’étonnement.

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À propos Jacques Juillard

est pasteur de l’Église protestante unie de France, en retraite, mais en addiction persistante à creuser l’insondable. Prix Évangile et Liberté 2011.

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