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Ma lucarne et la théologie

Une page blanche. Au moment de la noircir de mon écriture me vient à l’esprit que, depuis plus de trente ans, c’est toujours dans la même chambre, devant les mêmes fenêtres que j’écris articles et livres. Chacun, somme toute, a sa lucarne. La mienne est sur les bords du Léman, avec en face de moi la côte française et les Alpes de Savoie. Mon contexte est à la fois helvétique et français par sa culture. Il est aussi vaudois, en ce sens que l’État, chez nous, c’est d’abord un canton avec sa constitution et ses lois qui ne sont pas exactement celles des cantons voisins. Ce canton fut pendant trois siècles protestant, avec juste un district de cinq communes où catholiques et protestants étaient à égalité. Les choses ont bien changé depuis lors : la statistique cantonale de 2012 compte maintenant 31,4 % de catholiques romains, 26,9 % de « sans appartenance religieuse », 26,6 % de protestants réformés, et plusieurs pourcentages beaucoup plus faibles d’autres affiliations. Tout cela influe inévitablement sur ma manière de voir les choses.

Les verrais-je autrement si j’étais ailleurs ? Un tiers de mes études universitaires en Allemagne, trois ans de ministère pastoral à Paris, quatre ans et demi d’enseignement à temps partiel à la Faculté de théologie protestante de Montpellier, un trimestre et plusieurs séjours à la Faculté de théologie catholique de l’Université Laval à Québec, des voyages dans différentes parties du monde ont été autant d’occasions de renouveler, de modifier, de mettre à l’épreuve ma conception du christianisme, de la théologie, de la vie. Que serait devenue ma manière de réagir et de penser si j’avais dû m’insérer à demeure dans un autre contexte linguistique ? Les quelques fois où j’ai eu l’occasion de prêcher, de faire des conférences ou de donner des cours en allemand, une ou deux fois même en anglais, m’ont fait prendre conscience de l’influence de la langue parlée (ou écrite) sur le cheminement de la pensée.

Prendre conscience de ces nuances dissuade de tenir pour universels le propre point de vue du milieu dans lequel on vit ou les habitudes de l’Église à laquelle on est affilié. Dans un petit pays comme le mien, nous sommes bien obligés de tenir compte des différences qui nous entourent et de l’étroitesse de notre lucarne. J’ai l’impression, en revanche, que les théologiens vivant dans de très grandes villes, comme Paris, ou de très grands pays, comme les États-Unis, peuvent être tentés de tenir leurs manières de voir pour universellement valables. Héritage des Lumières qui se voulaient précisément universelles (voir la Déclaration « universelle » des droits de l’homme) ? Aucune de nos Églises et de nos nations n’est plus en mesure, avec tout ce que nous savons, d’afficher encore une telle prétention.

La théologie est toujours tributaire d’une certaine époque, d’un certain contexte culturel, de certains points de vue, de certains préjugés. La fréquentation de théologiens américains, par exemple ceux de la « Process theology », est certes des plus stimulantes pour notre propre réflexion en la matière, mais nous ne pouvons pas simplement reproduire à notre usage ce qu’ils nous proposent. Même remarque, mais plus mordante, pour l’Afrique ou pour l’Extrême-Orient : que peuvent valoir nos essais théologiques pour ces chrétientés confrontées à des problèmes bien plus épineux que les nôtres ? Toute théologie est toujours tributaire de la lucarne par laquelle un pasteur, un théologien regarde le monde.

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À propos Bernard Reymond

né à Lausanne, a été pasteur à Paris (Oratoire), puis dans le canton de Vaud. Professeur honoraire (émérite) depuis 1998, il est particulièrement intéressé par la relation entre les arts et la religion.

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