Qui est Jésus ? Les plus grands théologiens se sont prononcés, ils ont écrit des milliers de pages sur ce sujet. Il ne s’agit pas ici d’allonger la liste, mais plutôt de permettre à chacun(e) de répondre à la question et cela librement, dans son for intérieur.
Une question posée par Jésus aux disciples (« Et vous qui dites vous que je suis ? », Mc 8,27) traverse les siècles, elle nous rejoint : qui est-il ? Qui est-il pour nous ? Entre ce qu’on lit dans les évangiles, ce qu’on trouve dans les apocryphes ou dans la littérature, entre nos doutes, nos questionnements et notre foi, entre le travail des exégètes, des historiens, des théologiens, des philosophes, qui est-il pour moi ? Depuis le début du christianisme, on s’est interrogé sur la nature du Christ. En 451, le concile de Chalcédoine a tranché, reconnaissant sa double nature : divine et humaine. Mais dans les faits, seule la nature divine du Christ a été mise en avant jusqu’à une période récente. Ce n’est que depuis la fin du XIXe siècle que l’on constate un souci de redécouvrir la dimension humaine et historique de Jésus.
Si l’exégèse historico-critique s’intéresse depuis les Lumières au « Jésus historique », c’est probablement Ernest Renan qui ouvre la voie au grand public en publiant la Vie de Jésus en 1863. Pour lui, Jésus est un homme qui lutte contre le cléricalisme juif au nom d’un humanisme laïc et universel. Jésus est un homme incomparable, et non plus un Dieu. Certes, Renan lit les évangiles avec les préoccupations de son temps, pourtant, cette approche, qui peut nous sembler assez désuète, a fait sauter bien des verrous et permis de revisiter nos croyances de manière tout à fait salutaire. Jésus désormais n’appartient plus à l’institution ecclésiale ; il aura donc fallu dix-neuf siècles pour que son message puisse être entendu.
En ce début de XXIe siècle, de nombreuses publications s’intéressent à l’historicité de Jésus, ainsi qu’à son message, en particulier la remarquable somme de John Paul Meier : Un certain juif, Jésus. Bien qu’aujourd’hui l’existence de l’homme Jésus soit admise par presque tous, croyants et non-croyants, cela ne répond pourtant pas à la question qui est-il ? Est-il un sage, un philosophe, un prophète ? Est-il le « Christ » comme le confesse Pierre ? Qu’a-t-il fait avant sa mort pour que l’on croie à sa résurrection ?
Avant tout, il redéfinit la loi : par son enseignement, par ses signes, par ses fréquentations. Sa proclamation n’est en rien un enseignement systématique, encore moins un code de morale. Il ne rend pas caduque l’existence de rituels, d’institutions, d’actes religieux collectifs, mais il affirme qu’il ne s’agit là que de moyens et non de fins. La véritable fin, c’est l’amour de l’autre. La loi et les rituels n’ont de sens que pour que l’homme apprenne à aimer. De manière ultime, le message de Jésus pourrait se résumer ainsi : adorer Dieu en vérité, c’est aimer son prochain. Dans son discours, comme dans sa pratique, il est toujours en prise avec une situation concrète et c’est dans ce contexte qu’il interprète la loi ; ainsi la vie prime toujours sur le rite. C’est ce qui autorise à guérir un jour de sabbat, sans pour autant disqualifier le sabbat. Dans cette optique Jésus est un humaniste, un sage.
On peut, assez aisément faire un pas de plus, et entendre le côté subversif de sa prédication. Il est le premier des anticléricaux, il dénonce avec virulence la religion qui se pratique à Jérusalem. Il refuse les doctrines de son époque, permettant désormais la critique systématique de toute religion qui se replie sur ses dogmes et qui sclérose ses institutions. Il refuse les rites inutiles, il mange et boit avec les moins que rien, il fréquente même les collabos. Il est tout à fait politiquement incorrect, il n’a de cesse de s’opposer aux institutions religieuses, aux conventions sociales. Il déstabilise, bouscule ; finalement, personne ne comprend trop. Pourtant, il ne fait jamais cela par pure provocation, il le fait parce qu’il connaît la valeur de l’humain, et qu’il refuse de le voir dévalorisé. Son interprétationde la loi est toujours du côté de la vie. Il s’inscrit dans la lignée des prophètes de l’Ancien Testament pour faire une lecture radicale de cette loi, pour la mettre au service de la justice sociale. Les guérisons qu’il opère sont avant tout des actes qui permettent de retrouver une dignité, une place dans la société. Il fait cela non pas en son nom personnel, mais au nom de Dieu. En cela, il est aussi un prophète comme Israël en a connus, il en adopte le ton, la dimension de scandale. Philosophe, prophète c’est assez facile à comprendre et même à croire. Nombre de nos contemporains, y compris chrétiens, ont du mal à aller plus loin. Lorsqu’on aborde la résurrection, Jésus fils de Dieu, c’est une autre histoire !
Pourtant, si déjà vous croyez cela : bravo ! Bravo, parce que lorsqu’on est sensible à ce message tout à fait subversif qui nous invite à aimer notre prochain et à nous engager pour lui, c’est essentiel ; cela change déjà concrètement notre existence. Être capable d’aimer, c’est aussi être en capacité de se libérer de la haine qui nous enferme. Aimer et se laisser aimer, cela bouleverse notre vie, cela nous révèle et nous r elève.
Encore faut-il s’entendre sur ce que signifie aimer : aimer c’est également croire. Jésus a aimé ceux dont il a croisé la route, mais avant tout il a cru en eux, il leur a fait confiance, c’est à eux de trouver leur chemin ; alors aimer son prochain c’est croire en lui ; l’aider parfois à découvrir qu’il est un être aimable et aimé. Si vous lisez l’Évangile, que vous en comprenez le coeur, d’une manière ou d’une autre cela va bouleverser votre vie. Parfois nous doutons peut-être trop de nous, et donc de Dieu. Nous sommes certainement appelés à aller plus loin sur ce chemin. Je crois pourtant que lorsque nous sommes déjà sensibles à la dimension éthique de la prédication et de la vie de Jésus, nous sommes probablement déjà en marche.
C’est ce qui se joue dans le dialogue entre Jésus et ses disciples (Mc 8,27-29) ; il se déroule en deux temps. « Qui suis-je au dire des hommes ? ». Les disciples répondent : Jean-Baptiste, Eli, un prophète… Jésus ne conteste en rien cela. C’est déjà juste. Pourtant il veut les amener plus loin. Et vous, vous mes proches, mes disciples, pour vous qui suis-je ? Pierre répond « tu es le Christ ». Cela se passe donc comme si il y avait deux niveaux : les hommes et les disciples, le niveau de (re) connaissance n’est pas le même. La première réponse est loin d’être disqualifiée. Elle semble renforcée par cette demande de silence de Jésus qui suit la confession de Pierre. Il leur commande sévèrement de ne parler de lui à personne. On s’est beaucoup interrogé à ce sujet. Mais c’est assez cohérent avec l’acte même du questionnement, car Jésus à aucun moment ne dit qui il est lorsqu’on le lui demande. C’est essentiel : c’est à nous de chercher, de trouver. Il n’est en rien un gourou qui voudrait nous endoctriner, et il n’est pas non plus quelqu’un que l’on pourrait enfermer dans une vérité. Lorsqu’il nous interroge, il remet en question toutes les prétentions humaines à détenir la vérité. Il ouvre la voie à « un autre que nous » c’est probablement là que se fait la reconnaissance. D’où le silence demandé aux disciples ; c’est aux hommes de trouver. Si déjà ils reconnaissent Jésus comme prophète, alors ils sont en chemin.
Qui dites-vous que je suis ? Question qui résonne pour nous, qui nous invite à nous situer. Est-il un sage, un philosophe, ou le Christ, le fils de Dieu ? Certes, il y a un saut qualitatif à faire pour passer de l’un à l’autre, le saut de la foi. Mais dans notre vie, il y a également des moments de doute ; si le premier message est compris, il nous permet de nous y accrocher et de ne pas sombrer. Croire et aimer, croire et se savoir aimé, c’est également comprendre qu’il n’y a pas une réponse unique à la question, qu’il ne peut y avoir une réponse correcte ou exacte, il n’y a pas d’orthodoxie. Croire ce n’est aucunement savoir, c’est être en capacité de continuer à chercher, et découvrir chaque jour quelle est ma relation avec « mon Jésus ».
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