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Mine de rien

La peur du jugement est a priori la leçon que nous transmet la parabole des mines (unités monétaires de l’époque de Jésus), aussi connue chez Matthieu sous le nom de parabole des talents. Elle met en scène un maître impitoyable et dix serviteurs qui se voient confier, à part égale, une partie de la fortune du maître.

 Comprendre cette parabole, c’est visiter un château médiéval qui comporte trois enceintes successives. Il faut les franchir, comme autant d’obstacles, pour arriver au coeur de l’édifice qui donne sens à l’ensemble.

 Un premier rempart est constitué d’un double éloge. Celui d’un libéralisme économique à tout crin, dont la morale pourrait se résumer dans le fameux mot du protestant Guizot : « Enrichissez-vous ». Et celui d’un pouvoir politique despotique présentant un maître qui élimine sans scrupules ses opposants et qui s’en vante ! Mais toute parabole naît et prend son sens dans un contexte économico-politique déterminé, ici celui de la Palestine romaine au Ier siècle de notre ère. Or, celle-ci connaît un bouleversement économique, principalement provoqué par la mondialisation des échanges que permet la pax romana. De plus, le droit juif laissait aux intendants des grands domaines une large autonomie de décision. Enfin, l’ombre tutélaire de l’impitoyable pouvoir impérial (et de ses roitelets inféodés) marque les mentalités. Bref, l’univers économico-politique de la parabole ref lète des comportements ancrés dans l’existence quotidienne des premiers lecteurs de l’Évangile.

 Le deuxième rempart est celui du public cible de la parabole. En effet, tout texte biblique a été écrit pour un public précis pour soit confirmer, soit contester ses opinions. Le contexte immédiat de l’évangile selon Luc (Jésus et Zachée 19,1-10 et l’entrée à Jérusalem 19,29-39) suggère qu’en rapportant cette parabole, Luc vient contredire les chrétiens qui considéraient que le Royaume de Dieu était déjà réalisé. Avec cette parabole s’affirme le contraire : le royaume n’est pas réalisé ; même pas au sein de l’Église naissante, puisqu’il faut encore faire fructifier les mines reçues. Les chrétiens restent dans le provisoire mouvant, en pleine responsabilité pourtant d’un trésor que l’on peut identifier à la vie même. La question que pose la parabole est de savoir ce que les disciples vont faire de la vie qu’ils ont reçue. Albert Schweitzer résumait l’essentiel de son éthique dans une formule simple : le respect de la vie. Respecter la vie, c’est la protéger là où elle est menacée ; mais aussi contribuer à la faire s’épanouir. Pour cela, la parabole invite à prendre des risques, à commettre des erreurs et des échecs ; mais à persévérer et à apprendre de nos erreurs et de nos échecs. Loin d’être des conservateurs repliés sur eux-mêmes et sur un dépôt immuable, les chrétiens sont invités à « faire des affaires », à prendre des risques. Ils sont responsables de faire fructifier la vie qui leur est confiée.

 Et c’est ainsi que nous arrivons au troisième rempart à franchir. Responsables certes, mais devant qui ? Devant Dieu bien sûr, mais devant quel Dieu ? Devant quelle image de Dieu ? La parabole nous présente une image divine peu libérale : un roi juge doublé d’un impitoyable despote. Mais à y regarder de plus près, cette image est celle que voit le dernier des serviteurs qui n’a pas fait fructifier ses mines. Il se représente son maître, qui avait confié dix mines à chacun avant de partir en voyage, sous les traits d’un homme injuste et sévère, un homme dont il a peur et qui le paralyse. Attentisme qui est justement l’attitude stigmatisée par la parabole ! Ne se pourraitil pas qu’en mettant en scène un maître cruel et ses conséquences sur l’humain, la parabole stigmatise cette image de Dieu ?

 C’est là sans doute que se trouve le coeur de la parabole. En nous interrogeant sur l’image que nous avons (et que nous transmettons autour de nous) de Dieu, la parabole nous invite à déconstruire une vision infantilisante et paralysante de Dieu pour que nous y substituions celle d’un Dieu qui nous fait confiance, qui reconnaît et encourage nos talents.

 Comme toutes les paraboles, celle-ci est inachevée ou plutôt elle appelle à un achèvement dans la vie de ses lecteurs.

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À propos Didier Halter

est pasteur au service de la Conférence des Eglises Réformées romandes (CH), il est directeur de l’Office Protestant de la Formation (www.protestant-formation.ch).

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