Parfois il faut supprimer le bois mort du passé pour laisser croître une vie nouvelle. En ce qui concerne l’histoire de Jésus, cette démarche devient vitale et urgente. Il y a des images pour expliquer Jésus qui ne méritent pas de survivre. Celle qui me semble la plus évidente est aussi, peut-être, la plus ancienne de toutes les interprétations de Jésus. Je pense à cette image du « divin sauveur ». Elle apparaît sous deux formes. En premier lieu, dans la rhétorique du prédicateur traditionnel : « Jésus est mort pour mes péchés. Il a versé son précieux sang sur la Croix du Calvaire pour mon salut. J’ai été lavé dans le sang de l’Agneau. Par le sacrifice de Jésus, j’ai été sauvé. La tache du péché sur mon âme a été effacée. » Ensuite, on la trouve dans la rhétorique, beaucoup plus sophistiquée de la théologie chrétienne académique, à travers les âges. « La théologie de la Croix ». Cette recherche a abouti à de nombreuses variations sur un thème considéré comme le dogme central du christianisme : la doctrine du rachat. Celle-ci prône, entre autres, une conception particulière du sens de la création, la chute de l’existence humaine dans ce qu’on appelle le « péché originel » et, enfin, l’oeuvre salvatrice de Jésus qui s’achève dans le relèvement du genre humain. Celle-ci, disait-on, avait permis le « rachat » par Dieu de la vie humaine, que célèbre cette doctrine de la rédemption.
Le langage du péché originel et du rachat a si longtemps circulé qu’on ne peut le mettre en doute et que sa structure fondamentale ne nécessite aucune explication. On peut le réactualiser, à la lumière de circonstances nouvelles, jamais le reconsidérer. Pourtant, en y regardant de plus près, ces concepts sacrés nous engagent dans une vision de la vie humaine qui n’est plus adaptée, dans une conception théiste de Dieu (NDLR : vison d’un Dieu extérieur et personnel) énoncée sous une forme qui nous rebute, dans une idée magique de Jésus qui blesse notre esprit et dans la nécessité pratique pour l’Église de mettre en lumière la culpabilité, comme condition préalable à la conversion.
La notion de Jésus Sauveur a tellement pénétré la manière par laquelle le christianisme se pensait qu’on peut difficilement l’imaginer sans elle. C’est peut-être la raison de l’imminence patente de l’écroulement de ce système religieux. La majeure partie de la tradition a été organisée pour servir la cause de cette notion de salut. La célébration du baptême présuppose l’opération de salut. Le culte originel eucharistique de l’Église, souvent appelé « sacrifice de la messe », reprend liturgiquement la vision salvatrice de Jésus. On a lu et interprété traditionnellement tout le corpus de la Bible, de manière à étayer cette interprétation particulière de Jésus Sauveur. La présence d’une croix ou d’un crucifix, comme symbole central du christianisme, l’atteste. C’est un raisonnement circulaire qu’il est difficile de pénétrer et c’est pourtant sa circularité même qui a donné au drame chrétien, tel que nous l’avons connu, sa cohésion originelle.
La Bible commence par le récit de la création, qui affirme qu’elle fut parfaite et achevée. Quand Dieu vit tout ce qu’il avait fait, dit le récit, Il déclara qu’elle était bonne et se reposa alors de ces travaux divins.
L’apogée de cette genèse fut le moment où Dieu créa l’homme et la femme et leur donna toute la création à gérer. Adam et Ève, poursuit le récit, vivaient dans la perfection du monde divin, le Jardin d’Eden, où ils baignaient dans une relation parfaite avec leur créateur. Dieu veillait à tous leurs besoins, la nourriture et l’eau abondaient. Dieu marchait même à côté de ces créatures humaines, en parfaite communion, dans la fraîcheur du soir. Selon ce texte, il y avait tout de même des limites à ne pas franchir, dans ce paradis. La première famille humaine avait accès à tout ce qui se trouvait dans le jardin, sauf à un arbre, celui de la connaissance du bien et du mal, planté au milieu de ce jardin. Le fruit de cet arbre était le « fruit défendu ». Ils ne devaient pas en manger, car il était dit que, s’ils le faisaient, leurs yeux s’ouvriraient et ils sauraient distinguer le bien du mal. C’était un mythe séduisant (Gn 2,5 – 3,24) et presque toute l’histoire chrétienne l’a pris au pied de la lettre.
Adam et Ève bravèrent l’interdit et mangèrent du fruit défendu. On avait désobéi à Dieu. La perfection de la création était anéantie. La vie humaine était tombée dans le péché.
Les effets de cette chute furent immédiats et durables. Les yeux d’Adam et d’Ève s’ouvrirent. Ils comprirentqu’ils étaient des individus séparés de Dieu. Ils ressentirent honte et culpabilité et couvrirent leur nudité de feuilles de figuier. Quand Dieu vint se promener avec eux, ce soir-là, ils le virent, non pas comme leur créateur, l’origine de leur vie, mais comme leur juge, le révélateur de leur culpabilité. En conséquence, ils se dérobèrent aux regards de cette divinité, parmi les buissons du Jardin d’Eden. La communion était brisée. L’inévitable réaction humaine fut un blocage égocentrique.
Le Paradis était perdu. Dorénavant, la vie serait une lutte. Le serpent ramperait sur son ventre et mangerait la poussière pour l’éternité. La femme enfanterait dans la douleur, tout au long de la croissance de l’humanité. L’homme gagnerait sa vie à la sueur de son front, en une lutte incessante pour survivre. Enfin ils mourraient tous. L’immortalité, qui était l’apanage des êtres créés à l’image de Dieu, n’existait plus. La mort serait le destin universel de ceux que le péché originel d’Adam et Ève avait souillés. À cause de ce péché commis par les premiers hommes, toute vie humaine, affirmait-on, naîtrait dans le péché et subirait la mort, conséquence ultime du péché. L’universalité de la mortalité humaine était signe de l’universalité du péché humain. C’était le péché originel, le péché qui concernait tout le monde. Toute vie avait besoin de rédemption. Toute vie demandait un sauveur. Cela devenait la clef de voûte de l’histoire chrétienne, telle qu’on l’a annoncée de manière traditionnelle.
Selon cette thèse, Dieu entama le processus de rédemption par l’élection d’un peuple particulier grâce auquel il réaliserait toute l’opération divine du salut. Mais, pourquoi Dieu avait-il eu besoin de milliers d’années pour l’achever ? Question laissée sans réponse… comme pour dire : c’est ainsi.
L’histoire chrétienne du salut a été racontée sous forme de mythe. Elle commença de façon modeste, dit le texte, avec l’appel d’Abraham. (Gn 12,1-3). Ses descendants devaient former un peuple plus nombreux que les étoiles du ciel ou les grains de sable sur le rivage (Gn 22,17). Au cours de son essor, cependant, cette nation dut expier régulièrement ses péchés. Sous la conduite de Joseph, ce peuple émigra en Égypte et connut un temps d’esclavage. L’histoire du salut recommença pourtant, environ quatre cents ans plus tard, avec Moïse et l’exode. Dieu, par l’entremise de Moïse, mena le peuple libéré de sa servitude au Sinaï où il reçut la loi de Dieu appelée Torah (Ex 19-20). Elle devait être un guide capable de ramener ce peuple déchu à l’état de grâce. L’espoir d’une rédemption finale reposait sur cette opération car l’hypothèse suivante allait se développer : si un seul enfant d’Israël pouvait, l’espace d’une journée, observer tous les commandements de la Torah, le Royaume de Dieu viendrait, et un nouveau Jardin d’Eden, où l’on suivrait toujours la règle de Dieu, serait établi. La loi devait donc permettre à Israël de sortir du statut de pécheur et de la déchéance. Aucun des fils d’Israël ne respecta parfaitement la Loi pendant vingt quatre heures, et la quête du salut dans l’histoire se perpétua.
Un système sacrificiel se développa dans le monde antique, pour aider à combler le prétendu gouffre entre les créatures déchues et le Dieu Saint. Israël y participa, en insérant dans sa vie liturgique un jour appelé Yom Kippur, consacré à ce sentiment de culpabilité humaine et à la prière pour le rachat ou le rétablissement. Ce jour était marqué de deux rites : l’aveu public des péchés du peuple, entassés solennellement sur le dos d’un bouc. Ainsi chargé, cet animal, appelé bouc émissaire, était chassé vers le désert ; on croyait qu’il emmenait les péchés des Hommes et qu’il expiait leurs fautes (Lv 16).
Le deuxième rite de Yom Kippur consistait à offrir en sacrifice l’agneau du rachat (Lv 23,26-32). On examinait cet agneau rituel, pour s’assurer qu’il était physiquement parfait. La vie humaine déchue dans le péché, devait se présenter devant Dieu sous le symbole de quelque chose de parfait. L’agneau étant sous-humain, était donc incapable d’immoralité, puisque la morale requiert la capacité de choisir le mal. Ainsi on offrait à Dieu, pour racheter, ou même expier les péchés du monde, un sacrifice moralement et physiquement parfait, mais encore sous-humain. On croyait qu’être humain signifiait être pécheur. Paul, plus tard, mettrait cela noir sur blanc : « Tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu » (Rm 3,23). Ainsi le don de la loi et le culte sacrificiel étaient les démarches qu’adoptaient les humains pour traiter la pr étendue culpabilité désespérante du peuple. Être homme , par définition, c’était être mauvais, déchu et dans la nécessité de salut.
Les premiers leaders chrétiens ont prétendu que le mouvement prophétique d’Israël n’a été qu’ un aspect supplémentaire de l ’ effort incessant de Dieu pour ramener la création déchue à sa perfection initiale . Les prophètes étaient les porteparole charismatiques de Dieu, issus de la structure gouvernementale de ce temps, pour ramener ce peuple au chemin de la vertu. En fait, les prophètes ont échoué dans cette mission, cependant ils ont mis toutes leurs forces à essayer d’atteindre ce but. Si les prophètes n’ont pas réussi à ramener le peuple à leur destinée du Jardin d’Eden, du moins ont-ils orienté le regard vers ce moment à venir où la rédemption, finalement, s’accomplirait et où le salut serait, enfin, réalisé.
C’est cette conviction d’une humanité pécheresse et nécessitant une rédemption, qui a tissé un lien étroit entre culpabilité et religion, dans l’histoire du monde occidental. Le pouvoir de la religion occidentale a toujours reposé sur la faculté d’interpréter et de manipuler cette imperfection humaine qui s’exprime par la culpabilité. Ce système religieux affirme que le but de la vie est d’être bien, libre, en union avec le créateur ou avec la source de vie. C’est ce qui rend si vif ce sentiment d’aliénation. Les hommes, conscients de ne pas être ce pour quoi ils avaient été créés, cherchaient à se cacher. Nous nous cachions de Dieu, des autres, de nous-mêmes.
Au cours des siècles, les leaders religieux ont apprisà exacerber ces sentiments de culpabilité, pour mieux diriger la conduite des hommes . L’entreprise chrétienne qui a dominé le monde occidental , a façonné des leviers de culpabilité tels que la confession, la pénitence , les oeuvres de surérogation [NDLR : ce qu’on fait au-delà de ce qui est dû] et les messes pour les défunts.
Le trait de génie , qui a permis au pouvoir ecclésiastique d’atteindre son but, jaillit lorsqu’on rattacha la culpabilité humaine omniprésente à la réalité universelle du désir, particulièrement du désir sexuel. Ce fut en grande partie l’oeuvre du christianisme. On rendait les hommes coupables de leurs désirs sexuels. Le sexe, c’était le mal. Il était présenté comme l’héritage d’Adam. Nous étions des créatures déchues, en quête de salut.
Cette tournure d’esprit s’est emparée de l’expérience de Jésus. Son rôle ainsi que la conscience de notre imperfection, se sont trouvés très vite liés, dès avant la mort de la première génération de chrétiens. On considéra la mort de Jésus en termes de péché et de salut, premier pas franchi au moment où Paul écrivait aux Corinthiens, au milieu des années cinquante. Le Christ était mort, disait Paul, « pour nos péchés » (1 Co 15,3). Nos péchés, en quelque sorte, exigeaient sa mort. Il s’immolait pour nous.
Dans le premier évangile qui ait été rédigé, le mot « rachat » était employé (Mc 10,45). La vie de Jésus était une rançon payée pour la multitude. L’évangile de Marc, suivant sans doute l’idée de Paul, fut le premier à placer les détails narratifs de la mort de Jésus dans le contexte de la Pâque, de sorte que, très vite, Jésus fut identifiéà l’agneau pascal sacrifié pour briser le pouvoir de la mort. Cette histoire, présente dans le livre de l’Exode, formait le centre de la liturgie juive, célébrant son événement fondateur. Dieu avait rendu la libération possible en envoyant l’ange de la mort tuer les premiersnés, dans toute l’Égypte. Les juifs furent épargnés lorsqu’ils tuèrent l’agneau pascal et enduisirent de son sang les montants de leurs portes. Dans la nouvelle interprétation chrétienne de cet événement, le sang de l’agneau pascal était maintenant remplacé par le sang de Jésus. Ce nouvel agneau pascal avait versé son sang sur la croix, qui devenait en quelque sorte la porte du monde, brisant ainsi le pouvoir de l’ange de la mort. Nous autres humains devions nous présenter devant le Seigneur par le sang de ce nouvel agneau pascal. L’idée de Jésus, sauveur de l’humanité déchue, prenait un vibrant départ.
Au moment où fut écrite l’Épître aux Hébreux, sans doute dans les années quatre-vingt, le cycle fut achevé. Ce texte fit entrer solidement dans la pensée chrétienne, l’idée selon laquelle Jésus, dans sa mort, avait été l’offrande parfaite si longtemps recherchée dans le rite d’expiation de Yom Kippur. Tout d’abord, Jésus était physiquement parfait : « Il possédait tous ses os, aucun n’était brisé » (Ex 12,46 ; Ps 34,20 ; Jn 19,36). Il était aussi sans péché. C’était le fils parfait d’Israël qui avait observé tous les commandements de la Torah et atteint la perfection morale. Aussi son sacrifice rendait-il tous les autres inutiles. L’abîme séparant la vie humaine de Dieu avait été comblé. Dieu disait-on, avait envoyé son Fils pour « payer le prix de nos péchés », pour être le sacrifice parfait, pour briser l’emprise du péché et du démon sur la vie humaine. Il avait triomphé de la chute et brisé le pouvoir de la mort. « De même que tous meurent en Adam, tous aussi revivront dans le Christ » (1 Co 15,22), disait Paul à propos de Jésus.
Saint Augustin renforça la théorie du rachat réalisé par Jésus.
La tradition de la naissance virginale lui sembla très importante. Les récits de naissance virginale étaient littéralement vrais pour lui, et absolument nécessaires au salut lui-même. En effet le salut n’aurait pas pu s’opérer, selon lui, en dehors de la naissance virginale (dans un sens littéral).
Le raisonnement, en filigrane, était clair : le péché d’Adam se transmettait sexuellement de père en fils. La vie humaine naissait dans le péché d’Adam auquel nul ne pouvait se dérober. Le sauveur requis pour accomplir cette tâche rédemptrice ne pouvait être, lui-même,victime de ce péché. Dégager Jésus de la chute, c’est ce que fit, selon Saint Augustin, la naissance virginale. Le péché d’Adam ne souilla pas l’humanité de Jésus parce que le Saint Esprit de Dieu était son père. Il n’était donc absolument pas un enfant d’Adam. On croyait, à cette époque, que la femme ne participait ni génétiquement, ni physiologiquement, à la conception de l’enfant ; elle se contentait d’amener la « semence » masculine à maturité, de sorte que la déchéance de l’humanité de la femme ne fut pas un problème.
Plus tard, quand on comprit le rôle féminin comme co-créateur génétique, il fallut revoir cette question, sinon le sauveur lui-même aurait été souillé, via sa mère (qui était aussi une fille d’Ève) par le péché d’Adam. Au XIXe siècle, la tradition catholique l’a résolue grâce à la doctrine de l’Immaculée Conception de la Sainte Vierge. Elle fut miraculeusement indemne de la corruption du péché d’Adam. Sa conception fut sans tache. Grâce à l’intervention de la puissance du Dieu Saint, la Vierge ne put, à cause de sa conception immaculée, transmettre au sauveur les conséquences du péché d’Adam. Le salut était ainsi assuré ; par ses origines, Jésus, le sans péché, avait les qualités requises pour être une offrande parfaite. Ce faisant, il avait enlevé le péché du monde. Son sang nous avait lavés de nos souillures. Par le sang du Christ, nous étions sauvés (Rm 5,9 ; He 9,12). L’image de Dieu présenta un sens de la justice qui réclamait un sacrifice sanglant. Pour justifier ce point de vue, on utilisait un passage de l’Épître aux Hébreux (9,22) qui déclarait : « sans effusion de sang, il n’y a pas de pardon des péchés ». On a dit ensuite que Dieu exigeait cette offrande de Jésus. On appliquait à Jésus l’image du serviteur souffrant du Deuxième Ésaïe : « c’est grâce à ses plaies que nous sommes guéris. » Dieu le Père, disait-on, avait placé sur le Fils toutes nos iniquités (Es 53,5-6).
Les chrétiens se sont rarement arrêtés pour se rendre compte qu’ils avaient métamorphosé Dieu en ogre. Un père terrestre qui clouerait son fils sur une croix, quelle que soit son intention, serait arrêté pour maltraitance. Pourtant, on continuait à le dire de Dieu, comme si cela le rendait plus saint et plus digne d’adoration.
Cette vision du christianisme est de plus en plus difficile à admettre.
Cet effilochement commença quand on prit conscience qu’Adam et Ève n’étaient pas nos premiers parents et que toute vie ne descendait pas de ces deuxlà. La théorie de l’évolution a rendu Adam et Ève tout au plus légendaires.
Il est clair que la vie humaine a subi un processus d’évolution qui a duré entre 4,5 et 5 milliards d’années. Il n’y a pas eu de premiers parents, de sorte que leur acte initial de désobéissance ne pouvait aucunement affecter l’ensemble de la race humaine.
Attribuer la bonté à la création implique que l’oeuvre de la création est achevée. Darwin nous a fait comprendre qu’elle ne l’est pas encore aujourd’hui. Des galaxies continuent de se former, la vie humaine évolue encore. Voilà que s’écroulait la charpente mythologique tout entière dans laquelle et par laquelle la figure du Christ avait été enfermée. Qu’est-ce que le péché ? Ce n’est pas, ce ne sera jamais l’aliénation de la perfection pour laquelle Dieu nous avait destinés à la création, puisqu’il n’y a pas de création parfaite. Il n’y eut donc pas de chute dans le péché. Nous n’avons pas littéralement été créés à l’image de Dieu. Nous avons simplement évolué, à partir de formes inférieures de vie et avons fini par développer la conscience.
Ce concept d’une chute primitive de la vie humaine dans le péché, quel sens peut-il avoir pour ces êtres qui viennent d’arriver sur la scène du monde et qui n’ont aucune assurance du caractère définitif de leur séjour ? Comment imaginer une chute dans le péché s’il n’y a jamais eu de perfection d’où tomber ? Quelle serait cette divinité qui exigerait de nous une offrande sacrificielle pour combler un abîme qui, nous le savons maintenant, n’a jamais existé ? Pourquoi serait-on attiré vers l’image d’un divin sauveur qui paierait, en s’immolant, le prix du péché ? L’interprétation traditionnelle de l’histoire du salut, comme les diverses théories de la rédemption, achoppent alors et s’écroulent ; parmi elles, l’interprétation donnée traditionnellement à la croix du Calvaire. Toutes ces interprétations nous engagent dans des images de divinité extérieure, agissant humainement comme un représentant capricieux de l’autorité, mécontent de la conduite humaine, et exigeant une espèce de restitution. Elles nous engagent dans une définition de la vie humaine pécheresse et déchue. Or cette divinité externe est tout simplement morte de nos jours, et ces approches de la vie humaine qui nous conduisent à espérer et à attendre des actes sacrificiels de réparation sont absurdes.
La plus grande partie du langage traditionnel sur le Christ est devenue inefficace. Jésus, présenté comme agent divin de l’opération de salut, n’est pas un Jésus qui séduira les citoyens de ce siècle ; il ne leur dira pas grand-chose.
Nous les humains, ne vivons pas dans le péché. Nous ne sommes pas nés dans le péché. Nous n’avons aucun besoin d’un baptême pour enlever la tache du péché originel. Nous ne sommes pas des créatures déchues, nous ne serons pas damnés si nous ne sommes pas baptisés.
Nous sommes sortis, plutôt, de notre passé évolutionnaire, et nous sommes encore en train de nous faire. Notre manque d’intégrité est le résultat de ce fatras que nous portons, nous les rescapés de ce long et difficile passé. Nous portons ce que le biologiste anglais Richard Dawkins a appelé le « gêne égoïste ». Si nous sommes engagés dans un combat pour la survie, nos instincts, même les plus nobles, s’écroulent et notre égocentrisme fondamental nous fait entrer, comme toujours, dans une lutte sans merci. C’est tout simplement la peinture de ce que nous sommes. Voilà ce que veut dire être humain.
Un sauveur qui nous ramène à notre état d’avant la chute, est donc superstition pré-darwinienne et absurdité post-darwinienne. Un rédempteur surnaturel qui vient dans notre monde déchu, restaurer la création, est un mythe théiste. Il faut débarrasser Jésus de ce rôle de sauveur. Cependant, nous l’avons si bien enfermé dans cette interprétation que beaucoup d’entre nous ne savent comment en parler, sinon le réduire au rôle de bon maître ou de bon exemple. Si l’expérience du Christ n’avait été que cela, je doute fort qu’elle ait survécu. Pourtant Jésus, tel que l’affirmation du credo le dépeint (quelqu’un qui, pour nous et pour notre salut, est descendu du ciel), ne veut rien dire pour notre monde. Il faut extirper et bannir ces concepts. Si l’expérience du Christ est réelle, il nous faut trouver une nouvelle manière d’en parler.
Pour l’heure, je dirai seulement que cette vision traditionnelle surannée du Christ est morte, en tant qu’alternative possible. Si nous n’acceptons pas cela, nous ne pourrons avancer. Ce seul fait annonce l’aube d’un changement de fond en comble dans le paysage théologique.*
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