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Le protestantisme et les quêtes spirituelles contemporaines

La religion traditionnelle n’attire plus les foules. Mais l’homme reste en quête de spiritualité, car les questions existentielles profondes demeurent. Michel Cornuz propose une théologie responsable pour répondre à cette soif de spirituel, et rendre compréhensibles aujourd’hui les symboles chrétiens fondamentaux.

De nombreux ouvrages de sociologie des religions décrivent et analysent les « métamorphoses » du religieux contemporain. Il n’est pas question ici de reprendre ces analyses, mais plutôt de réfléchir à notre témoignage protestant dans ce nouveau paysage spirituel. Ces nouvelles quêtes spirituelles, caractérisées notamment par un « réenchantement du monde », un retour à une certaine forme de pensée « magique », une redécouverte de l’intériorité, un brassage des différentes traditions religieuses sans souci de cohérence, le tout dans un horizon de développement personnel, semblent totalement étrangères à notre héritage protestant. D’ailleurs, peu de voix (à part dans les milieux évangéliques, qui répondent de manière frontale à ces nouvelles spiritualités) se font entendre pour ouvrir un dialogue exigeant et constructif. La plupart du temps, les pasteurs et théologiens, ainsi que les Églises, réagissent au mieux par une indifférence condescendante, au pire par le mépris.

Il me semble qu’il y a pourtant un enjeu pastoral et théologique majeur. Pastoral d’abord : selon des enquêtes sociologiques récentes en Suisse, il n’y a plus qu’une infime minorité de personnes qui affirment adhérer pleinement à la confession de foi d’une Église (moins de dix pour cent), mais cela ne signifie pas que le reste de la population soit athée. De fait, les personnes interrogées sont encore moins nombreuses à se déclarer athées convaincues. La grande majorité se réclame de certaines valeurs religieuses, d’une certaine pratique aussi (notamment de la prière), est plus ou moins proche d’une Église, y recourt pour des actes ecclésiastiques, mais tout en gardant une distance avec l’enseignement officiel. Quel accueil faisons-nous pastoralement (et communautairement) à de telles demandes pas toujours « orthodoxes » ? N’avons-nous pas tendance à nous replier sur une pureté identitaire et à refuser la confrontation ? Le risque n’est-il pas que nous ne parlions alors plus qu’aux militants et délaissions totalement le reste de nos contemporains, en quête (voire en errance) spirituelle ? L’enjeu est aussi théologique, car si nous voulons vraiment prendre au sérieux la nouvelle donne religieuse et entrer en dialogue avec nos contemporains « mal-croyants », cela nécessite que, confrontés à l’étrangeté et à l’altérité de certaines conceptions religieuses contemporaines, nous acceptions de nous laisser interpeller en profondeur et que nous remettions en question nos a priori dogmatiques.

Pour nous aider à percevoir comment pourrait se vivre une telle rencontre, j’aimerais m’inspirer très librement de la méthode de corrélation chère à Tillich. Dans cette perspective, l’effort théologique est conçu comme l’interprétation constante des symboles de la foi en tant que « réponses » aux questions fondamentales que l’homme se pose dans telle situation spirituelle. Deux écueils sont à éviter :

La réponse est issue directement de la question. Le théologien chrétien ne fait alors que « baptiser » une demande, récupérer une certaine problématique de manière non critique. Au niveau pastoral, cela signifie une réponse immédiate et comblante aux besoins spirituels des personnes, sans recadrage.

Le deuxième écueil est d’opérer une confrontation massive au nom d’une Vérité éternelle et intangible (que ce soit la « Bible » ou un quelconque « catéchisme »). Là, les « réponses » sont massives, mais tombent à plat, car les questions ne sont pas prises en considération. Sur le plan théologique, on se situe tout de suite au niveau des systèmes incompatibles, sans prendre en compte le côté existentiel de certaines problématiques (par exemple les discussions autour de résurrection et réincarnation ou l’idée d’un Dieu personnel). Au niveau pastoral, cette attitude se caractérise par un refus d’entrer en matière et de rencontrer le « questionneur » sur son terrain.

 

 La méthode de corrélation évite ces deux écueils. Elle nous invite d’abord à rechercher et prendre en compte les interrogations existentielles profondes et fondamentales qui sont sous-jacentes aux quêtes spirituelles contemporaines, même si ces « quêtes » peuvent nous sembler au premier abord exotiques ou farfelues : par exemple, derrière la demande de « médecines alternatives » (un des lieux importants de cette nouvelle spiritualité) se cachent des préoccupations essentielles sur le lien entre l’homme et la nature, sur notre appartenance au « cosmos » (avec une critique par rapport à une raison uniquement technicienne et instrumentale), sur l’unité de l’être humain, sur le lien entre guérison et salut, etc. Nous pouvons aussi découvrir que ces questions fondamentales ne nous sont pas étrangères, que, même si nous les problématisons différemment, avec un autre cadre de pensée ou d’autres références philosophiques, ces préoccupations, ces « soifs » sont aussi les nôtres en tant qu’êtres humains, croyants et théologiens. Cette prise en compte est importante, pour que nous ne nous situions pas uniquement du côté de « la réponse », avec une certaine condescendance pour ces personnes en quête spirituelle et parfois en dérive. Nous sommes aussi en quête, et nous ne « possédons » pas la réponse ; en tant que chrétiens, nous confessons recevoir un éclairage à ces questions d’au-delà de nous-mêmes. Dans cette attitude, nous pouvons alors travailler sur les zones archaïques en nous (nos peurs, nos culpabilités, nos ombres, nos conceptions « magiques », nos « fanatismes », etc.) qu’une théologie un peu trop policée laisse bien souvent dans le refoulement et nous laisser évangéliser avant de vouloir évangéliser autrui. C’est ainsi que nous pourrons risquer une théologie « responsable », une théologie qui réponde aux soifs spirituelles de nos contemporains (sans nous en extraire) en étant attentifs à toutes ces préoccupations, ces recherches de sens, sous-jacentes à cette nouvelle « spiritualité », mais qui réponde aussi de la tradition biblique et de notre ancrage dans la foi protestante.

S’ouvrent alors devant nous des pistes de recherche passionnantes pour notre témoignage chrétien au sein de ce nouveau monde religieux, sans repli identitaire, mais sans dissolution non plus dans des idéologies à la mode ! Il s’agit bien plutôt de prendre au sérieux les questions existentielles de nos contemporains, et tout autant au sérieux la « différence » chrétienne, qui ne fait pas simplement corps en continuum avec ces aspirations. Au niveau théologique, il nous faudra remettre en question certains de nos préjugés pour permettre aux « symboles de la foi » de trouver leur pertinence dans notre culture religieuse. Par exemple, entre autres, en développant une théologie de l’Esprit, qui nous permette de concevoir un « divin » immanent à sa création et à ses créatures, de redécouvrir la notion « d’énergies divines » si chère à la tradition chrétienne orientale, de ne pas simplement opposer de manière un peu simpliste transcendance à immanence et de promouvoir un réel accomplissement humain. Nous pourrions aussi dans cette lignée reprendre à nouveau frais le symbole de la Trinité afin de dépasser la figure « théiste » d’un Dieu personnel. Ce ne sont que des exemples de « chantiers théologiques » pour rendre simplement compréhensibles aujourd’hui, dans notre horizon spirituel, les symboles chrétiens fondamentaux. Au niveau pastoral, l’accueil respectueux des aspirations spirituelles ne pourra s’opérer sans un esprit de discernement et de recadrage. Car, là également, il y a une différence chrétienne : la spiritualité ne vient pas simplement combler les besoins religieux des humains, mais elle aide à creuser, à l’infini, le désir.

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À propos Michel Cornuz

Michel.Cornuz@evangile-et-liberte.net'

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