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Frank Martin, compositeur « protestant »

Les oeuvres de ce compositeur suisse du XXe siècle, peu connu, laissent transparaître son protestantisme.

Fils, frère et cousin de pasteurs, le compositeur suisse Frank Martin est né à Genève en 1890, mort à Naarden, en Hollande, autre terre protestante, en 1974. « En tant que fils de pasteur », disait-il dans l’un de ses Entretiens avec le philosophe Jean-Claude Piguet, « et en tant que fils de pasteur non révolté, la religion m’a marqué doublement, ce qui se voit aux oeuvres que j’ai écrites plus tard, qui sont nettement religieuses. » Le catalogue de ses oeuvres comprend en effet plusieurs pièces d’envergure en relation avec des thèmes bibliques : Cantate de la Nativité (1929), In Terra Pax (1944), Golgotha (1945-48), Requiem (1972), sans oublier les très protestants Psaumes de Genève (1958). Pour In Terra Pax et Golgotha, Martin a d’ailleurs choisi lui même les textes bibliques qui en constituent le livret. Il n’est cependant pas un compositeur « religieux » au sens usuel et un peu dépréciatif de ce terme : il a composé de très nombreuses oeuvres relevant ce que l’on qualifie d’ordinaire de musique « profane ». Dans son cas, ces adjectifs si fortement connotés n’ont de tout manière guère de sens. Sa très allègre Nique à Satan ou son narquois Monsieur de Pourceaugnac font carrément rire, mais d’un rire qu’on a envie de qualifier de sainement protestant.

  Frank Martin disait être animé d’une « bonne foi chrétienne », mais délestée de toutes sortes de croyances qui, à son sens, n’expriment pas l’essentiel de cette foi. « N’y a-t-il pas » écrivait-il à Jean-Claude Piguet, « une façon de comprendre le monde, l’humanité, Dieu, comme on comprend la musique ? En tout cas, ce que j’en comprends, c’est de cette façon-là. Mais on ne peut pas le dire, ou tout au moins ne peut-on le dire qu’en symboles, en paraboles ; ou bien il faut le dire en musique pour les quelques-uns qui savent l’entendre à travers ces pauvres notes qu’on arrange patiemment. »

  Pour bien entendre sa musique, si personnelle et parfois si exigeante, il faut aussi savoir comment il « arrangeait ces pauvres notes » : « Avant [cet arrangement] il n’y a que l’impression vague de quelque chose qui doit se réaliser ; souvent cette impression est plus visuelle qu’auditive ; on pense à un passage, à des couleurs, ou encore à telle émotion toute personnelle ou produite par un ouvrage littéraire. Tout cela est favorable. Où le danger commence, c’est lorsque cette rêverie, qui est comme un pressentiment de l’oeuvre à faire, vient s’attacher à un souvenir d’ordre musical, que ce soit à une oeuvre étrangère, classique ou moderne, ou à une de ses propres compositions. Car alors, il faut commencer par détruire cette image qui occupe la place où devrait naître la musique nouvelle. »

  Frank Martin se méfiait en effet des modèles musicaux érigés en absolu, comme on peut être tenté de le faire d’un style musical plutôt que d’autres – une tentation fréquente dans le domaine musical. Le protestant, en lui, ne pouvait y voir qu’une forme d’idolâtrie, celle qui fait de l’oeuvre d’art un absolu. « Aucune oeuvre humaine n’est parfaite. »

  Le pasteur Bernard Martin, qui était son cousin et qui est aussi l’un de ceux qui ont su parler de sa musique avec le plus de judicieuse empathie, raconte qu’un soir, au dîner, après une longue journée de labeur, Frank dit avec satisfaction : « Aujourd’hui, j’ai bien travaillé ! J’ai écrit deux mesures. » Et Bernard Martin de signaler combien cette simple remarque « est absolument représentative du refus de Frank Martin de céder à toute tentation de facilité. Il ne lui était possible de poursuivre [la composition en cours] que lorsque ces deux mesures auraient trouvé leur place et la forme précise qui devait, à la fois, les relier fermement à ce qui précédait et ouvrir la porte à la suite de la construction. » Cette simple anecdote peut aider à mieux écouter et comprendre la musique de Frank Martin.

  • Ouvrages de référence : Frank Martin, Un compositeur médite sur son art. Extraits et pensées recueillis par sa femme Neuchâtel, La Baconnière, 1977 ; Bernard Martin, Frank Martin ou la réalité du rêve, ibid. 1973.

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À propos Bernard Reymond

né à Lausanne, a été pasteur à Paris (Oratoire), puis dans le canton de Vaud. Professeur honoraire (émérite) depuis 1998, il est particulièrement intéressé par la relation entre les arts et la religion.

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