Être chrétien n’implique pas le rejet de toute croyance d’autre origine. Un chrétien peut très bien approuver certaines idées venues de religions diverses, sans que sa propre foi se « dissolve ».
Ma réponse est naturellement que cela dépend de quelles croyances il s’agit. Certaines croyances d’autres religions « dissolvent » certainement la foi chrétienne. Ainsi certaines traditions juives considèrent que Jésus prétendait à tort être le Messie. Celui qui adopterait ce point de vue verrait certainement se dissoudre sa foi chrétienne. Néanmoins, affirmer que Jésus n’a pas accompli le rôle du Messie ne dissout pas nécessairement la foi chrétienne. La pensée chrétienne elle-même a bien souvent estimé que Jésus avait lui-même rejeté le rôle traditionnellement attribué au Messie, et si l’on affirme que Jésus était « l’oint » c’est seulement dans le sens de ce que Jésus a réellement accompli. Laisser les Juifs définir eux-mêmes ce que devrait être le Messie puis déclarer que Jésus ne s’était pas conformé à ce rôle et n’était donc pas le Messie, est une pétition de principe et ne dissout en rien la foi chrétienne.
En ce qui concerne le déni bouddhiste de Dieu, il faudrait d’abord comprendre ce que les bouddhistes veulent dire. Les premiers chrétiens étaient accusés d’athéisme parce qu’ils récusaient l’existence de nombreux Dieux. Il est vrai qu’aujourd’hui certains bouddhistes récusent l’existence d’absolument tout ce que les chrétiens pourraient désigner par « Dieu », « créateur », « Esprit » ou « Abba ». Accepter ce refus serait une dissolution effective de la foi chrétienne. Mais les choses ne sont pas toujours si radicales.
La négation de la divinité par les premiers bouddhistes ne visait pas les chrétiens mais les hindous et leur croyance en Brahman. Celle-ci ressemble à la compréhension médiévale de l’ « esse ipsum » (l’Être en soi) qui était souvent identifié à Dieu mais n’a qu’une très lointaine ressemblance avec l’ « Abba » que Jésus priait. Le Brahman fonctionne comme la substance fondamentale en laquelle s’enracine tout ce qui existe et les bouddhistes ne croient pas à l’idée de substance. Cela dérange de nombreux chrétiens qui se considèrent eux-mêmes comme « substance », ainsi que Dieu luimême. Mais dans la théologie du process nous sommes d’accord avec la critique que font les bouddhistes de la notion de substance et nous ne pensons pas qu’elle nous éloigne de la foi biblique.
Les bouddhistes ne croyaient pas aux nombreux Dieux hindous. Les uns récusaient leur existence ; d’autres se disaient tout simplement non concernés par les Dieux. Il n’y a pas de raison pour les chrétiens de récuser la position bouddhiste. Mais si nier l’existence de « Dieu » signifie qu’il n’y a rien au-delà et au-dessus de nous vers qui diriger notre fidélité, notre prière, notre foi, c’est alors une véritable dissolution de la foi chrétienne.
Il s’agit, dans ces exemples, d’enseignements négatifs. Mais prenons un exemple positif, par exemple dans l’islam qui dit que Mohamed est « le » prophète de Dieu. Approuver cette affirmation dissoudrait-il la foi chrétienne ? Ici encore je dirais que cela dépend. Dire que Mohamed est « un » prophète ne dissout certainement pas la foi chrétienne. Même si l’on juge que par son impact sur la société et l’histoire du monde, Mohamed a été le plus grand des prophètes, la foi chrétienne demeure intacte. D’ailleurs parmi les musulmans il s’en trouve qui ont une très grande considération pour Jésus. Il est certain que la doctrine musulmane est unrejet clair de l’affirmation de certains chrétiens que Jésus est « le prophète suprême ». Mais selon la tradition prophétique habituelle on n’est pas obligé de dire que Jésus est d’un type unique. Distinguer Jésus des prophètes pourrait même obliger les chrétiens à préciser leur pensée. Une dissolution de la foi chrétienne ne pourrait venir que de l’idée que le statut de « prophète » serait le plus important, de sorte qu’on devrait suivre le plus grand des prophètes plutôt que celui en qui la présence de Dieu est la plus manifeste. Ce n’est pas du tout le cas.
John B. Cobb , né en 1924, est un théologien nord-américain de tout premier plan et l’un des principaux représentants de la théologie du Process. Auteur de plus d’un trentaine d’ouvrages, traduits et publiés dans de nombreux pays, John Cobb a consacré de nombreuses études au thème du pluralisme et du dialogue interreligieux. On lira notamment de John Cobb, Dieu et le monde et Thomas pris de doute publiés aux éditions Van Dieren, ainsi que l’introduction à son oeuvre et à la théologie du Process proposée par André Gounelle : Le dynamisme créateur de Dieu, publié aux éditions Van Dieren. Raphaël Picon a également consacré un ouvrage à John B. Cobb : Le Christ à la croisée des religions, éditions Van Dieren, 2003.
Fondamentalement, être authentiquement chrétien, c’est être christocentrique. Cela peut évidemment être compris de plusieurs manières différentes – et d’ailleurs cela se discute passionnément : le centre de la foi chrétienne est-il la vie et l’enseignement de Jésus, le témoignage apostolique concernant Jésus, le salut réalisé par la croix, la relation unique de Jésus à Dieu manifestée par sa résurrection ou encore l’incarnation qui fait connaître Dieu en un être humain ? Être christocentrique n’implique pas de rejeter les sagesses des autres traditions spirituelles, bien au contraire. Mais cela implique de vérifier que telle ou telle sagesse est compatible avec une pensée christocentrique, sinon elle dissout évidemment la foi chrétienne.
De nombreux chrétiens pratiquent et apprécient énormément la méditation hindoue ou bouddhiste. Ils trouvent que cela les aide à être de meilleurs chrétiens. Mais s’ils en arrivent à juger que cette méditation – telle qu’elle est comprise dans l’hindouisme ou le bouddhisme – a une importance fondamentale et que c’est en elle que se trouve la fidélité au Christ, alors ils ont dissous le christianisme, quelle que soit la valeur de cette méditation.
Il ne s’agit pas de porter un jugement objectif sur ces diverses spiritualités. En ce qui me concerne, je préfère très nettement certaines formes de bouddhisme à certaines formes de christianisme. Mais ces préférences sont déterminées par mon attitude systématiquement christocentrique. J’évalue toute la tradition abrahamique du point de vue d’un disciple de Jésus qui comprend Dieu comme étant le Dieu que Jésus révèle.
C’est dans la même perspective que j’évalue l’immense développement de notre société occidentale et que, pareillement, je suis parvenu à apprécier grandement les traditions chinoise, hindoue et les traditions indigènes. Ceci est un point de vue personnel dont je ne prétends pas qu’il représente la seule vérité valable pour tout le monde.
En même temps que je me plais à vivre dans un monde pluraliste, je suis également heureux de discuter des raisons qui me font l’apprécier plus que les positions traditionnelles. Par exemple je juge sévèrement de mon point de vue de chrétien – comme d’ailleurs de plusieurs autres points de vue – les positions économiques actuellement dominantes, alors même que je respecte les hommes qui croient devoir les promouvoir.
D’un autre côté il est des positions et des réalisations que j’admire et que j’apprécie énormément, du point de vue du christianisme mais davantage encore d’autres points de vue. Apprécier leur grande valeur ne dissout en aucune manière ma foi chrétienne mais souligne la méthode qui est la mienne
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