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Aider à mourir

La fin de la vie est souvent difficile. Lorsqu’elle s’accompagne de grandes souffrances, elle oppose partisans et adversaires de l’euthanasie. Gilles Castelnau apporte un éclairage théologique sur ce sujet éthique controversé.

  Des exemples récents tragiques soulèvent une fois encore dans notre pays la question de l’euthanasie et la presse s’en fait régulièrement l’écho. La Loi Léonetti de 2006 s’oppose toujours à l’euthanasie. Il est certain qu’il faudrait entrer dans un large débat sur cette terrible question. D’autant plus que les protestants n’ont généralement pas la même approche de la nature de la vie que nos partenaires catholiques et que bien souvent le corps médical.

  La tradition catholique considère que toute vie est un don de Dieu, dès sa conception et que lui seul peut la reprendre. Il faut donc laisser faire la Nature. C’est pourquoi de nombreux catholiques s’opposent aux techniques de contraception non « naturelles », aux fécondations artificielles, à l’IVG, ainsi qu’à l’euthanasie.

  Le corps médical a longtemps partagé cette position et nombreux sont ceux qui en demeurent aujourd’hui encore largement imprégnés au nom de leur serment d’Hippocrate qui s’enracine dans la philosophie païenne grecque (Hippocrate était païen). Celle-ci disait justement que Dieu décide de la vie et de la mort comme Zeus brandissant la foudre et qu’on ne devait pas aller contre l’ordre (divin) de la Nature : on sauvait l’enfant lors d’un accouchement difficile même si cela mettait en danger la vie de la mère.

  Les pays protestants n’ont jamais partagé ce point de vue. Il y a longtemps, les femmes françaises se rendaient dans les pays d’accueil traditionnels, en Angleterre, aux Pays-Bas et en Suisse pour des IVG et pour y acheter ou en faire venir les moyens anticonceptionnels gérés par le Planning Familial. Les Pays-Bas, la Suisse, la Suède, la Grande-Bretagne ont déjà légalisé ou admis l’euthanasie active ou le suicide assisté.

  Alors que les pays catholiques, Pologne, Bosnie, Croatie, République tchèque la considèrent comme une sorte d’assassinat.

  Le monde protestant, attaché à la lecture de la Bible, y trouve plutôt l’idée que la vie que donne Dieu n’est pas purement physiologique ou biologique. Elle est tissée d’amour et de la chaleur de relations humaines, comme le ministère de Jésus le montre bien : vie épanouie, apaisée et digne. C’est la vie du paralysé guéri, de la prostituée réhabilitée. Devant Dieu, l’homme ne se réduit pas à une vie physique mais à la vie renouvelée et portée par la présence intérieure du saint Esprit. On ne peut pas dire que seul Dieu peut reprendre à sa guise la vie qu’il a donnée : Jésus ne fait jamais mourir.

  Jésus souligne cette présence aimante : « Ne vendon pas deux moineaux pour un sou ? Cependant, il n’en tombe pas un à terre sans votre Père. Et même les cheveux de votre tête sont tous comptés. » (Mt 10,29) Certains traducteurs ont compris que c’était Dieu qui faisait tomber les cheveux des chauves et mourir les oiseaux : ils ont ajouté dans le texte le mot que Jésus n’avait justement pas prononcé : sans la « volonté » de votre Père. Mais Jésus disait « seulement » que Dieu est le père aimant qui accompagne même les moineaux dans leur chute.

  C’est donc avec compassion que les protestants considèrent la vie humaine dans son réseau de relations humaines et c’est à la « moindre souffrance » qu’ils aspirent. Celle-ci peut fort bien être dans une IVG ou une euthanasie, de même qu’elle est parfois dans un divorce. C’est ainsi qu’au nom de leur foi, de leur espérance et de leur amour, les protestants, s’opposent avec énergie à tout respect inconditionnel, théorique et absolu de la vie physique que peuvent chercher à imposer les Évangile et liberté • Mai 2009 21 autorités sous l’influence des conservateurs catholiques et de certains évangéliques, plus proches sur ce point du catholicisme que du protestantisme.

  C’est ainsi qu’en décembre 2006 les autorités catholiques ont exercé des pressions tendant à empêcher en Italie une euthanasie. La présidente de l’Église réformée (vaudoise) d’Italie, le pasteur Maria Bonafede a déclaré : « Nous sommes soulagés que ce monsieur ait fini de souffrir et de subir la violence de l’acharnement thérapeutique et d’une législation qui ne reconnaît pas le droit à la dignité de la personne jusque dans sa mort. Comme modératrice de l’Église et comme citoyenne italienne, cette affaire m’encourage à promouvoir un débat éthique, culturel et politique sur le testament biologique. En même temps que de la tristesse pour la fin de cet homme, il faut réaffirmer l’importance du caractère laïc de l’État : il doit promulguer ses lois dans l’intérêt général de ses citoyens et non des autorités d’une confession religieuse particulière. » Albert Schweitzer a écrit : « Le principe du respect de la vie, appliqué à la vie de l’homme, ne signifie pas seulement respect du simple fait de l’existence et attention aux souffrances, comme lorsqu’il s’agit des êtres vivants en général, mais il signifie encore respect pour les valeurs et les buts que cet être, le plus élevé de tous, introduit dans le monde. Je ne peux reconnaître la valeur de son existence et sa justification que si je l’élève à son plus haut niveau, en recherchant un accomplissement moral et spirituel. » (Humanisme et mystique : cf. http://castelg.club.fr/gillescastelnau- spiritualite/gc40.htm )

  Les protestants n’ont pas non plus l’habitude de s’en remettre à des autorités supérieures qui décideraient à leur place. Il y a longtemps que les pays protestants, l’Angleterre, la Hollande, l’Allemagne, les pays scandinaves ont mis en place des structures de dialogue concernant l’euthanasie. En Hollande, par exemple, la concertation est prévue par la loi entre la famille, le médecin, et des autorités morales extérieures (pasteurs, prêtres, juges, avocats, professeurs, etc.). Le médecin, ni la famille, ni le pasteur ou le prêtre, ne se voit autorisé à prendre seul la décision.

  Il ne faut pas oublier, naturellement, que bien des demandes d’euthanasie disparaissent dès lors que les soins palliatifs sont disponibles : si le gouvernement acceptait d’augmenter les crédits qui leur sont nécessaires, ceux-ci seraient moins rares et la possibilité d’y trouver une place pour nos proches moins exceptionnelle. Là encore l’exemple de bien des pays étrangers pourrait nous inciter à nous éveiller de notre léthargie.

  La morphine notamment que les médecins français administrent moins qu’ils le devraient (ne dit-on pas que les Anglais utilisent proportionnellement dix fois plus de morphine pour calmer la douleur de leurs patients que les Français… ?) est un puissant moyen de réduire les demandes d’euthanasie : lorsqu’un malade ne souffre plus, ou sait qu’on ne le laissera pas souffrir, il demande moins la mort. Mais il faudrait que disparaisse réellement de nos hôpitaux la conception selon laquelle la souffrance est « naturelle », voire dans certains cas « rédemptrice ». Nous ne sommes pas encore délivrés de cette idéologie que nous récusons !

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À propos Gilles

a été pasteur à Amsterdam et en Région parisienne. Il s’est toujours intéressé à la présence de l’Évangile aux marges de l’Église. Il anime depuis 17 ans le site Internet Protestants dans la ville.

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