Accueil / Journal / Vous avez dit « Mariage » ?

Vous avez dit « Mariage » ?

Nos modes de vie en société et la morale qui les sous-tend ne cessent d’évoluer. Ainsi, le mariage et le divorce sont aujourd’hui un sujet d’interrogations riche et fécond. Ce dialogue entre nos deux collaborateurs Jean-Paul Sauzède et Bernard Félix en témoigne.

  J.-P. S. Un des enjeux de ce siècle est la relation amoureuse. Jamais les couples n’ont eu l’opportunité d’une telle durée de vie, jusque là limitée par la maladie, la mortalité en couches ou à la guerre. Jamais les couples n’ont eu une telle liberté pour exprimer leur désir et pour vivre leur relation amoureuse : mariage classique, concubinage, vie maritale hors mariage, homosexualité. Nous vivons ainsi une situation radicalement nouvelle et en soi passionnante où la relation conjugale, et si possible amoureuse, devient une préoccupation pour ce qu’elle est en vérité : une relation entre deux personnes et non pas l’alliance de deux familles, de deux patrimoines. La rencontre amoureuse devient seule l’enjeu du mariage.

  Que le mariage soit remis en cause est une chance ! Car c’est mettre la priorité sur la relation et non sur l’institution comme justification de la relation. Rien de nouveau en cela pour un esprit libéral défendant « la vocation de l’homme à la liberté, la constante nécessité d’une critique réformatrice ou la valeur relative des institutions ». Et le mariage en est une !

   B. F. La notion de couple durable remonte sans doute très loin vers l’aube de l’humanité et une évolution rendant moins rigide le concept de mariage ne fait que commencer. Elle conduit à un bouleversement majeur. Des sociologues constatent déjà le recul inéluctable de la date où les couples se marient. Ils observent aussi moins de mariages officiels dans les mairies et devant les ministres des cultes, et ce, dans à peu près toutes les religions. En France aujourd’hui, plus de la moitié des naissances a lieu hors mariage. Des formules nouvelles de liens ont été créées, telles que le P.A.C.S. Vous avez dit « Mariage » ? Jean-Paul Sauzède et Bernard Félix Les jeunes deviennent souvent plus rétifs à tout lien du type du mariage traditionnel. L’engagement de la vie de couple est à durée variable ! La relative indépendance financière des femmes est un des facteurs facilitant cette tendance. Elle n’empêche pas que des enfants naissent : la durée de la fécondité féminine a augmenté de plus de dix ans, facilitant l’étalement des naissances au moment désiré. Contraception, avortement, règles souples pour l’éducation, partagée ou non, des enfants complètent la panoplie des instruments encourageant cette évolution : appel aux grands-parents encore solides et, plus tard peut-être, formules d’adoption (pensons au « fosterage » médiéval) ou éducation collective (kibboutz ?).

  J.-P. S. La durée de vie s’allongeant et la liberté sociale se développant, les possibilités de rencontres (sites internet, chat, blog, etc.) se sont multipliées. Dans ce nouveau contexte, le couple est régulièrement sollicité pour réévaluer ses choix. Quand il se fissure, cela se fait souvent dans une grande douleur, faute de lieux d’accompagnement, de soutien, de groupes de parole. Dans la souffrance, chacun vit son manque, sa frustration et sa difficulté à communiquer. L’adultère, lorsqu’il survient, est avant tout un symptôme de dysfonctionnement du couple, le signe d’un défaut de relation et de communication au sein du couple.

  Une manière de lutter contre l’incertitude du lien amoureux, contre le désir de l’autre ou la difficulté à revisiter son engagement consiste alors à se protéger par des interdits et des contraintes institutionnelles. Ainsi font, avec un résultat incertain, les milieux très traditionnels, fort combatifs, mais parfois les plus exposés à l’adultère.

  B. F. En effet, en face de nos Églises protestantes relativement ouvertes à l’évolution des moeurs et cherchant à y adapter leur mission, on trouve des Églises, chrétiennes ou non, actives au sein de la société pour empêcher ce qu’elles prennent pour d’inacceptables dérives. Leur mission religieuse les pousse, si le droit le leur permet, à agir vigoureusement sur la société. Elles entendent éclairer leurs semblables et elles se verraient bien obligeant hommes et femmes à adopter le style de vie qu’elles jugent le seul bon, en instituant une législation stricte. Bons élèves d’Augustin : Compelle intrare (« Contrains-les d’entrer » Lc 14,23). Ces missionnaires d’une morale puritaine sont considérés par leurs adversaires, ceux qui acceptent plus de liberté dans la conduite de la vie, comme appartenant à des milieux rétrogrades. Il leur est reproché de cultiver une inutile ascèse qui leur coûte finalement en agrément de vie à eux et, plus tard, à leurs enfants. Ainsi la société se répartirait de la façon suivante : d’un côté les tenants de la morale traditionnelle, de l’autre les « modernes » qui, leur reproche-t-on, ne voient que la liberté de choix et le plaisir tel qu’ils le comprennent. Les premiers espèrent l’emporter de deux façons :

  – d’abord en emplissant la société de leurs descendants obéissants ; avec leurs familles nombreuses ils se pensent gagnants à long terme ;

  – ensuite en s’appuyant sur une certaine forme de renouveau moral qui, soutenu par des instances religieuses convaincues, regagnerait les égarés en les contraignant par une législation rigoureuse.

  Pourrait-on imaginer que coexistent dans la société, suivant une législation qui le permette, deux rythmes de vie sexuelle ; d’une part des couples solidement ancrés dans la morale traditionnelle de leur Église et d’autre part des couples détachés (ils diraient débarrassés) de cette morale et vivant en parallèle ?

  J.-P. S. Il me semblerait dommageable d’être dans une vision binaire où la liberté se confronterait à l’obligation, où la parole réformatrice de la relation s’opposerait au lien initial et éternel, où l’adultère et la liberté seraient d’un côté et la fidélité et la contrainte de l’autre. Nous avons à défendre des points de vue libéraux. L’institution, notamment celle du mariage, est là au service des hommes et non pas les hommes au service de l’institution. Le mariage, vivre en couple est d’abord de mon point de vue, une question de relations. Et être en relation est complexe. Dans ces actes difficiles, exigeants et passionnants de la relation amoureuse, les Églises pourraient être plus inventives et s’adapter, dans leurs textes liturgiques et leurs rituels, à la réalité du monde présent et témoigner, sans plaquer des schémas pré-construits, même théologiquement fondés. Ces Églises manquent aussi à leur mission en offrant de très rares « services après vente », lieux d’accompagnement des couples pour les aider à mettre du sens dans ce qu’ils vivent, et à traverser les crises normales du couple.

  B. F. Le véritable centre de l’enseignement de Jésus est l’amour du prochain et non une accumulation d’interdits. Il se manifeste dans le domaine du couple de deux façons : dans leur vie commune, à la suite d’un choix personnel qui les a conduits l’un vers l’autre ; dans la vie entre parents et enfants, êtres fragiles et dépendants, pour les aider à passer de manière positive à travers ces temps dangereux et magnifiques de leur enfance. La société du futur doit inventer d’autres relations humaines, toutes incluses dans cette notion d’amour, mais peut-être différentes de celles des siècles passés. Si notre amour de Dieu peut être total et exclusif, en est-il de même de nos amours humaines parfois placées sous le signe de bien des contradictions ?

  J.-P. S. Bien moins de personnes se marient de façon traditionnelle, mais de plus en plus nombreux sont ceux en quête d’un engagement sincère et d’une relation amoureuse engagée et authentique et c’est cela qui me réjouit. Nous ne sommes pas en tant que chrétiens les hérauts du mariage, d’une tradition, d’un rituel ou d’une morale. Nous avons à apprécier et soutenir ceux qui veulent mettre une qualité de lien dans la construction de leur intimité amoureuse.

  • Pour aller plus loin : Olivier Abel « Le mariage a-t-il encore un avenir ? » Bayard, 2005

Don

Pour faire un don, suivez ce lien

À propos Jean-Paul Sauzède

Jean-Paul.Sauzede@evangile-et-liberte.net'

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

En savoir plus sur Évangile et Liberté

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Continue reading