« Ne regarde pas le vin lorsqu’il est d’un beau rouge, qu’il déploie sa robe dans la coupe et qu’il coule aisément. Par la suite il mord comme un serpent, il pique comme un aspic. » (Proverbes 23,31-32)
Ce proverbe prodigue de sérieux conseils aux ivrognes. Proverbe de grande sagesse qui pointe le problème de l’addiction : je sais que je ne devrais pas toucher à cette bouteille mais la couleur, la robe de ce vin… À en observer la nuance sombre, la profondeur, l’éclat brillant, le disque un peu épais qui s’attarde sur les bords du verre et les larmes lentes à en redescendre, l’oeil discerne le plaisir du nez. Ah ! Vous parler de son odeur animale au premier nez et du bouquet légèrement épicé avec une pointe de cassis qui, plus tardivement, s’en dégagera ; puis évoquer pour vous combien il est épanoui, ample et long en bouche.
L’imaginaire de celui qui aime jouir de ce plaisir qu’est la dégustation d’un bon vin le prive de toute sagesse, de toute maîtrise : il se donne sans retenue et boit ce breuvage comme il se laisserait aller avec confiance dans les bras de l’être aimé. La traduction littérale du verset 31 serait : « Ne regarde pas le vin lorsqu’il rougeoie, quand il donne son oeil dans la coupe : il s’en va tout droit. » Le langage glisse doucement de la description du problème de l’addiction vers celle de l’amour, du désir. Il donne son oeil, brillant, attirant. Il s’en va tout droit, aisément, est l’expression indiquant le plaisir entre la Sulamite et son amant dans le Cantique : « Et ta bouche comme le vin du bonheur… Il coule aisément pour mon bien-aimé, il glisse sur les lèvres des dormeurs. Je suis à mon bien-aimé, et son désir se porte vers moi. » (Ct 7,9-10)
À une nuance près ! L’un et l’autre sont mêlés en cet amour. Qui séduit ? Qui est séduit ? L’un et l’autre à la fois. Ce qui n’est pas le cas de l’ivrogne et du vin. Non plus le cas de quiconque se laisse séduire par des promesses ou beaux discours. Celui qui les prononce l’a harponné, hameçonné, pour se servir de lui, en l’enivrant, le déstabilisant, lui faisant perdre toute maîtrise de soi, tout sens critique, l’asservissant. Ne te laisse séduire que par qui tu séduis toi-même ; ne cours donc pas derrière qui ou quoi t’asservirait. Peut être Paul lorsqu’il conseillait Timothée « Ne continue pas à ne boire que de l’eau, mais prends un peu de vin, à cause de ton estomac et de tes fréquentes indispositions » (1 Tm 5,23), avait-il grande confiance en la solidité de son ami alors qu’il ne manquait pas d’affirmer, peu avant, qu’un épiscope ou évêque se devait d’être sobre et de ne pas boire (1 Tm 3,2-3).
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