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Les synodes, ces fleurs à la boutonnière du protestantisme

« Chez les protestants, la notion d’Église a la réputation d’être difficile à bien démêler », écrit André Gounelle en tête de son chapitre sur ce thème dans sa remarquable Théologie du protestantisme (Paris, van Dieren, 2021, p. 239), et il cite cette piquante sentence de Tommy Fallot : « La notion d’Église est bien confuse, on dirait parfois une forêt vierge ».

Pour y mettre de l’ordre, ou du moins à ce qui peut y ressembler, on repère au fil de l’histoire, surtout celle des deux derniers siècles, le recours de plus en plus fréquent, dans la discussion d’ordre institutionnel, à la notion de « synode », comme si l’institution d’un synode allait aplanir les difficultés, ou mieux encore comme si le fait de se doter d’un synode allait conférer un surcroît de prestance et d’homogénéité à une entité ecclésiastique dont les responsables entendent renfor­cer l’assiette.

Qu’est-ce qu’un synode en contexte protestant ?

Mais qu’est-ce qu’un synode, qui plus est un synode protestant ? Cet adjectif n’est pas de trop. À en croire le Petit Robert un synode est « une assemblée d’ecclé­siastiques convoquée par l’évêque », ce qui l’incite à ajouter cette précision à propos de « certaines Églises protestantes » : « réunion de pasteurs ». Mais c’est inexact, en tout cas pour ces deux derniers siècles : la Réforme est passée par là et veut que les synodes ne soient justement pas, ou plus, une affaire de pasteurs seulement. Pour y voir plus clair, un détour par un peu d’histoire ne sera pas de trop.

Les premiers à avoir détourné l’idée de synode de son acception uniquement sacerdotale semblent bien être ces préprotestants qu’ont été les émules de Pierre Valdo, les « Vaudois » persécutés pour hérésie dès le XIIe siècle et réfugiés dans le Luberon et le val d’An­grogne (Piémont). C’est par exemple leur synode réuni à Chanforan en 1532 qui décida de financer la première édition d’une Bible française non catholique, celle de la traduction due à Pierre Olivétan. Or, si je vois bien, c’est aussi la première fois que, depuis les débuts de la Réforme, le terme « synode » était utilisé pour dési­gner une assemblée délibérative non catholique. Les synodes convoqués à Zurich du temps de Zwingli dès 1528 et réglementés par une Synodalordnung de 1532 n’en furent cependant pas au sens de celui de Chan­foran ; ils étaient en fait la reconduction en contexte réformé d’une ancienne habitude médiévale : des ras­semblements d’ecclésiastiques délibérant de questions relatives à l’exercice de leur ministère.

Tout aussi strictement ministériel, le synode qui eut lieu à Berne en 1532 a fait date parce que le document qui en est issu peut être considéré comme la première théologie pastorale de la vague réformée. Ce texte (réé­dité en traduction française en 1936) fut rédigé par le réformateur strasbourgeois Wolfgang Capiton, invité par les autorités bernoises à préciser pour les nou­veaux pasteurs de leurs territoires les bonnes manières d’assumer leur ministère. Les mêmes autorités ber­noises convoquèrent ensuite deux synodes à des fins semblables à Lausanne en 1537 et 1538 (les actes de ce dernier viennent d’être reconstitués et traduits par Michael Bruening et Karine Crousaz, voir sur le site www.unil.ch) ; mais ce furent les derniers de ce type.

Une curieuse absence de synodes

En fait, les tout premiers pas de la Réforme ont été marqués non par des synodes, mais par des disputes de religion, comme celles de Zurich en 1523, de Berne en 1528 ou de Lausanne en 1536. Toutes trois furent convoquées et dirigées non par des gens d’Église, mais à leur encontre, par l’autorité temporelle, donc par des magistrats laïcs. Ce fut encore eux qui statuèrent sur le résultat de ces disputes et veillèrent à la mise en œuvre de leurs résultats. Et ce fut toujours eux qui, ensuite, conservèrent la haute main sur la gestion temporelle des affaires ecclésiastiques, avec le concours certes de pasteurs acquis à la cause, mais dans des conseils où ces derniers étaient en très faible minorité et n’avaient pas le dernier mot. De synodes, il n’en fut plus question pendant près de trois siècles, en particulier pas au sens où nous l’entendons aujourd’hui.

Cette remarque ne vaut toutefois que pour les villes, les territoires, les principautés ou les royaumes entière­ment acquis à la Réforme, et non pour la France « de l’intérieur ». On peut à cet égard tenir pour très signifi­catif le fait que dans la Confession helvétique postérieure (1566) qui reste l’un des textes majeurs de la tradition réformée, y compris pour la France (la Confession de foi dite de La Rochelle, 1559, s’en est directement ins­pirée), son rédacteur Heinrich Bullinger, successeur de Zwingli à Zurich, a certes évoqué brièvement l’existence de synodes, mais destinés seulement à « faire diligente inquisition de la doctrine et de la vie des ministres », sans leur attribuer les compétences qui nous tiennent à cœur aujourd’hui dans le gouvernement des Églises. Cette compétence, il en a confié la responsabilité au seul « magistrat » qui fait l’objet de son dernier cha­pitre.

Pourquoi cette absence de toute velléité synodale au sens où nous l’entendons aujourd’hui ? Ce qui s’est passé à Zurich, mais aussi à Berne, permet de le com­prendre. Pour Zwingli (mais aussi à bien des égards pour Luther), il ne s’agissait pas de préserver la Réforme, donc l’Église, des ingérences du magistrat, mais de celles des évêques et par conséquent du pape. L’appui et mieux encore l’engagement du magistrat fut ce qui, en l’occurrence, soustrayait aux interventions des évêques ou de Rome les Églises désormais acquises à la Réforme. Zwingli et ses émules avaient en effet toutes les raisons de se méfier des tentatives épiscopales ou pontificales de mettre un terme à leur entreprise. Aussi ont-ils fait confiance au magistrat pour veiller à la sur­vie de l’Église désormais réformée.

Du modèle genevois au système presbytérien-synodal

Dans ce contexte, une exception retient pourtant l’attention : Genève. Les premiers pas de la Réforme y furent accompagnés dès 1535 par Guillaume Farel et Pierre Viret, puis dès 1536 par Jean Calvin, mais ces premiers pas furent assez cahoteux et le magistrat n’y montra pas la décision et la fermeté de ceux de Zurich ou de Berne. On ne s’étonne donc pas que Calvin, rap­pelé dans la cité en 1541, ait alors imposé avec opiniâ­treté un modèle d’organisation sensiblement différent de ceux qui avaient été mis en oeuvre dans les régions germanophones. Calvin avait à l’esprit les pré­cédents néotes­tame n ta i r e s , en particulier l’assemblée de Jérusalem, qua­lifiée parfois de synode, dont il est question au chapitre 15 du livre des Actes des Apôtres, et les allusions à différents minis­tères dans les épîtres de Paul ou de Pierre. À la dif­férence de Zwingli ou de Luther, Calvin en a déduit que l’Église devait être dotée de ses propres instances administratives, distinctes de celles du pouvoir tem­porel, sans qu’elle soit pourtant une Église dirigée par les seuls pasteurs : les laïcs devaient participer à son gouvernement. Le Strasbourgeois Philipp Jakob Spe­ner (1635-1705) a qualifié plus tard de « sacerdoce universel » cette exigence éminemment protestante. La concrétisation institutionnelle en a été à Genève la création de deux organes ecclésiastiques distincts du pouvoir temporel : le « Consistoire », formé de douze laïcs et des pasteurs de la ville, et la « Compagnie des pasteurs ».

«Le mot « synode » n’apparaît ni dans le vocabulaire officiel genevois de cette époque, ni dans celui d’au­jourd’hui. C’est pourtant de Genève et de Calvin qu’est apparemment venue l’idée d’appeler « synode » l’as­semblée générale de délégués de quinze communautés locales réformées qui se réunit clandestinement à Paris en mai 1559 et qui adopta la confession de foi dite « de La Rochelle ». C’est donc en France, royaume réfrac­taire à la Réforme, que le pli fut pris par les protestants d’appeler désormais synodes les assemblées de déléga­tions des communautés ou églises locales. Ces déléga­tions étaient formées de pasteurs et de laïcs, appelés en l’occurrence « anciens » par référence aux presbyteroi néotestamen­taires. Le nombre de ces derniers devait être au moins égal, voire supérieur, à celui des pas­teurs, pour éviter que les Églises réformées ne retombent dans les travers d’une Église romaine régie par les seuls ecclésiastiques. Si des synodes nationaux purent se réunir normalement depuis Henri IV, la révoca­tion de l’édit de Nantes en 1685 acheva de rendre non seulement dangereuse, mais impossible, la tenue d’assemblées dûment réglementées. Il n’y eut plus que les synodes « du Désert » qui, clandestins, n’avaient aucune régularité. Jusqu’au XIXe siècle, il n’y eut donc plus en France de synodes protestants au sens institu­tionnel de ce terme.

C’est aussi en référence au modèle genevois que, à l’instigation de John Knox, s’est constituée à la même époque en Écosse, puis dans le monde anglo-saxon, l’Église « presbytérienne ». Comme l’indique cet adjec­tif, elle a pour caractéristique d’être gouvernée par des collèges d’anciens (elders, parfois très jeunes !) qui envoient des délégués à une General Assembly, équi­valent anglais de nos synodes. Comme en France, ce modèle institutionnel s’est imposé dès le XVIe siècle du moment que le gouvernement du royaume était acquis, non à la Réforme proprement réformée, mais à sa version anglicane.

Vers la séparation des Églises et de l’État

Dès le début du XIXe siècle, l’idéal démocratique a fait son entrée en force à l’horizon du monde poli­tique. La présence d’Églises protestantes constituées selon le modèle presbytérien-synodal aurait-elle favo­risé l’adhésion à ce type de gouvernement dans les pays qui l’ont adopté ? Ce n’est pas impossible, mais il ne faut pas oublier que, jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, si les pasteurs étaient choisis, donc élus, par les conseils d’anciens (ou conseils presbytéraux), ces anciens, eux, le devenaient non au terme d’un scrutin ouvert, mais par cooptation. En France, le philosophe parisien Pierre Ramus avait milité pour des élections synodales en bonne et due forme, mais il ne fut pas écouté et sa voix s’éteignit lorsqu’il fut victime de la Saint-Barthé­lemy en 1572. Même remarque un siècle plus tard pour l’anglais John Milton, auteur du Paradis perdu : ses pro­positions démocratisantes dans le domaine ecclésias­tique n’eurent pas de suite.

On aurait pu s’attendre à ce que les Églises réfor­mées mettent rapidement le fonctionnement de leur propre organisation interne au diapason des premiers régimes démocratiques du XIXe siècle, voire leur en donnent l’exemple. Mais ce fut loin d’être le cas même en France où le protestantisme, enfin pleinement reconnu et même financé par l’État, se trouva envers lui dans un statut de dépendance institutionnelle ren­dant inutile, voire parfois impossible, toute velléité de réunir un synode. Quant à un coin de pays comme le canton de Vaud qui venait d’accéder à son indépen­dance, l’urgence y était de mettre solidement en place les nouvelles institutions démocratiques, la mise à jour des questions ecclésiastiques étant renvoyée à plus tard.

Vers des désunions de l’Église et de l’État

Dans les pays de tradition réformée, il a d’abord fallu que deux théologiens fassent indépendamment l’un de l’autre le pas de considérer comme anormale, voire inacceptable l’union de l’Église et de l’État qui avait jusqu’alors passé pour parfaitement acceptable et même normale : Friedrich Daniel Ernst Schleier­macher (1768-1834) dans le royaume de Prusse, et Alexandre Vinet (1797-1847) dans le canton de Vaud.

Dans ses célèbres discours De la religion (1799), Schleier­macher lâcha entre autres cette bombe : « Jamais un prince n’en est venu à confé­rer à une Église un statut de corporation, de communauté jouissant de pri­vilèges particu­liers, de personnalité reconnue au sein de la société civile, avant que prévale la malheureuse situation d’un mélange déjà accompli de la société des croyants et de celle des aspirants à la foi, du vrai et du faux – de ce qui sans cela aurait bientôt recommencé à se séparer pour toujours » (De la religion, Paris, van Dieren, 2004, p. 120). Et dans son cours de théologie pratique à l’Uni­versité de Berlin, il n’hésita pas à affirmer quelques années plus tard : « Nous ne pouvons considérer comme émanant de l’essence de l’Église protestante et l’exprimant elle-même que la constitution presbyté­rienne ». Mais le roi de Prusse, après avoir autorisé des synodes strictement régionaux en 1816, les interdit en 1818, et des synodes ne firent leur réapparition dans la région rhénane du royaume qu’en 1835.

Sur les relations de l’Église et de l’État, Vinet a été d’emblée plus catégorique que Schleiermacher. Dans une lettre de 1824, il disait avoir perçu dans « un trait de lumière » qu’elles étaient « adultères et funestes » et en vint avec les années à faire de la séparation de l’Église et de l’État le seul point de sa pensée qu’il ait qualifié de « dogme ». Il voyait même dans la manière dont les rois, les princes ou les autorités séculières avaient géré les affaires religieuses en terres protes­tantes une inconséquence de la Réforme. Mais alors, comment les Églises issues de cette Réforme auraient-elles dû ou devaient-elles concevoir l’administrationde leur régime intérieur ? À la différence de Schleier­macher, Vinet ne s’est jamais prononcé clairement sur ce point, même pas dans son volumineux Essai sur la manifestation des convictions religieuses et sur la sépara­tion de l’Église et de l’État envisagée comme conséquence nécessaire et comme garantie du principe (1842) où la notion de synode n’a d’ailleurs pas de place.

Un cas d’école : la situation dans le canton de Vaud

Si cet aspect-là de la pensée de Vinet a fini par faire tache d’huile, en particulier en France où elle est venue conforter les protestants dans leur soutien à la loi sur la laïcité de l’État, en 1905, elle ne fit que très lentement son chemin dans l’esprit de ses com­patriotes du canton de Vaud préoccupés par les ques­tions ecclésiastiques. Si, dans un tout premier temps, dès 1803, on dut se contenter de simplement recon­duire les lois et règlements hérités du régime bernois, les nouveaux responsables de la vie publique étaient bien conscients de la nécessité de réviser tout ce qui touchait au statut de l’Église, désormais qualifiée de « nationale » (équivalent français de Landeskirche, Église du pays), mais cette révision ne paraissait pas urgente et fut renvoyée à plus tard, en fait à la révolu­tion libérale de 1830 et à la mise sous toit de la nou­velle constitution cantonale de 1831 qui décrétait : « L’Église nationale évangélique réformée est mainte­nue dans son intégrité ». Une commission fut chargée en 1835 de définir les lois et la discipline qui devaient la régir. Vinet crut venu le moment où l’on allait faire droit à sa principale revendication en la matière et n’hésita pas à écrire dans la presse locale : « Ce qui a lieu maintenant, ou ce qui se prépare, ce n’est pas une seconde constitution de l’État, c’est le dégagement d’un corps jusqu’à maintenant entrelacé dans le tissu de l’institution politique et confondu avec elle ; c’est la reconnaissance, au moins implicite, de la distinction des deux sociétés politique et religieuse ». Mais c’était prendre ses désirs pour des réalités. L’idée de doter l’Église d’un régime presbytérien et d’un synode se heurta d’emblée aux réticences de laïcs et de bien des pasteurs qui craignaient de voir ces conseils d’Église tomber sous la coupe de fidèles certes zélés, mais trop fortement influencés par le revivalisme et sa tendance à cultiver une piété à laquelle n’adhérait pas une très large part de la population.

En 1839, le Grand Conseil (parlement de l’État can­tonal) finit par promulguer une loi ecclésiastique qui, au terme d’un long débat, supprimait toute référence à une confession de foi, y compris dans le serment requis des pasteurs au moment de leur consécration. Ils ne s’engageaient plus qu’à « prêcher la Parole de Dieu dans sa pureté et dans son intégrité telle qu’elle est contenue dans l’Écriture sainte ». Cette formula­tion était susceptible de convenir aux plus orthodoxes comme aux plus libéraux selon la lecture qu’ils en faisaient. Mais le véritable enjeu de toute l’affaire était l’abolition de la confession de foi. L’abandonner n’était pas une nouveauté : cela avait été le cas à Genève en 1725, mais sans susciter beaucoup d’émoi dès lors que le texte en cause, la Confession helvétique postérieure, passait pour trop daté pour faire encore autorité. En revanche la décision genevoise avait été le fait de la Compagnie des pasteurs, un organisme d’Église. Un organisme d’État comme le Grand Conseil vaudois était-il habilité à prendre une décision d’ordre aussi éminemment ecclésiastique ? C’est évidemment ce que Vinet ne pouvait que contester sur le fond même si lui non plus ne tenait pas parti­culièrement à la Confession helvétique. À ses yeux, une telle décision ne pouvait être le fait que d’un synode, même si ce terme n’apparaît pas à ce moment-là sous sa plume, ou d’une assemblée représentative du même ordre.

Des synodes issus de crises ecclésiastiques

La nécessité d’un synode s’est de nouveau imposée à la suite de la crise ecclésiastique provoquée par la révolution radicale de 1845, mais à ce moment-là pour la seule Église libre issue de la démission des nombreux pasteurs de l’Église nationale qui avaient refusé de lire en chaire une exhortation gouvernementale à voter en faveur de la nouvelle constitution cantonale : ils n’en­tendaient pas être considérés dans ce cas particulier comme des agents du pouvoir civil. Résultat : la forma­tion d’une Église évangélique libre – libre de tout lien avec l’État. En 1846, son synode constitutif, première institution de ce nom dans le canton de Vaud, adopta pour règle de fonctionnement le système presbytérien-synodal.

Si la majorité des pasteurs en exercice jusque-là passèrent à l’Église libre, ce ne fut pas le cas de la plu­part des fidèles. Le gouvernement cantonal s’efforça de repourvoir les postes pastoraux laissés vacant par les démissionnaires en faisant appel à des ministres venant d’autres régions. Très rapidement, on fut conscient, du côté « national » comme de celui du gouvernement, de la nécessité de doter enfin l’Église restée rattachée à l’État de ses propres institutions. En 1863, une « loi ecclésiastique » institua des conseils de paroisse dont les membres devaient être élus par les fidèles (uni­quement les hommes jusqu’en 1908) ; ces conseils déléguaient leur(s) pasteur(s) et 2 laïcs par pasteur à un conseil d’arrondissement, déléguant à son tour des représentants (toujours 2 laïcs pour 1 pasteur) à un synode cantonal où siégeaient (et siègent toujours) 2 délégués de l’État. Le synode élit un Conseil synodal de sept membres (4 laïcs et 3 ministres), Synode et Conseil synodal étant présidés alternativement par un laïc et un pasteur, élus chaque fois pour 4 ans.

La situation française

Ces détails relèvent de la petite histoire, mais ont ici leur place parce que cette organisation interne ne va pas de soi : pourquoi 2 laïcs par pasteur, et non 3 ou 7 ? pourquoi des présidences par alternance de laïcs et de pasteurs, plutôt que des présidences confiées unique­ment à l’une de ces catégories ou à l’autre ? Ces ques­tions et bien d’autres, on peut les poser à propos de toutes les structures synodales mises en place dans des Églises réformées.

Se les est-on posées au moment de convoquer en France le synode national de 1872 ? Très vraisembla­blement, mais elles étaient d’importance secondaire par rapport au fait même que ce synode pouvait et devait avoir lieu. Sous les différents régimes de l’Em­pire, de la Restauration, de la Monarchie de juillet, de la brève République de 1848 et finalement du second Empire, les Églises réformées avaient pu se reconsti­tuer, mais de manière locale ou régionale, sans pouvoir retrouver l’unité dont l’existence d’une vie synodale pouvait être la manifestation. Les divergences d’ordre théologique, sommairement dit entre orthodoxes et libéraux, étaient cependant trop fortes pour que cette unité synodale apparemment retrouvée en 1872 puisse durer. On fut bientôt en présence de deux, voire trois organisations synodales non seulement distinctes, mais séparées. Or l’important pour notre présent propos est de constater combien cette coexistence d’organisations synodales rivales ne tarda pas à être ressentie comme anormale. La conséquence institutionnelle logique en fut le synode national de 1938, souvent appelé synode de l’unité, qui scella effectivement l’unité retrouvée de l’Église réformée de France, au terme de négociations qui, une fois de plus, touchaient à l’adoption ou non d’une confession de foi.

En Suisse : Fédération d’Églises ou Église synodale ?

Que l’existence d’un synode soit une sorte d’idée-force ou de fleur que les Églises réformées aiment se mettre à la boutonnière pour mieux se persuader de leur légitimité institutionnelle, c’est ce que donne à penser une fois de plus le récent changement de nom de la Fédération des Églises réformées de la Suisse en une Église évangélique réformée de Suisse, et la muta­tion de son Assemblée des délégués en un Synode. Dans les faits, cela ne change rien à son fonctionnement interne, d’autant que les différentes Églises canto­nales conservent toutes leurs prérogatives. Pourquoi alors ce changement ? Lukas Vischer, bien connu dans les milieux œcuméniques, avait dans les années 1960 suscité le débat par une brochure intitulée La Fédéra­tion des Églises protestantes de la Suisse, Fédération ou Église ? Sa réponse était qu’elle ne pouvait justement pas être une Église en restant une Fédération, ce qui n’était guère respectueux envers les différentes Églises formant cette Fédération. J’avais à l’époque répondu que la Fédération était au contraire le mode d’existence qui correspondait à la réalité concrète de ce qu’est une Église dans le contexte particulier de la Suisse. Je reste convaincu que c’est toujours le cas. Mais entretemps, ladite Fédération a eu pour président un pasteur qui, m’a-t-on dit, aurait souhaité devenir « évêque » de l’Église réformée de Suisse. C’était évidemment hors de question et il eut tôt fait de renoncer à cette ambition avant de devoir quitter son poste pour de tout autres raisons. Mais le besoin de prestige est resté et l’on a désormais un Synode de l’Église évangélique réformée de Suisse sans que cela n’améliore en rien la situation concrète des différentes Églises qui en font partie et envoient leurs délégués à son « synode ».

Si, comme l’écrit André Gounelle, chez les protes­tants la notion d’Église est difficile à démêler, celle de synode l’est aussi, à cette différence près que l’idée même d’Église garde toujours une connotation spiri­tuelle, tandis que celle de synode n’a de prestige que sous l’angle institutionnel et sous celui de la légitimité humaine, mais très humaine, dont une organisation ecclésiastique peut juger devoir se prévaloir. Sans oublier que nos synodes protestants, dans leur diver­sité, ont une allure démocratique, surtout depuis que les femmes y ont les même droits et obligations que les hommes, ce qui n’est jamais à négliger !

 

À lire l’article d’André Gounelle « Le Synode, tentative de définition… »

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À propos Bernard Reymond

né à Lausanne, a été pasteur à Paris (Oratoire), puis dans le canton de Vaud. Professeur honoraire (émérite) depuis 1998, il est particulièrement intéressé par la relation entre les arts et la religion.

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