Accueil / Commentaire biblique / Le statut des « récits édifiants » dans la Bible

Le statut des « récits édifiants » dans la Bible

« Madame N. a été absolument admirable : lorsqu’elle a appris qu’elle avait un cancer, elle s’est laissé mourir. Elle savait que, depuis sa prime jeunesse, son mari rêvait d’être prêtre : une fois veuf, le sacerdoce lui était désormais possible. Mais… ? Vous faites une drôle de tête : vous ne partagez pas mon admiration ?

Non, pas du tout : je trouve absolument scandaleux de payer de sa vie le respect d’une discipline ecclésiastique tout à fait arbitraire ! »

Sur cet exemple (hélas authentique !), on voit comment « fonctionne » un récit édifiant. Il a pour but d’accroître la valeur religieuse ou morale de ceux qui le reçoivent, en leur présentant un comportement « exemplaire ». En l’occurrence, ce qu’on cherche à édifier (restaurer, rénover, etc.), c’est la vertu ou la foi d’autrui.

Cette volonté de rendre meilleurs les auditeurs ou les lecteurs rend très secondaire le souci d’authenticité du récit. Pour être édifiant, on peut s’autoriser sans état d’âme à enjoliver la réalité, voire à inventer de toutes pièces ! On note aussi que, dans le récit édifiant, l’interprétation modèle la narration. Dans l’exemple cité, on ne voit pas bien comment un tiers peut affirmer que Mme N. s’est laissé mourir : il n’était pas dans sa peau pour le savoir !

Un récit édifiant exige en outre une certaine connivence entre son émetteur et son récepteur. Présenté à des auditeurs qui ne partagent pas les mêmes valeurs, le récit édifiant peut souvent paraître scandaleux. Au lieu de conforter les valeurs du récepteur, il les heurte de front.

Le récit édifiant est un genre littéraire très présent dans la Bible, et on ne voit pas pourquoi il devrait y être l’objet d’un traitement particulier. Récit édifiant sans nul doute la malédiction du figuier qui n’a pas de fruit, dans l’évangile de Marc (Mc 11, 12-14). Cet « acte de puissance » prêté à Jésus n’a d’autre but que de mettre en scène un enseignement sur la foi capable de « déplacer les montagnes » (Mc 11, 20-25). Mais comment imaginer un seul instant que Jésus ait pu gaspiller ses pouvoirs surnaturels dans ce caprice d’enfant gâté ? Il est plus respectueux (et plus réaliste) de penser que le récit de cet « anti-miracle » est une pure invention à but pédagogique.

On pourrait dire aussi que le récit édifiant souffre de myopie. Il se focalise si intensément sur un type de valeur qu’il néglige toutes les autres. Certains récits édifiants de la Bible en deviennent caricaturaux. Ainsi, sous prétexte de magnifier le sens de l’hospitalité de Loth, on imagine que, pour défendre ses hôtes des appétits lubriques des Sodomites, il propose à ces derniers de violer ses filles ! (Genèse 19,8). Et de même, pour célébrer l’admirable obéissance d’Abraham, on ose imaginer un Dieu sadique qui lui demande de sacrifier son fils chéri et si longtemps désiré (Genèse 22,2). À force de se vouloir édifiant, le récit peut aller le plus religieusement du monde jusqu’au blasphème !
Ce que nous appelons « récit édifiant » est un grand classique de la littérature juive et plus précisément rabbinique : le midrash. C’est une histoire (réelle, « arrangée » ou fictive) qui entend apporter une leçon. Certains juifs du XXIe siècle fonctionnent encore ainsi. J’ai pu le constater en aidant un homme aveugle d’origine juive à rédiger ses mémoires : l’important pour lui n’était pas l’authenticité de ce qu’il racontait mais l’interprétation qu’il en tirait, quitte à romancer un peu ou beaucoup !

Il faut par exemple lire comme un midrash l’épisode d’Ananias et Saphira, au début du chapitre 5 des Actes des apôtres : les deux époux tombent raides morts car ils ont prétendu donner l’intégralité du produit de la vente d’un terrain à l’Église, alors qu’ils en ont gardé une partie. « Arrangé » ou totalement imaginaire, le récit entend célébrer le pouvoir surnaturel des apôtres… Mais ce cléricalisme triomphal fait grincer des dents aujourd’hui !

Et tel est bien le risque du récit édifiant : avec le recul du temps, sa naïveté le rend souvent plus scandaleux qu’exemplaire !

Don

Pour faire un don, suivez ce lien

À propos Michel Barlow

Michel Barlow, essayiste, romancier et théologien, est universitaire retraité (Lettres et sciences de l'éducation). Auteur de Pour un christianisme de liberté et Le bonheur d'être protestant.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

En savoir plus sur Évangile et Liberté

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Continue reading