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La religion est une activité dangereuse

 

Le texte sacré du judaïsme n’est en théorie pas lisible car il n’est pas vocalisé. Si la version massorétique propose une vocalisation, celle-ci n’a pas le statut divin. La question du « sens du texte » n’est donc pas celle des chrétiens, qui partent, eux, d’un texte lisible et fixé. En ce sens, ce que nous appelons le midrash n’est pas tout à fait l’exégèse : nous ne cherchons pas à comprendre le sens d’un texte qui est au fond illisible.

On part plutôt du principe selon lequel « les mots de la Torah sont pauvres dans leur contexte mais riches dans un autre » (Talmud de Jérusalem, Rosh Hashanah 3:5). Comme le fait la femme de valeur louée dans Proverbes 31,14, il faut partir loin pour ramener des richesses. On invente un sens en rapprochant un verset d’un autre ; mais cela ne signifie pas que c’est le sens de ce verset en soi. Théologiquement, c’est très fort : la Torah, un texte en apparence fini, reçoit ainsi une potentialité infinie de sens.

Bien sûr, on pourrait objecter que cela permet de dire tout et n’importe quoi. Il y a quelques règles – qui supposent notamment que l’interprétation soit sanctionnée par une tradition. Mais elles n’empêchent pas de rappeler une réalité fondamentale : la religion est dangereuse. Le travail interprétatif est donc un combat aux enjeux monumentaux. On trouvera des juifs ou des rabbins qui justifient jusqu’au meurtre en utilisant ces procédés d’interprétation. Ou bien je considère que « ce n’est pas mon judaïsme » et je pense que je ne suis pas concerné, ou bien je dois considérer qu’il est de ma responsabilité de proposer une autre interprétation.

Je ne crois pas que j’aie le droit de me désintéresser de la folie interprétative de certains. Le midrash et l’herméneutique sont des questions très contemporaines face aux violences provoquées par toutes les religions. Nous avons une obligation de réponse ; à nous de trouver les arguments qui permettront d’éviter la violence. Derrière la liberté du travail interprétatif, il y a une immense responsabilité.

Ce texte est issu d’un entretien accordé à Adrien Duclos

 

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À propos David Meyer

Le rabbin David Meyer est professeur de littérature rabbinique et de pensée juive contemporaine à l’université Pontificale Grégorienne de Rome, et auteur de nombreux ouvrages.

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