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Les contradictions du populisme chrétien

 

Le titre de l’ouvrage est explicite. Comment le christianisme a-t-il pu frayer avec le populisme et vice-versa, jusqu’à faire naître le populisme chrétien ? « Comment, avec quels instruments, une mélodie qui chante l’amour peut-elle s’accorder avec les martellements haineux du populisme ? » et « quelles sont les portes d’entrée de l’un vers l’autre » ? Puisqu’il s’agit d’une alliance contrenature, ce phénomène doit pouvoir s’expliquer et c’est ce que Christian Delahaye, journaliste de profession et théologien, se propose de faire, en se servant des sciences humaines et de la théologie pour aborder son sujet sous toutes ses dimensions.

La première partie, Le christianisme dans le populisme, est en quelque sorte une introduction. Delahaye passe en revue différents populismes pour dégager les « indices religieux » que certains d’entre eux recèlent, car « le populisme religieux est une très vieille histoire »… Si le christianisme n’a pas le monopole de l’infusion du religieux dans le populisme – on trouve aussi l’islam chez lequel l’auteur identifie un « populisme du Sud » ; le bouddhisme, l’hindouisme… –, Delahaye s’y concentre et on ne trouvera pas dans les pages suivantes des explications pour d’autres religions.

Ce rapide tour de la « planète populiste » aboutit à y voir une forme d’ « opportunisme composite », qui « n’est jamais pour [et] toujours contre », s’appuyant sur les angoisses contemporaines, des oppositions « perdants/gagnants, dominés/dominants » mais pour qui les plus faibles, les minoritaires, les différents sont justement rendus coupables. « Cette compréhension de travers constitue l’un des traits caractéristiques du populisme ». « Hélas, il arriva que la religion chrétienne dégénéra en populisme chrétien, ainsi que l’observe Spinoza » nous dit Delahaye qui puise dans son Traité théologico-politique. On ne s’étonnera pas devant le fait que le religieux populiste soit « réduit à son expression puérile, frustre, superstitieuse », « identitaire et nationaliste ». Ainsi, « ce religieux chrétien que distillent les populistes occidentaux est tout à la fois réactionnaire et patrimonial : il est patrimonial (référence au christianisme) parce qu’il est réactionnaire (rejet de l’islam). Et il est réactionnaire parce que patrimonial (inscription chrétienne). »

La deuxième partie est très intéressante pour l’étude des textes bibliques. Delahaye prend le populisme au mot et cherche en quoi la Bible pourrait donner des arguments à ses thuriféraires : c’est Le populisme dans  le christianisme. De nombreux passages du Premier et du Nouveau Testament sont passés au crible. Peut-être pourrait-on objecter que l’auteur, foncièrement libéral dans son rapport au texte biblique, ne retient que ce qui défend sa position. Mais le lecteur trouvera beaucoup d’exemples scripturaires pour s’opposer, pour ce qui est du Premier Testament, à l’argument si souvent entendu selon lequel il n’y aurait qu’une exaltation du repli identitaire et, dans le Nouveau Testament, à cette curieuse idée selon laquelle Jésus serait un « leader populiste ».

L’auteur enfonce le clou dans chaque chapitre : le « projet foncièrement anti-populiste de Jésus, avec sa proposition d’amour sans limite, l’amour du prochain et du lointain, de l’ami et de l’ennemi, demeure le véritable antidote de la haine de l’autre, de l’étranger, du différent ». Le populisme ne peut se confondre avec le christianisme et on trouvera quelques formules bien enlevées comme celle-ci : « J’ai peur, donc je m’enfouis. » La troisième partie vise à décrire les trois tournants que l’auteur a identifiés comme structurant l’histoire du christianisme dans son rapport au populisme. Il y a le tournant universaliste qui fonde un âge non populiste, dans les débuts des premières communautés. Arrive très vite le tournant de la religion d’État qui s’étale sur plusieurs siècles et débute vraiment avec l’empereur Théodose en 380. Le lecteur lira quelques propos peu amènes sur un certain catholicisme qui s’est « mué (…) en populisme chrétien de combat ». Propos contrebalancés par la lucidité de l’auteur envers des protestants qui peuvent être tout autant mais différemment populistes. Enfin, le troisième tournant est contemporain. Delahaye décrit très bien les années heureuses du progressisme – avec Vatican II par exemple – rapidement combattues par des forces proprement réactionnaires. Connaîtra-t-on un retour en arrière ? Le choix est devant nous autant qu’il est au cœur de la Bible, nous dit en substance Delahaye.

« À chaque changement d’époque (…) son angoisse (…) ». Angoisse existentielle à la fin de l’Antiquité, angoisse de la culpabilité à la fin du Moyen Âge, angoisse spirituelle de nos jours avec un retour à la religiosité.

Delahaye conclut par une suggestive relecture du mythe de Babel. À la fin du récit, « la dispersion apporte la bénédiction divine à tous les peuples de l’humanité, appelés à vivre la grâce de la différence ». C’est le projet contraire à celui du populisme chrétien qui cultive l’enfermement, l’uniformité, l’autochtonie, la théologie patrimoniale – si critiquée par notre regretté Raphaël Picon, professeur de théologie et ancien rédacteur en chef – pour calmer les angoisses collectives.

Les trois courtes pages de la bibliographie confirment le solide appareil de notes (220 notes en bas de page). Quelques auteurs sont convoqués pour appuyer la thèse de l’auteur, en plus des citations scripturaires ; il en serait différemment pour un gros ouvrage. Il faut donc saluer cette argumentation synthétique qui s’appuie justement sur une sélection très efficace de références.

Christian Delahaye, L’alliance contre-nature, Paris, Empreinte temps présent, 2018, 171 pages.

 

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À propos Olivier Guivarch

est secrétaire national d’une fédération syndicale de salariés, après avoir étudié la théologie protestante et exercé le métier de libraire. Il participe au comité de rédaction depuis 2004.

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