Il ne suffit pas d’écouter la parole de Jésus, il faut y demeurer, en faire son refuge, sa protection contre les mauvaises influences ; bref l’habiter du matin jusqu’au soir. Et cette parole c’est justement le logos, qui est tourné vers Dieu depuis le commencement. Demeurer dans la parole de Jésus, c’est demeurer en Dieu. Parce que Dieu est Parole. Et les juifs qui l’écoutaient rétorquent : « Nous sommes la descendance d’Abraham et jamais personne ne nous a réduits à la servitude : comment peux-tu prétendre que nous allons être libérés ? »
Appartenance à un peuple contre habitation dans une parole. Voila le malentendu entre Jésus et les juifs qui l’écoutaient. Malentendu qui a encore des résonances aujourd’hui dans notre christianisme.
Plus que de liberté, Jésus parle ici de libération. Ce qui n’est pas tout à fait équivalent. En 1945, nous étions libérés, mais nous n’étions pas libres. Et le peuple d’Israël connaît bien la libération qui est rappelée dès le début du décalogue : «Je suis l’Éternel ton Dieu qui t’ai libéré de la servitude». Israël existe parce qu’il est libéré, le Dieu d’Israël existe parce qu’il est libérateur.
Mais, dans cette rencontre entre Jésus et les juifs, de quelle libération s’agit-il ? Jésus le précise lui-même dans sa réplique : «celui qui commet le péché est esclave du péché». Il s’agit donc d’être libéré du péché. Ah ! le péché ! Il traverse toute la Bible et toute la religion chrétienne. Parce que l’humain est toujours insatisfait de lui-même, il est devant une faillite morale, de lui-même, de son entourage et aussi de l’humanité entière. Et ceci est une de ses principales angoisses. L’apôtre Paul lui-même, avoue dans sa lettre aux Romains (8,18): «Vouloir le bien est à ma portée, mais non pas l’accomplir, puisque le bien que je veux, je ne le fais pas et le mal que je ne veux pas, je le fais.» Notre nature humaine est ainsi faite que nous ne parvenons pas à nous défaire de nos prétentions, de nos égoïsmes, de nos orgueils. Comment en sortir ? Comment se libérer de cet esclavage ?
Ici Jésus donne sa solution : la libération passe par la pratique de sa parole. Cette parole qui invite à table les pauvres, les estropiés, les boiteux, tous ceux qui ne peuvent rien rendre parce qu’ils n’ont rien. Cette parole qui invite à aimer ses ennemis et à prier pour eux ; qui recommande de se faire tout petit comme un enfant, de se considérer comme le dernier, comme celui qui doit servir et non pas qui doit être servi. Voilà la parole de vérité qui nous libère de nos angoisses. Parce qu’elle nous fait sortir de nous-mêmes, de nos petits problèmes, de nos petits péchés.
Qu’est-ce que le péché dans la tradition hébraïque ? C’est le fait de ne pas suivre la Loi de Dieu. Et à la fin de cette loi, le Deutéronome écrit : «Le Seigneur nous a ordonné de mettre en pratique toutes ces lois et de craindre le Seigneur notre Dieu, pour que nous soyons heureux tous les jours».
Autrement dit, si le Seigneur prescrit ces lois, ce n’est pas pour son propre intérêt, mais pour le nôtre, pour que nous soyons heureux ; le seul intérêt de Dieu, c’est le bonheur de l’humanité. Et c’est pourquoi il prescrit sa Loi.
Jésus est bien dans cette continuité, mais sa loi est à la fois plus exigeante et moins tatillonne. «Vous avez appris qu’il a été dit : tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi. Et moi je vous dis aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent.» Mais aussi, «le Sabbat a été fait pour l’homme et non l’homme pour le Sabbat.» Nous sommes libérés de nous-mêmes si nous habitons cette parole de Dieu révélée à nouveau par Jésus, qui nous porte vers les autres. Voila la vérité. Comme le dit d’ailleurs l’évangéliste Jean un peu plus loin, dans la bouche de Jésus : «si quelqu’un m’aime : il observe ma parole». Aimer Jésus, c’est mettre en pratique sa parole.
Et voici la fin du Prologue : «Personne n’a jamais vu Dieu, le Fils unique, qui est dans le sein du Père, nous l’a dévoilé.» Cette Parole, qui est venue jusqu’à nous, nous libère de nos tourments, en nous poussant à regarder plutôt les tourments des autres qui sont autrement plus graves que les nôtres.
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