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La théologie de John S. Spong Une sélection anthologique par Abigaïl Bassac

 

John S. Spong et Abigaïl Bassac lors d’une conférence de l’évêque de Newark à l’Oratoire du Louvre en 2014. Photo James Woody ©

John S. Spong a publié plus de vingt ouvrages de vulgarisation en anglais. Sont présentés ici huit éléments de sa théologie, sous formes d’extraits issus des quatre livres traduits en français depuis 2013 : Jésus pour le XXIe siècle, Né d’une femme, La résurrection mythe ou réalité, et Sauver la Bible du fondamentalisme. Ces quelques points permettent de donner un aperçu de ce que peut être un christianisme enthousiasmant pour les hommes de notre époque. Dans un premier temps, seront évoqués l’homme, la vie humaine, point de départ de la relation à Dieu, et la foi, qui met l’homme et son Dieu en relation. Dans un deuxième temps, il sera question de Dieu et du Christ. Puis, c’est le statut de la Bible et la notion de salut qui seront évoqués. Enfin, deux extraits nous permettront de repenser Noël et Pâques, les deux grandes fêtes du christianisme.

L’homme, la vie humaine

Mourir est une chose, et toutes les formes de vie le font quotidiennement en grand nombre. Mais savoir à l’avance qu’un jour on mourra – préparer son décès et en accepter l’inévitabilité – est une chose différente. C’était la situation de ces êtres humains [NDLR : les premiers humains]. Les êtres vivants qui n’ont pas conscience que leur existence est temporaire et futile, comme c’est le cas de milliards d’insectes par exemple qui se font dévorer chaque jour pour servir de nourriture aux autres formes de vie, c’est une chose. C’en est une tout autre de s’en rendre compte et de devoir affronter cette réalité consciemment et de lutter contre elle. Faire partie de la routine de la vie et de la mort, dans la nature végétale et animale, est une chose. C’en est une autre d’être lucide et conscient du fait qu’on n’est qu’un maillon dans la chaîne alimentaire.

Nous, les êtres humains, sommes dotés de la conscience de nous-mêmes, de nos connaissances et de notre savoir. Nous savons que nous mourrons ; nous avons conscience de l’inéluctabilité de notre disparition personnelle. Ce fut cela (et ça l’est toujours !) qui souleva la question du sens de la vie, ou de son absence de signification. Du fait de cette connaissance acquise, chaque être humain est forcé de se demander si la vie consciente de l’humanité, et donc de chacun d’entre nous, a ou n’a pas une signification ultime. Le fait d’être un humain, c’est devoir endurer le traumatisme de la conscience de soi. C’est aussi le fait de réaliser le choc existentiel de la menace du non-être. Aucune forme de vie avant nous n’a jamais été soumise à l’obligation de ressentir ce niveau d’angoisse. En tant qu’êtres humains, nous sommes des créatures chroniquement angoissées. Nous sommes obligés d’appréhender notre propre mortalité. Cela signifie également que si la vie n’a pas de signification ultime, nous sommes parmi toutes les créatures vivantes les seules à percevoir la menace de la futilité de nos vies. En réponse à cette menace, nous ressentons le besoin de créer du sens. C’est en cela que consiste l’expérience humaine, faite d’effroi devant ces prises de conscience. C’est le destin de toute créature que de perdre, mais seul l’être humain en a conscience. Ce n’est pas facile d’être des humains ! Nous serons détruits et nous servirons de nourriture à nos ennemis naturels : les bactéries, les microbes, les virus, les moisissures. Notre chair et nos os serviront à nourrir d’autres formes de vie.

J’ai la conviction que la quintessence de l’Évangile chrétien peut être résumée par ces mots attribués à Jésus : « Moi, je suis venu pour que les hommes aient la vie et qu’ils l’aient en abondance. » (Jn 10,10)

Je vais tenter d’esquisser les grandes lignes d’une nouvelle christologie qui soit conforme à l’expérience de Jésus, en me démarquant des explications traditionnelles. Ce qui en émergera sera le portrait d’une vie humaine dans laquelle l’humain s’ouvre au divin, et dans laquelle le sacré n’est plus isolé du réel, mais devient une expression du réel. Jésus pour le XXIe siècle, p. 236-255 (2e édition).

La foi Je suis incapable de croire littéralement aux choses surnaturelles qui ont été dites à propos de Jésus dans la Bible et répétées dans l’histoire chrétienne, mais je me sens toujours attiré profondément par cette expérience faite en Jésus.

La foi est-elle tellement faible, et la vie à ce point terrifiante, que ceux qui osent poser ces questions doivent s’attendre à être accusés de manque de foi et d’incrédulité par les gens religieux qui manquent eux-mêmes de confiance en soi ? Je ne suis certes pas un ennemi de la foi chrétienne qui, en émettant ces questionnements, aurait imposé ce débat à son prochain. Aujourd’hui, le débat religieux résulte plutôt de l’explosion des connaissances scientifiques, ce qui a abouti à une nouvelle perception de la réalité. Cette approche, combinée à une nouvelle érudition biblique, n’a pas été autorisée jusqu’à présent à sortir des cercles académiques, par crainte qu’elle n’érode la confiance des fidèles, assidus des bancs d’églises. Pourquoi les nouvelles connaissances rencontrent-elles une résistance aussi totale, de la part des dénominations tant catholiques qu’évangéliques des Églises chrétiennes ?

La religion n’a pas le droit de masquer la réalité en cherchant à accumuler ses vérités propres. Nous devons nous poser la question suivante : « Comment le cœur peut-il être réchauffé si l’esprit est violé ? » Le cœur pourra-t-il vénérer ce que l’esprit rejette ? Difficilement, à moins que la peur du néant ne crée l’hystérie qui, à son tour, remplacerait notre esprit rationnel. Toutefois, l’inverse de cette équation est que le cœur ne pourra pas tolérer indéfiniment le néant. C’est pour cela que ce sens du néant forcera l’esprit humain à dégager de nouveaux horizons, à ouvrir de nouvelles possibilités et à développer de nouvelles alternatives. La réalité spirituelle que nous recherchons dans la postmodernité ne peut être découverte en l’absence d’esprits éclairés, mais cette réalité ne pourra pas non plus être découverte en l’absence de cœurs grands ouverts. À mon avis, c’est précisément ce qui nous motive à chercher de nouvelles voies pour adorer Dieu aussi bien avec le cœur qu’avec l’esprit. Mais avant d’y arriver, nous devons d’abord avoir la volonté de permettre à nos esprits de détruire toutes les définitions périmées du passé. Il y a quelque chose de sécurisant à se laisser aller au fantasme de « vérités intangibles », ou à vivre une vie tellement repliée sur elle-même qu’elle ne peut pas aller au-delà des explications qui furent les vérités d’hier. Mais un Dieu qui n’est pas sérieusement remis en cause n’est pas bien adoré.

Jésus pour le XXIe siècle, p. 25-26 (2e édition).

 Dieu

Je serais incapable de dire à quiconque qui est Dieu, ou ce qu’est Dieu. De même, personne d’autre ne le pourrait, bien que nous ayons précisément prétendu en être capables pendant de nombreux siècles, au moyen de nos Credo et nos doctrines. Il ne sera jamais possible de définir la réalité de Dieu. Elle ne peut qu’être ressentie, expérimentée ; et nous devons toujours garder à l’esprit que même cette expérience pourrait finalement n’être rien de plus qu’une illusion. Le théisme n’était qu’une définition inadéquate de Dieu, définition à laquelle il est temps de faire rendre l’âme. Quand je cherche à parler de mon expérience de Dieu, je ne peux le faire qu’en utilisant des analogies humaines. Des insectes ne pourraient dire à quiconque ce que sont les oiseaux. Les chevaux ne peuvent expliquer en quoi cela consiste d’être humain. Les êtres humains ne peuvent dire à personne ce que c’est que d’être Dieu. Cela semble tellement élémentaire… C’est pourquoi, permettez-moi de parler de mon expérience au moyen du langage des analogies humaines, car c’est le seul langage que je puisse utiliser.

Mon expérience de la vie est plus vaste que ce que je puis concevoir. Vivre pleinement exige de moi d’aller au-delà des limites de ma conscience humaine. Toutefois, je suis capable de goûter sa douceur et de contempler son éternité. Quand je fais cela, je me sens en communion avec la Source de Vie que j’appelle Dieu.

Je fais l’expérience de l’amour comme de quelque chose qui me dépasse. Je ne peux le créer, mais je peux le recevoir. Une fois que je l’ai reçu, je peux le donner. Ainsi, l’amour est une réalité transcendante que je peux ressentir, et par laquelle je puis être transformé ; cela me permet de me plonger dans une compréhension plus profonde de cette réalité et d’en contempler la source, que j’appelle Dieu.

Je fais l’expérience de l’être comme celle d’un phénomène auquel je participe, mais mon être est loin d’épuiser ce qu’est « être ». Je suis enraciné dans quelque chose de tellement plus grand que ce que je suis moi-même. L’Être lui-même est inépuisable, infini et indestructible. Quand j’effleure le fondement de l’Être, je crois que j’effleure ce que j’appelle Dieu.

C’est à travers la conscience élargie de ces expériences transcendantales que je regarde Jésus de Nazareth et que, dans sa vie, j’entrevois ce que le mot « Dieu » veut dire. Ma vision de Dieu et même celle du Dieu que je rencontre en Jésus ne sont qu’une description subjective de ce que je crois profondément être une réalité objective.

J’ai cherché à comprendre Jésus comme quelqu’un qui rompt les barrières, comme quelqu’un qui incite les gens à sortir des enceintes de leurs systèmes de sécurité. Ce fut un être conscient que la peur étouffe l’humanité, qu’elle érige des barrières protectrices, qu’elle crée des préjugés bien définis et qu’elle édifie des systèmes reli1gieux destinés à donner la sécurité aux gens marqués par une peur chronique. Emprunter la voie du Christ, cela signifie recevoir le pouvoir de marcher à l’extérieur et au-delà de ces différents systèmes humains de sécurité. Cela signifie pouvoir franchir toutes les formes religieuses traditionnelles qui enchaînent notre humanité, afin que nous puissions pénétrer dans le monde sans religion d’une nouvelle humanité. Cela signifie que nous cessions de chercher une divinité extérieure, mais que nous la cherchions dans ce qu’il y a de plus profond dans ce que cela signifie être humain. Cela signifie que nous n’entrons dans le divin que lorsque nous devenons libres de nous offrir nous-mêmes à autrui. Cela signifie ne plus spéculer sur qui est Dieu, ou ce qu’est Dieu, mais agir et vivre à partir de ce que Dieu est. Cela signifie regarder la plénitude de Jésus, et y voir la présence du divin. « Dieu était en Christ » n’est pas une doctrine qui mène aux théories de l’incarnation ou de la trinité ; c’est la proclamation d’une présence qui mène à la plénitude, à une nouvelle création, à une nouvelle humanité et à une nouvelle façon de vivre.

 Jésus pour le XXIe siècle, p. 307-308 (2e édition).

Le Christ

« Je suis venu, afin qu’ils puissent avoir la vie, et qu’ils puissent l’avoir plus abondamment », dit le Christ du quatrième évangile (Jn 10,10). Le vrai christianisme finit toujours par un plus grand humanisme. C’est pourquoi toute attitude consistant à tuer l’être d’une autre personne est une insulte à ce que signifie le Christ. Être humaniste c’est affirmer la qualité sacrée de la vie. Jésus a atteint les tréfonds de l’être et vivre le Christ n’est rien d’autre qu’un appel à être nous-mêmes, dans l’amour de Dieu. Je vénère ce Jésus quand je revendique mon propre être, quand je le vis avec courage et appelle les autres à avoir le courage d’être eux-mêmes. Être un disciple de Jésus a quelque chose d’inquiétant.

Qui est le Christ pour nous aujourd’hui ? Je ne peux répondre à cette question pour les autres. Personne ne le peut. Je ne peux que témoigner de ce que je crois être l’événement christique. Jésus est le point de l’action humaine où, pour moi, le divin et l’humain coulent en un seul et même fleuve, Dieu étant source d’amour, source de vie, et fondement de l’Être. Jésus est l’être humain où l’essence de la vie divine se révèle avec une intensité particulière. Jésus révèle Dieu en aimant complètement, en vivant pleinement, en étant tout ce qu’il peut être. Je vénère le Dieu que je trouve en Jésus quand je fais l’amour, quand j’ose vivre, quand j’ai le courage d’être moi-même – le plus profond, le plus saint, le meilleur de moi-même. Quand j’avance jusqu’aux tréfonds de la vie et tombe sur le sens de la transcendance, je trouve Dieu partout, dans tout ce que je connais, dans tout ce que je suis.

Ainsi, l’appel du Christ est pour moi un éternel appel à aimer, à vivre et à être. C’est une invitation à travailler pour ce qui crée la vie et à combattre les gens, les attitudes et les systèmes qui déforment la vie. À devenir conscient de l’expérience libératrice, stimulante, exaltante du Dieu saint. À constater que Dieu m’appelle à des possibilités toujours nouvelles. Je n’ai jamais rencontré Dieu en me retirant de la vie. Il me semble que je ne rencontre Dieu que lorsque je pénètre plus profondément en elle. C’est ce Dieu que je rencontre quand mon regard se concentre sur Jésus de Nazareth. En vivant cela, je me tourne vers les mots des Écritures et les phrases du Credo sans me sentir jamais acculé à une interprétation littérale. Dans les mots et les symboles anciens, déformés par le temps, je trouve plutôt l’expression de la réalité avec laquelle je suis en contact aujourd’hui au plus profond de ma vie humaine, dans les moments où ma conscience s’éveille à la transcendance. L’ancien récit biblique devient mon histoire et ses vieux symboles me servent à interpréter ma vie.

Je sais alors que j’ai touché le divin, qui est le même aujourd’hui qu’hier, et pour toujours. Je respire le divin, je vénère sa source et je m’engage à nouveau à vivre « en Christ », comme aurait dit Paul, en vivant, en aimant et en étant, comme un qui aurait été transformé par la présence infinie et éternelle de Dieu.

 Sauver la Bible du fondamentalisme, p. 265-267.

La Bible

Je crois que pour comprendre en quoi la Bible est la parole de Dieu, il ne faut pas s’appuyer sur une étude littérale du texte mais plutôt chercher à pénétrer dans l’expérience à partir de laquelle le texte littéral a été écrit. Les mots utilisés autrefois pour décrire cette expérience ne sont pas eux-mêmes saints. En fait, ce sont eux qui nous aveuglent, le plus souvent, et nous empêchent de percevoir, de pénétrer cette expérience qu’ils cherchent à décrire, parce qu’ils restent limités par une époque, une culture, par une certaine compréhension de la réalité. J’écris aussi pour pousser les membres des Églises du courant principal à s’intéresser sérieusement à la Bible. L’ignorance qui caractérise la vie des pratiquants dépasse tout ce que j’aurais pu imaginer.

Me voilà donc brandissant la Bible devant mes lecteurs, parce que j’ai l’audace de vouloir la libérer des griffes d’un littéralisme inconscient, et en même temps je voudrais la présenter comme un document extraordinaire et enthousiasmant dont la pertinence pour notre temps est à la fois forte et réelle. Mon témoignage est cohérent. J’ai rencontré le Dieu vivant au cours de mon étude des Écritures et j’ai entendu la parole vivante du Dieu qui me parlait à travers les mots des Écritures. C’est à ce Dieu, c’est à cette Parole que j’ai consacré ce livre et ma vie. Si je cherche à donner un contenu et une forme à cette parole vivante, je me retrouve à dire des choses très traditionnelles. La parole de Dieu dans les Écritures me met en face du fait que tout être humain a été créé à l’image de Dieu et reflète la sainteté de Dieu. Je dis bien tout être humain. Comment pourrais-je réduire en esclavage, mettre à part, dénigrer, opprimer, agresser, violenter une personne qui porte l’image du Très saint ? Voilà la parole de Dieu que je trouve dans la Bible. C’est aussi cela que je veux dire quand je dis que je crois en Dieu le Père, créateur tout-puissant. Par la parole de Dieu dans les Écritures, je suis aussi confronté à l’idée que Dieu aime tout ce que Dieu a créé.

Oui, la Bible est pour moi le moyen par lequel je peux entendre la parole de Dieu, m’y confronter, interagir avec elle. Non, les mots de la Bible ne sont pas pour moi la parole de Dieu. Cette précision constitue pour beaucoup une différence très légère, mais c’est une différence dont nous devons prendre conscience et que nous devons souligner si nous voulons que la parole de Dieu soit entendue par nos contemporains.

 Sauver la Bible du fondamentalisme, p. 269-273.

Le salut

La présence divine en Jésus de Nazareth n’est pas à expliquer par des théories d’Incarnation. Ces théories ne sont que des tentatives d’explications humaines pour traduire une réalité pour laquelle nous ne disposons pas des mots adéquats. Nous rencontrons le divin quand l’humanité se sublime, devient tellement ouverte et si profonde que l’on aperçoit l’homme Jésus sans défense mais se montrant capable de se donner entièrement. C’est alors le moment où l’homme Jésus nous ouvre les yeux à tout ce que signifie Dieu et où il nous rend capables de voir Dieu.

C’est dans l’humain que nous pouvons faire l’expérience du divin. Nous ne devrions pas permettre que ce Jésus-là soit capturé par les images que l’Église a construites d’un dieu extérieur à notre monde, un dieu théiste, un dieu qui serait venu à l’aide d’un monde déchu de pécheurs perdus. D’un secours venu « d’en haut », point n’est de salut ! Le salut est plutôt le fait d’être appelé à la plénitude, le fait de célébrer l’unité avec soi-même et avec Dieu. Le secours peut procurer de la gratitude, mais en aucun cas de la plénitude. C’est pour cette raison que la conception de Jésus comme l’incarnation d’une déité céleste, extérieure à l’humanité, ne peut pas être le sens ultime de « l’expérience Jésus ». Le salut, à mon avis, réside dans un Jésus pleinement humain, qui nous révèle ce que peut être la vie humaine : une existence débarrassée des barrières tribales, libérée des préjugés sexuels, raciaux, religieux, une existence libérée de la peur. Une telle vie mettra inévitablement d’autres gens en mesure d’avoir accès à ces promesses ; et quand ces gens y auront accédé, ils feront, me semble-t-il, l’expérience de la réalité de Dieu. Le portrait de Jésus que j’essaie de décrire se dévoile le mieux dans les écrits du quatrième évangile. Mais ce Jésus divin resterait caché à nos yeux si nous lisions et interprétions l’évangile de Jean comme une confirmation du mythe traditionnel de Jésus vu comme un dieu nous arrivant des cieux, un Jésus qui viendrait nous envahir, en somme un dieu qui aurait temporairement emprunté la forme humaine. C’est malheureusement ce que beaucoup de gens ont tendance à faire, résultat du fait qu’ils et elles lisent le message de Jean au sens littéral, mot à mot, et non de manière existentielle. Ce n’est pas par le truchement du divin que nous pouvons expérimenter l’humain ; bien au contraire, c’est dans l’humain que nous pouvons faire l’expérience du divin.

 Jésus pour le XXIe siècle, p. 283-284 (2e édition).

Noël

Mais que s’est-il vraiment passé dans l’Histoire au moment de la conception et de la naissance de Jésus ? Personne ne pourra jamais en être certain. Ma meilleure hypothèse à l’heure actuelle serait que Jésus est né à Nazareth, et non à Bethléem. Bethléem fait de toute évidence partie de l’apologétique interprétative. Le poids des indices bibliques semble aussi suggérer que, dans la naissance de Jésus, il y avait une note importante de scandale. Sinon, je ne comprends pas pourquoi la tradition de la naissance virginale s’est développée comme elle l’a fait avec l’histoire de Joseph voulant répudier Marie en secret. Je soupçonne que son époux, Joseph (si c’était son nom), a été une figure bien plus importante dans l’enfance de Jésus que ce que l’Écriture ou la tradition affirment. Il a posé son bras protecteur sur sa promise, enceinte et vulnérable. Il a nommé l’enfant et l’a ainsi reconnu comme son fils et, au moins en partie parce que cet homme a fait ces choses, Dieu a été révélé à travers Jésus comme jamais cela n’a été le cas dans une autre vie de l’Histoire.

Un jour, pour me faire une meilleure idée de ce que Joseph a exactement pu signifier pour Jésus, j’ai pris dans les quatre évangiles toutes les citations attribuées à Jésus et dans lesquelles il fait référence à Dieu comme à un père. Je les ai analysées pour voir si je pouvais découvrir dans ces textes la lueur ou l’aperçu d’un schéma qui pourrait révéler comment Jésus percevait la paternité. Si Joachim Jeremias [NDLR : théologien luthérien allemand, 1900-1979] a raison, et que l’usage du terme araméen abba pour faire référence à Dieu est le seul aspect de l’enseignement de Jésus, absent totalement ou en partie dans d’autres sections de l’héritage juif, alors en soi c’est un témoignage puissant. Abba est un terme profondément familial, un terme qui connote une grande affection. Si on le traduisait pour rendre l’aspect émotionnel du mot, on ne le traduirait pas par « père », mais par « papa », ou même « cher papa ». Assurément, si c’est le mot que Jésus appliquait à Dieu, son sens a dû naître de sa relation avec une figure paternelle terrestre qui était aimante, gentille, encourageante et source de vie. Si Jésus n’est pas le fils biologique de Joseph, alors la puissance de leur relation, si elle était bienveillante, aura été encore plus un acte de grâce et de don de soi.

Ces pensées sont-elles scandaleuses ? Elles ont pu l’être pour moi, mais elles ne le sont plus. Un Dieu qui peut être vu sous la forme inerte d’un criminel condamné, mourant seul sur une croix au Calvaire, peut assurément être vu aussi dans un bébé illégitime né de l’acte violent et égoïste d’un homme commettant un viol sur une jeune adolescente. Un Dieu qui peut appeler Amos alors qu’il s’occupe de ses sycomores à Tekoa, un Dieu qui peut enseigner à Osée la signification de la qualité infinie de l’amour divin avec l’expérience humaine d’une femme infidèle, un Dieu qui peut transformer un pécheur angoissé, Pierre, en disciple courageux, ce Dieu peut aussi transformer l’éventualité de l’illégitimité et la réalité d’une exécution publique d’un criminel condamné, en moyens à travers lesquels faire l’expérience de l’amour infini de Dieu et à travers lesquels le salut devient le cadeau divin au monde.

 Né d’une femme, p. 207-211.

Pâques

(John Spong fait l’hypothèse qu’après la mort de Jésus, ses disciples sont retournés, dans un premier temps, à leur vie d’avant. Simon et son frère André, ainsi que Jacques et Jean, les fils de Zébédée, seraient redevenus pêcheurs et auraient travaillé ensemble.)

On ne peut rester paralysé indéfiniment par le chagrin. Je suppose qu’ils ont un beau jour repris la pêche ensemble sur le même bateau.

Ces pensées conflictuelles à propos de Jésus préoccupaient Simon. Comment le messie aurait-il pu être tué ? Personne n’avait jamais entendu parler d’un messie mort, d’un messie exécuté, d’un messie pendu à un arbre ! Comment Dieu aurait-il pu dire non à un message d’amour et de pardon tout en restant Dieu ? Comment Dieu aurait-il pu renier quelqu’un qui avait tendu la main par-dessus toutes les divisions humaines pour mettre en valeur tous ceux que Dieu a créés ? Comment quelqu’un aurait-il pu être si pleinement au service de la vie et ne pas être en même temps au service de Dieu ? Comment quelqu’un aurait-il pu offrir sa vie si totalement et pourtant être considéré comme coupable d’un crime passible de la peine de mort ? C’est ainsi que Simon se débattait, jour après jour, semaine après semaine.

Une fois la pêche mise à l’abri, ils alimentèrent le feu, nettoyèrent un choix de poissons et les mirent à griller sur les braises. Ils sortirent le pain qu’ils avaient gardé dans le bateau. Le repas allait commencer. Simon, comme membre le plus âgé du groupe, fit la bénédiction rituelle. Des images lui affluaient à l’esprit : le psaume de la fête des Tentes, « Je ne mourrai pas mais je vivrai » ; les paroles de Zacharie, « Ils regarderont vers […] celui qu’ils ont transpercé » ; et cette nuit terrible au cours de laquelle Jésus prit du pain, le bénit, le rompit et le leur donna, en disant que ce pain était son corps. Comme il était d’usage chez les Juifs, Simon transforma ces images en paroles de bénédiction rituelle, et il rompit le pain.

Soudain, Simon comprit tout. Que la crucifixion n’était pas un châtiment, mais un acte délibéré. Que la croix constituait la toute dernière parabole de Jésus, qui s’était jouée sur la scène de l’histoire afin d’ouvrir les yeux de ceux qui n’auraient pu autrement comprendre que Jésus était le signe de l’amour de Dieu.

Que l’amour de Dieu était inconditionnel et que ce n’était pas un respect rigoureux de la loi qui pouvait le procurer. Que l’amour de Dieu dépassait les limites de la vertu, que c’était un amour qui n’exigeait rien en retour. Que la mort de Jésus constituait le dernier épisode de l’histoire de sa vie. Qu’elle démontrait comme rien d’autre n’aurait pu le faire que c’est en donnant sa vie qu’on la trouve, que c’est en donnant de l’amour que l’on trouve l’amour, que c’est en embrassant l’exclu que nous nous sentons nous-même embrassés comme exclus. Que c’était l’amour qui nous permettait d’arrêter de faire semblant et d’être tout simplement. Simon comprit ce matin-là le sens de la crucifixion comme il ne l’avait jamais compris jusqu’alors, et il se sentit aimé malgré ses doutes, ses peurs et ses reniements, comme il ne l’avait jamais été auparavant. C’est ainsi que l’aube pascale se leva sur l’histoire de l’humanité. On pourrait dire à juste titre qu’à ce moment Simon se sentit ressuscité. Le chagrin, la confusion et la dépression qui obscurcissaient son horizon disparurent de son esprit et, à cet instant, il sut que Jésus participait de l’essence même de Dieu ; à cet instant, Simon sut que Jésus était vivant.

Simon a vu. Il a vraiment vu. Jésus avait été exalté dans le Dieu vivant. Cela n’avait rien à voir avec le tombeau vide ou les plaies à palper. Cela avait un rapport avec l’idée que Jésus a rendu Dieu réel et que Dieu avait fait entrer sa vie dans la nature divine.

La résurrection mythe ou réalité ? p. 263-272.

NDLR : Tous ces titres sont publiés par les éditions Karthala et reproduits avec leur aimable autorisation. Les extraits présentés dans ce dossier ont été recueillis à partir de passages dispersés sur plusieurs pages, et rassemblés ici sans noter les coupures entre ces passages pour faciliter la lecture.

Pour aller plus loin : Sur son site protestantsdanslaville.org le pasteur Gilles Castelnau, un des tout premiers à avoir fait connaître la pensée de John Spong en France, a traduit de nombreux extraits des différents livres parus en anglais et des tribunes qu’il a publiées chaque semaine pendant seize ans, jusqu’à janvier 2017.

À lire l’article de Gilles Castelnau   » John S. Spong, théologien libéral « 

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À propos Abigaïl Bassac

est titulaire d’un master de l’École Pratique des Hautes Études (section des sciences religieuses) et étudiante en master de théologie à Genève. Elle est assistante des enseignants à l’Institut Protestant de Théologie et directrice de la rédaction d’Évangile et liberté.

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