Dans le dialogue entre Jésus et la Samaritaine, tout le monde pense que les paroles de Jésus sont à prendre symboliquement. Quand il dit qu’il peut nous donner de l’eau, personne ne l’interprète au pied de la lettre en pensant que Jésus offrirait l’eau courante à tous les étages pour le confort matériel des ménagères.
L’eau est le symbole de la grâce de Dieu, il suffit d’une pluie, ou d’une source dans le désert pour sauver le voyageur assoiffé, pour transformer un lieu aride, inhospitalier et brûlant en un lieu verdoyant, agréable et fécond. Et c’est bien ce qu’offre la grâce de Dieu dans une existence : c’est la vie, et c’est d’y faire germer le meilleur qui s’y trouve pour la rendre belle et féconde.
La promesse de Jésus est donc à lire symboliquement, comme les autres promesses de l’Évangile, comme sa lumière qui ne se mesure pas en kilowatts, et ses guérisons qui sont plus spirituelles que médicales.
Quant à la Samaritaine, les commentateurs disent, généralement, qu’elle ne comprend rien, qu’elle prend tous les propos de Jésus au pied de la lettre, faisant de ce dialogue une sorte de quiproquo. Mais cette lecture est discutable. L’intérêt d’un évangile aussi profond que celui de Jean ne peut reposer sur le fait de s’amuser de la bêtise de quelqu’un qui répond de travers, d’autant plus qu’alors toutes ses interventions seraient des non-sens. On peut penser au contraire que la Samaritaine, dès le début, comprend très bien de quoi il s’agit et, elle aussi, est dans le registre du symbolique. Le dialogue entre elle et Jésus n’est pas alors un malentendu, mais une discussion serrée sur l’origine de la grâce.
La preuve, c’est ce qu’elle dit : si Jésus lui donnait l’eau lui permettant de n’avoir plus soif, elle n’aurait plus besoin d’aller puiser. C’est absurde matériellement, l’eau pour boire représente à peine 10 % des besoins en eau ; même si elle n’avait plus soif, elle devrait tout de même puiser, pour la cuisine, la lessive et le reste.
Et puis cette mention du « puits de Jacob » est bizarre. Nulle part dans l’Ancien Testament il n’est question d’un puits en Samarie qui serait en rapport avec Jacob. Tout cela n’a de sens que spirituellement. La Samaritaine était dans la logique du judaïsme traditionnel pensant que l’Esprit avait soufflé du temps des patriarches, jusqu’à Moïse, et que pour avoir la grâce, il fallait retourner puiser à la source de ces temps anciens. Elle était dans une logique de religion d’observance où il faut peiner, travailler, œuvrer pour gagner la grâce à la sueur de son front. Jésus, lui, propose une autre conception : la grâce est offerte, il n’y a pas à la gagner, il suffit de la demander.
Mais, dit-elle, « le puits est profond et tu n’as rien pour creuser ». Elle a du mal à y croire, la grâce est loin de nous, et comment Jésus pourrait-il prétendre parvenir à la donner sans « moyens de grâce », sans rites, sans obligations diverses ? « Es-tu plus grand que Jacob ? » « Oui », lui dit Jésus. Il est bien plus grand que l’ancienne alliance des patriarches, il y a en lui une nouvelle source de révélation, d’esprit et de grâce.
Et ce qu’offre Jésus, c’est une source, bien mieux que le puits des juifs et des Samaritains. Un puits, c’est une citerne, où gît une eau ancienne, parfois croupissante ; la source, elle, offre une eau neuve, vivante. Il y a là encore une vision totalement différente de la religion, qui ne cherche plus dans une tradition ancienne des relents de souffle vital, mais qui trouve l’esprit et la grâce à la source même qui est le Christ.
Et Jésus promet en plus que chaque croyant peut devenir à son tour une source, pour soi et pour les autres. La Samaritaine comprend très bien cela, elle comprend ce que lui dit Jésus : elle a eu cinq maris (les cinq livres du Pentateuque qui font toute la Bible des Samaritains), et actuellement, en fait, n’a pas de foi vivante, pas de mari, juste une foi qui est une cohabitation avec des pratiques purement humaines. Elle comprend que le véritable époux est devant elle (le 7e) qui accomplit toutes les promesses et qui est le Christ, le Messie, donnant la plénitude de la présence vivifiante de Dieu.
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