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Patriotisme et nationalisme

Claude Monet : La rue Saint-Denis pavoisée. Rouen, Musée des Beaux-Arts

Claude Monet : La rue Saint-Denis pavoisée. Rouen, Musée des Beaux-Arts

Patriotisme et nationalisme, deux notions qui semblent être à la fois séparées et liées : le nationalisme ne serait que l’exaspération du patriotisme, c’est à dire aimer son pays jusqu’à haïr l’autre. Selon le spécialiste d’anthropologie sociale Ernest Gellner, le nationalisme est « un principe politique qui affirme que l’unité politique et l’unité nationale doivent être congruentes ». Gellner ajoute à cette définition une précision supplémentaire : « Le sentiment nationaliste est le sentiment de colère que suscite la violation de ce principe ou le sentiment de satisfaction que procure sa réalisation. »

 Les origines autour de l’idée de nation

Patriotisme et nationalisme se sont en effet élaborés autour de l’idée de nation, or celle-ci est une construction qui n’a pas toujours existé. L’idée de nation a supplanté la chrétienté et l’obéissance religieuse, elle a marqué aussi la fin de la soumission aux monarques. Au XIXe siècle, l’appartenance à la nation est synonyme de citoyenneté et de refus d’être un simple sujet. Pour mesurer les liens complexes entre le patriotisme et le nationalisme, nous choisissons de nous placer dans un premier temps dans un contexte français, celui de l’élaboration du républicanisme patriotique et de l’émergence d’un nationalisme qui les amènent à une convergence qui tend à brouiller les définitions. Dans un autre contexte, nous allons essayer d’établir un parallèle entre l’aspiration d’un sentiment européen qui transcenderait nos vieux schémas patriotiques et la montée en force de nouvelles formes de nationalismes qui tendent à magnifier l’illusoire retour vers le passé d’une Europe fragmentée en États-nations concurrents.

À la fin du XIXe siècle, le républicanisme français, associe l’idée de l’édification de la nation française et de l’affermissement républicain. Celle-ci passe par l’éducation républicaine et patriotique des jeunes français, d’autant plus exaltée que la France est sous le choc de la perte de l’Alsace et de la Moselle. Il n’est pas nécessaire de rappeler ici, l’importance des lois Ferry et le pari des protestants français en faveur d’une éducation républicaine patriotique pour tous les enfants sans distinction religieuse ou philosophique. L’école républicaine c’est, selon l’historien Michel Winock, « tremper l’âme nationale » des élèves grâce à l’histoire, la géographie, la morale, l’instruction civique, les leçons de choses. Ce patriotisme éducatif n’implique pas d’ennemis intérieurs puisque tous les citoyens sont appelés à défendre la République et la nation. Mais cette éducation patriotique n’en subit pas moins une dérive nationaliste, la tentative d’une mobilisation militaire des enfants dès 1882. Il s’agit de faire collaborer l’école et l’armée dans cette idée que défendre la nation c’est défendre la République. Même si cette politique éducative est un échec dans son application, elle montre la volonté de conditionner les esprits dans la préparation de la guerre.

Ce patriotisme républicain connaît une nouvelle porosité avec le nationalisme. En effet, c’est un ami de Léon Gambetta, Paul Déroulède, qui fonde la Ligue des patriotes en 1882. Si, au départ, cette organisation s’inscrit dans le champ du républicanisme patriote, les affaires Boulanger et Dreyfus l’ont fait participer à l’émergence du nationalisme français. Or, ce qui définit ce nationalisme, c’est la lutte contre un ennemi intérieur avant de s’attaquer à l’ennemi extérieur. Ce nationalisme est au départ, un conglomérat de mécontents venant de tous les milieux politiques. Il dresse le portrait des « antifrançais » que sont les juifs mais aussi, dans une moindre mesure, les protestants.

Il y a, avant la Première Guerre mondiale, un nouveau sentiment national qui embrasse les convictions patriotiques et nationalistes et qui élabore l’Union sacrée. Tous les Français, autrefois adversaires, se retrouvent face à l’ennemi commun, même si les protestants doivent encore se défendre contre quelques polémistes. Malgré cela, ce mélange de patriotisme et de nationalisme guerriers intègre aussi pleinement à la nation les minorités religieuses de France, à l’image d’un Maurice Barrès qui dresse en 1917 le portrait élogieux des diverses Familles spirituelles de la France.

 La construction de l’Union européenne

Le patriotisme et le nationalisme se distinguent mal quand il s’agit de s’opposer à l’ennemi extérieur. C’est pourquoi, la construction de l’Union européenne vise à dépasser le cadre de l’État-nation pour lui substituer une nouvelle entité politique qui efface les anciennes frontières. On sait, que cette conviction des pères fondateurs de l’Union européenne est une conséquence des guerres qui ont déchiré le continent, notamment la Première Guerre mondiale dont le patriotisme et le nationalisme endossent une lourde responsabilité dans le déclenchement du conflit. C’est le pari d’une Europe pacifiée mais qui s’est arrêtée avant sa pleine réalisation malgré une construction inédite et très rapide dans le temps. L’écrivain Camille de Toledo et le philologue Heinz Wismann plaident pour l’émergence d’une nation européenne : « L’Europe a besoin d’être une nation au-delà d’une nation. » Car le patriotisme et le nationalisme liés aux États-nations ne correspondent plus, selon eux, à la réalité : « Nous habitons désormais des espaces multilingues, plurinationaux. Nous existons dans des “entre-lieux”, entre un pays et un autre, entre une ville d’adoption et une ville de naissance. Et il naît de cette situation une nécessité de repenser un lien d’appartenance en accord avec la réalité de nos vies diffractées. »

C’est pourquoi, les nationalismes européens qui resurgissent et qui puisent leur force dans la crise que traverse l’Union européenne, mènent les populations à une impasse. Ces nouveaux nationalismes cadrent bien avec la définition de Gellner, celle d’un sentiment de colère contre un ennemi extérieur, que serait une bureaucratie européenne, et contre un ennemi intérieur, surtout le musulman qui mettrait en danger une culture nationale. Ces peurs véhiculent des fantasmes, car elles ne perçoivent pas le caractère de plus en plus sécularisé, multi religieux et interculturel des pays européens. Elles ne perçoivent pas non plus le désir d’intégration des musulmans en ascension sociale ni les mariages mixtes dont le nombre augmente. Les nationalismes qui orchestrent les sentiments anti européens font abstraction, dans leurs discours, de la pacification inédite d’une partie du continent grâce à l’Union européenne qui avait réussi à dépasser les vieilles rivalités entre les peuples.

 Dépasser le chauvinisme

Si leurs tonalités sont différentes au départ, le patriotisme et le nationalisme se sont souvent confondus pour le pire au cours du XXe siècle européen même s’ils ont permis aux minorités religieuses de s’intégrer dans une nation. Ces sentiments nationaux ne peuvent resurgir comme si on pouvait retrouver le passé perdu des États-nations européens tels qu’ils se sont construits au cours du XIXe siècle. Les sociétés européennes ont profondément changé, il faut accepter à la fois leur diversité culturelle et le métissage de leurs populations. Les sirènes nationalistes sont dangereuses, car elles mènent inévitablement vers la confrontation ; les guerres de l’ex-Yougoslavie et leurs tueries, les événements en Ukraine et en Russie sont là pour nous le rappeler. Acceptons plusieurs appartenances en fonction de nos vies et de nos racines, acceptons plusieurs patriotismes qui dépasseraient une fois pour toutes un patriotisme chauvin qui nous amènerait à idolâtrer la nation.

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À propos Jean Paul Augier

est docteur en histoire contemporaine. Il est engagé dans plusieurs associations notamment Évangile et Liberté, le Musée du protestantisme dauphinois... Il est l’auteur du livre Une passion républicaine, protestantisme, républicanisme et laïcité dans la Drôme, paru en 2014.

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