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Thomas More et l’euthanasie

J’ai déjà dit quels soins affectueux les Utopiens ont pour les malades ; rien n’est épargné de ce qui peut contribuer à leur guérison, soit en remèdes, soit en aliments.

Les malheureux affligés de maux incurables reçoivent toutes les consolations, toutes les assiduités, tous les soulagements moraux et physiques capables de leur rendre la vie supportable. Mais, lorsqu’à ces maux incurables se joignent d’atroces souffrances, que rien ne peut suspendre ou adoucir, les prêtres et les magistrats se présentent au patient, et lui apportent l’exhortation suprême.

Ils lui représentent qu’il est dépouillé des biens et des fonctions de la vie ; qu’il ne fait que survivre à sa propre mort, en demeurant ainsi à charge à soi-même et aux autres. Ils l’engagent à ne pas nourrir plus longtemps le mal qui le dévore, et à mourir avec résolution, puisque l’existence n’est pour lui qu’une affreuse torture.

« Ayez bon espoir, lui disent-ils, brisez les chaînes qui vous étreignent et sortez vous-même du cachot de la vie ; ou du moins consentez à ce que d’autres vous en délivrent. Votre mort n’est pas un refus impie des bienfaits de l’existence, c’est le terme d’un cruel supplice. »

Obéir, dans ce cas, à la voix des prêtres interprètes de la divinité, c’est faire une œuvre religieuse et sainte.

Ceux qui se laissent persuader mettent fin à leurs jours par l’abstinence volontaire, ou bien on les endort au moyen d’un narcotique mortel, et ils meurent sans s’en apercevoir. Ceux qui ne veulent pas de la mort n’en sont pas moins l’objet des attentions et des soins les plus délicats ; quand ils cessent de vivre, l’opinion publique honore leur mémoire.

(L’Utopie, Ed. J’ai Lu/Librio philosophie, Paris, 2013)

Brèves remarques d’un lecteur de 2014 :

1 – En Utopie la fraternité humaine se manifeste jusqu’aux derniers moments de la vie, dans ce que nous appelons aujourd’hui les soins palliatifs. En France l’association JALMALV (Jusqu’à la mort accompagner la vie) fait depuis des années un travail admirable pour qu’ils deviennent de plus en plus réalité.

2 – Depuis peu la loi permet le respect de « l’abstinence volontaire » du mourant et le refus de l’acharnement thérapeutique (au XVIe siècle ce problème ne se posait pas), mais elle interdit l’utilisation du « narcotique mortel », car un principe doit passer avant tout : le refus absolu de donner la mort. Cet absolu est particulièrement souligné par la plupart des responsables des Églises chrétiennes, catholique comme protestantes.

Le chrétien Thomas More a des motivations différentes. Est-on « à charge à soi-même et aux autres » ? Tenir compte de ce qui est bon pour soi et de ce qui est bon pour les autres, c’est se référer au précepte central de l’enseignement de Jésus : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » Thomas More a un profond respect de la vie, mais il ne fait pas de ce principe un absolu. Car faire d’un principe, quel qu’il soit, un absolu, c’est se condamner à agir en faisant passer en second ce qui est bon pour la personne concernée et pour les autres (C’est d’ailleurs, me semble-t-il, se fabriquer ce qu’on appelle en théologie une idole ).

De plus il s’agit d’un absolu qui devient dans d’autres cas… très relatif. En effet ceux qui refusent une aide à celui qui demande la mort s’opposent-ils aussi systématiquement aux interventions militaires ? Selon eux il serait donc interdit, en toute circonstance, de tuer une personne qui le demande, mais il serait autorisé, dans certains cas, de tuer des personnes qui n’ont rien demandé…

3 – Qui décide d’abréger – ou non – la fin de la vie ? La loi actuelle répond : le médecin, l’équipe médicale. Thomas More, lui, répond : celui qui va mourir, ce qui paraît cohérent avec une éthique de responsabilité personnelle. C’est la position de l’ADMD (Association pour le droit de mourir dans la dignité).

4 – Le texte de Thomas More n’évoque pas les risques d’abus, que soulignent les opposants à l’euthanasie. Sont-ils réels ? Oui. Faut-il les craindre ? Non. Il faut les prévenir. La loi belge de dépénalisation de l’euthanasie est appliquée depuis dix ans. Elle nous donne le recul nécessaire pour décider sereinement.

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À propos François Chazot

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