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Une étonnante table de communion réformée

La traditionnelle rigueur protestante serait-elle mise en cause par cette table de communion décorée d’une femme nue ? Bernard Reymond nous propose une interprétation plus décente !

  La petite église de Lavin en Basse-Engadine (canton des Grisons), construite en 1480 et passée à la Réforme en 1529, est connue pour ses admirables fresques. Mais elle possède aussi depuis 1667 une table de communion unique en son genre. Octogonal et de large diamètre, comme c’est d’ordinaire le cas en Engadine et dans le val Bregaglia, son plateau est entièrement décoré non seulement de motifs géométriques et de deux inscriptions concentriques, mais surtout d’une figure centrale surprenante en contexte réformé : elle représente une femme nue qui, entourée du plat, de la coupe et de la cruche, vaisselle habituelle de la cène, semble être en marche pour porter à d’autres le pain qu’elle tient d’une main et la coupe de l’autre.

  Cette figure sur une table de communion fait mentir l’idée force selon laquelle les réformés de jadis auraient été hostiles à toute représentation figurative dans leurs temples, surtout d’êtres humains. On peut en dire d’ailleurs autant de la table de l’église Santa Maria, de Pontresina, dont la forme et la décoration sont identiques, mais avec une femme revêtue d’une longue robe. Mais alors que dire de la nudité de celle de Lavin : n’est-elle pas d’une indécence plus surprenante encore si l’on songe à la rigueur que l’on attribue d’ordinaire aux protestants en matière d’usages et de moeurs ?

  Les inscriptions qui entourent concentriquement la figure de Lavin ne résolvent pas le problème. Elles sont rédigées en ladin qui est la version engadinoise du romanche, quatrième langue nationale de la Suisse. Voici la transcription et la traduction qu’a eu l’obligeance de nous en faire Stephan Bösiger, le pasteur de Lavin:

  D’abord l’inscription du cercle extérieur :

  Dus s. sacramaintnis / igl bataisem eis on / loter la s tschaina / töni zanet tisler (Duos sacramaints /il battaisem es l’ün / l’oter la soncha tschaina / Töni Zanet falegnam) – Deux s. sacrements / le baptême est l’un / l’autre la s. cène / Töni Zanet menuisier.

  L’incription du cercle intérieur répète cette phrase et ajoute :

  Ns algordain da la mort da nos singer iesu christ ano 1667 die + decembri (Nu’ns algorain da la mort da nos Segner Gesu Crist anno 1667 in december) – Nous nous souvenons de la mort de notre seigneur Jésus Christ en l’an 1667 en décembre.

 Gni ters me tot schi eschet agravads. eug s vol dar pos (Gnit pro mai tuot chi eschat agravats. Eu as vögl dar pos) – Venez à moi, vous tous qui êtes chargés, je veux vous donner du repos.

  Gni no pro la maisa dal segner. iesum o tud igl paun ha ruot o dat ad els m. b. (Gnit nan pro la maisa dal Segner. Gesu ha tut il pan, ha ruot, ha dat ad els. M. B.) – Venez à la table du Seigneur. Jésus a pris le pain, l’a rompu, le leur a donné. Mangez. Buvez.

  Si cette inscription est parfaitement à sa place sur une table de communion, elle ne permet pas de percer le mystère de la femme nue ; osons pourtant une interprétation : ne serait-elle pas une allusion à la Nouvelle Ève ? Si c’est la cas, mais la question reste ouverte, elle ne peut être que nue : dans le jardin d’Éden, le premier couple était nu et n’en éprouvait aucune gêne. Celle qui, visiblement dans la force de l’âge, apporte le pain et le vin symboles de la vie nouvelle est nue comme aux jours de la Création.

  Les guides artistiques ou touristiques ne manquent pas d’attirer fortement l’attention sur les fresques du temple de Lavin, mais restent tous muets sur sa table de communion. C’est dommage, car elle mériterait même davantage qu’une allusion

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À propos Bernard Reymond

né à Lausanne, a été pasteur à Paris (Oratoire), puis dans le canton de Vaud. Professeur honoraire (émérite) depuis 1998, il est particulièrement intéressé par la relation entre les arts et la religion.

Un commentaire

  1. a.oback@free.fr'

    Très intéressant à tous points de vue. Personnellement, j’ai été particulièrement par la délicatesse avec laquelle le pasteur Bernard Reymond a écrit cet article.

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