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Partageons-nous les mêmes valeurs?

En mars 2010, le rabbin David Meyer et le pasteur Jean-Marie de Bourqueney ont publié Le Minimum humain, ouvrage de réflexion sur la façon de préserver le lien social et la coexistence pacifique de diverses communautés, en s’appuyant sur les valeurs universelles. Ne faut-il pas en avoir aujourd’hui une approche nouvelle ?

Notre époque est à l’interculturalité. Débats et rencontres sur le thème du « vivre ensemble » dans la société diverse qui est la nôtre, se multiplient. Nous sommes engagés l’un et l’autre depuis de nombreuses années dans ces dialogues. Mais nous faisons le même constat : nous en avons assez du « religieusement correct » et de l’autosatisfaction. On se rencontre, on se parle, avec de « bons mots » aimables et mutuellement sympathiques. Nous voulons dépasser ce « dialogue cosmétique » pour faire face au fond des problématiques.

  Une réflexion sur l’interculturalité ne peut se faire sans consacrer une place substantielle à un débat théologique critique sur les valeurs de ce « vivre ensemble », car nos sociétés sont bien les héritières d’enseignements religieux. Malheureusement, si la société civile sait faire preuve de courage en s’interrogeant sur la nature du lien social dans la diversité, les rencontres purement interreligieuses sont souvent beaucoup plus frileuses. Trop souvent en effet, le débat religieux trouve un refuge réconfortant en confondant les valeurs de l’universel messianique où l’unité totale et l’harmonie des hommes est la condition préalable.

  Alors, face à la réalité présente, qui n’est pas messianique, quelles sont ces valeurs à partager ? Avons nous réellement une vision commune dans laquelle « amour », « justice », « tolérance » et « respect », seraient l’expression d’espoirs communs, ancrés au plus profond de nos textes fondateurs ? Pour ce qui est de la tradition juive, c’est vers le texte talmudique des sept lois de Noé, qu’il faut se tourner. Un véritable document légal qui pose comme préambule à la possibilité d’existence d’une société diverse, le rejet de toute forme d’idéal – y compris ceux de la Justice et de l’Égalité – y préférant le modèle d’une société simplement « décente » et, au mieux, luttant contre les inégalités les plus criantes sans chercher à les abolir pour autant. Comment ne pas remarquer que cette réflexion sur le « vivre ensemble » issue des textes de la tradition juive se caractérise également par l’absence totale de références aux grandes valeurs d’amour, de justice, de compassion, reflets d’un espoir très contemporain – et peut-être trop naïf – de la capacité de l’homme à s’imaginer autrement que ce qu’il est réellement : un être faillible et fragile.

  Le christianisme de son côté, se trouve dans une situation inédite : comment conserver sa « vocation universelle », sans sombrer dans une attitude de croisade, de conquête ? Comment concilier la réalité de notre monde diversifié et cette volonté d’affirmer que le Christ a porté un message universel ? Cette question s’est posée aux chrétiens… dès le Ier siècle ! Hélas, souvent le christianisme a compris sa vocation universelle comme une logique de conquête, des âmes et des territoires. Cela a sans doute influencé notre monde occidental, puisque l’un des avatars de cette logique de conquête est notre propension à vouloir imposer au monde nos vues, sur les droits de l’homme ou la démocratie. « Mon » univers devient l’universel… Mais, dès l’origine du christianisme, une autre voie s’est faite jour, demeurée souvent minoritaire : et si vivre l’universel c’était accueillir la diversité… Pour cela, l’effort est porté sur la profondeur du dialogue plus que sur la volonté systématique et bêtifiante de mettre tout le monde d’accord. Une nouvelle compréhension des valeurs universelles se fait alors jour : préférer la notion de valeurs communes qui s’imposent à tous parce que tous ont été écoutés, plutôt qu’une valeur imposée à tous par quelques-uns. Le christianisme se repense parce que l’humanité se repense.

  La confrontation de nos « minimums humains » respectifs est des plus fascinantes et des plus troublantes, tout en restant porteuse d’espoir. D’espoir car, au-delà des différences que nous assumons et dont nous mesurons les risques, c’est dans l’humilité et l’honnêteté de la démarche d’une telle recherche critique sur nos textes fondateurs que se trouve la convergence la plus probante de nos valeurs. Le lieu réel de notre universalité commune ne serait-il que dans le cheminement d’une recherche plutôt que dans son aboutissement ?

David Meyer, Jean-Marie de Bourqueney, Le Minimum humain, Bruxelles, Lessius, 2010.

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À propos David Meyer

Le rabbin David Meyer est professeur de littérature rabbinique et de pensée juive contemporaine à l’université Pontificale Grégorienne de Rome, et auteur de nombreux ouvrages.

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