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Par-delà les faces paternelle et maternelle de Dieu

Othon Printz, médecin psychiatre, a été président de la Fondation Internationale de l’hôpital Schweitzer de Lambaréné. Il réagit à l’article sur « La face maternelle de Dieu » que Camille Jean Izard a proposé dans notre numéro 244.

  Le débat ouvert par Camille Jean Izard dans l’article consacré à « La face maternelle de Dieu ? » nous apparaît particulièrement fécond. Nous aimerions le prolonger par quelques propos rapides.

  Si le constat d’un « transfert progressif vers une représentation maternelle de Dieu » à partir du « Dieu le Père tout-puissant » est indéniable, nous nous demandons s’il ne faut pas aller au-delà du glissement où « la femme, dans des combats difficiles, remet de plus en plus en question la domination de l’homme ». En effet, plus encore qu’un glissement, nous croyons percevoir un effacement de la spécificité homme/femme (au même titre que les hommes, les femmes peuvent devenir pilote d’avion, et les hommes sage-femme…) et un effondrement des fonctions paternelles/maternelles liées au sexe (soit le père, soit la mère, peuvent solliciter un congé parental ou, plus surprenant encore, des femmes cherchent à donner naissance à un enfant sans intervention d’un mâle). On peut, dès lors, s’interroger sur la réémergence du concept archaïque d’un « Dieu androgyne ».

  Le thème est présent, on le sait, dans beaucoup de religions anciennes. Shiva est, dans l’hindouisme, un dieu androgyne. Le dieu Ptah, dans l’ancienne Égypte, est à la fois « père et mère » des autres dieux. Platon, dans Le Banquet, rapporte qu’à l’origine, ne vivaient que des êtres androgynes, émanations de dieux euxmêmes androgynes.

  On sait aussi que, selon bien des textes midrashiques de Genèse 1,27, l’Adam originel n’est devenu mâle qu’après la naissance d’Ève. Au préalable, selon la Kabbale (Zohar, livre II), non seulement Adam et Lilith, sa première femme, étaient androgynes, mais ils ont été créés par un Dieu lui-même androgyne.

  Quelques commentateurs ont décelé des traces d’androgynie chez saint Jean et saint Paul : « Il n’y a plus ni Juif, ni Grec… ni mâle, ni femelle ; car vous n’êtes qu’un dans le Christ Jésus » (Ga 3,28).

  Plus près de nous, Balzac, dans son célèbre roman, Serphita-Seraphitus, se référant à Swedenborg, chante l’amour et l’élévation spirituelle de deux êtres androgynes qui se révèlent être le fruit d’un dieu androgyne.

  Des artistes, parmi eux Paul Gauguin, se sont également inspirés de la « théologie de l’androgynie » dans leur quête du « paradis perdu ».

  Sur le plan psychanalytique, s’il est juste – dans la perspective de C. J. Izard – de citer Freud, nous nous référerons, dans notre approche, à C. G. Jung. Le thème de l’androgynie fait partie, pour lui, des « archétypes » de l’humanité, et la recherche de l’équilibre entre « l’anima » (la composante femelle du mâle) et « l’animus » (la composante mâle de la femelle), constitue l’un des piliers de sa thérapie.

  Aujourd’hui le concept d’un Dieu androgyne n’est pas – sans doute à cause de sa connotation ésotérique – très porteur. Mais, dans le cadre « de la fin des certitudes » (la citation de la formule de Prigogine est heureuse), philosophes, psychanalystes et théologiens devraient, à notre avis, relire et réévaluer la portée des textes qui expriment cette conception du monde et de Dieu.

  L’entreprise, nous en convenons, n’est pas simple. Comment imaginer ce Dieu androgyne alors que nos schémas mentaux nous conduisent à nous adresser, depuis des générations, à un Dieu « Père » (spiritualité judéo-protestante) ou à un Dieu « Mère » (spiritualité catholicisante).

  Pour notre part, c’est la lecture de Mircea Eliade qui nous permet, non sans difficultés, de penser un Dieu androgyne. Dans cette perspective l’androgynie renvoie à la réunion des contraires, en d’autres termes à la « totalisation des fragments ».

  C’est dans la découverte des textes de ce grand historien des religions que nous avons pris conscience de notre « nostalgie d’un état paradoxal dans lequel les contraires coexistent sans pour autant s’affronter et où les multiplicités composent les aspects d’une mystérieuse Unité » et de notre « désir de recouvrer cette Unité perdue ».

  Ainsi, grâce à cet apport d’Eliade, nous pouvons nous adresser à un « Dieu Père/Mère » et redire dans une perspective renouvelée : « ÉCOUTE Israël ! Le SEIGNEUR notre Dieu est le SEIGNEUR UN » (Script et traduction proposés par la TOB de Dt 6,4)

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