Libre songeur

« Libre », ce mot si porteur, tellement attrayant. Capable de mener plus haut et plus loin chaque propos : libre pensée, libre parole, libre choix… l’adjectif rayonne de mille promesses sur les noms qu’il accompagne.

   Mais je m’interroge sur son emploi aujourd’hui si répété. Je le vois en perte de substance par excès d’occurrences. Lorsque Florent Pagny entonne « Ma liberté de penser », ladite liberté ne me paraît jamais aussi menacée qu’en présence de ce genre de psalmodies dissolvantes.

   Cette liberté moutonneuse orne nos rues et nos places comme jadis les effigies de l’Empereur ou les crucifix. Elle occulte l’expérience constellée d’embûches qui d’ordinaire conduit à une délivrance plus nette et plus intense.

   « La liberté n’est jamais spontanément accordée à personne », clamait Martin Luther King. Il avait raison. Rare est l’homme libre qui le soit devenu par décret.

   À l’exemple du militant que King a été, nous aurons à mener une marche silencieuse dans les méandres de nos mémoires. Le difficile sera d’accéder à ce qui nous configure, de débusquer ce qui nous modèle. Au fil de l’exploration, nous nous découvrirons marqués par d’étranges conditionnements. Nous verrons l’empreinte de notre culture sur nos idées ; mesurerons l’impact de notre situation économique sur nos représentations du monde. Nous nous verrons calibrés, formatés, prédisposés. Au point que l’expression « libre penseur » nous paraîtra émaillée de prétention, ou de naïveté.

   À choisir aujourd’hui, j’y préfère celle de « libre songeur ». Parce que beaucoup de déclarations me laissent en cet état. Parce que le songe est peut-être le lieu de naissance à de nouvelles libertés.

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