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Le Bouddhisme, si proche, si lointain

   Le bouddhisme est l’un des grands systèmes de pensée et d’action dans le monde. Il a engendré une culture d’une grande richesse. Mais pour nous autres occidentaux, il relève d’une culture, d’un mode de pensée qui sont déroutants. Nous arrivons bien à comprendre l’islam ou le judaïsme parce qu’ils sont, peu ou prou, de cultures voisines. Rien de tel avec le bouddhisme. Cependant c’est une culture qui prend pied chez nous, et nous devons bien essayer de le comprendre, d’autant que c’est passionnant. Qu’est ce donc que le bouddhisme ? On se pose parfois la question de savoir s’il est réellement une religion, ou bien une sagesse. Ceci au motif que le bouddhisme ne parle pas de Dieu, ne se réfère pas lui. Certains penseurs occidentaux, au XIXe siècle, tel par exemple Nietzsche, ont même voulu le présenter comme un athéisme, qu’ils dressaient et proposaient en modèle face au christianisme. En fait il est impossible de poser la question de cette manière : il nous est complètement allogène.

   Cette religion, ou cette sagesse, est née en Inde au VIe siècle avant J.C. On estime que son fondateur, Gautama, est né vers 624 avant J.C. et mort vers 544. Sa vie est riche en légendes décrivant des miracles et des apparitions divines. Malgré le mystère qui entoure les premiers temps du bouddhisme, on ne peut pas nier qu’un guide spirituel nommé Gautama ait existé. Le bouddhisme naissant s’est imprégné d’hindouisme auquel il a emprunté nombre de concepts, en les modifiant parfois sensiblement. Il a ainsi adopté le cycle des réincarnations qu’il réinterprétera en cycle des renaissances. Il adoptera également le principe de la rétribution des actes, le karma, c’est-à-dire des mérites et des fautes accomplies au cours des renaissances successives

   Le fondateur du bouddhisme est nommé Siddhartha Gautama. Siddhartha signifie : celui qui a atteint son objectif. Gautama serait son nom. Il est parfois appelé Sakyamuni, ce qui signifie Sage de la tribu des Sakya. Le nom de Bouddha lui fut donné par ses disciples.   

   Les récits de sa vie, tout d’abord transmis oralement, n’ont été mis par écrit que quelques centaines d’années après sa mort. Ils mélangent sagesse, métaphysique et légendes.   

   On raconte que Mayadevi, épouse d’un petit souverain élu, se rendit chez sa mère, alors qu’elle était enceinte. Passant à proximité d’un bois sacré, elle est prise de douleurs. Elle accouche d’un garçon. Les légendes prétendent qu’elle l’aurait conçu en songe pénétrée au sein par un éléphant blanc. Sitôt né, l’enfant se serait mis debout et aurait pris possession symboliquement de l’univers en se tournant vers les quatre points cardinaux.   

   Le jeune prince se révèle brillant. Il étudie les lettres, les sciences, les langues et s’initie à la philosophie hindoue auprès d’un brahmane. Il apprend à tirer à l’arc, à monter à cheval. Il étudie la musique et la danse. Il tombe amoureux et il épouse, vers 16 ans, sa cousine germaine, fille d’un seigneur du voisinage.   

   Le prince, qui s’ennuie, entreprend souvent de longues promenades. Il rencontre successivement un vieillard qui marche avec peine, un pestiféré couvert de bubons purulents, une famille en larmes qui transporte le cadavre d’un des siens, et enfin un moine mendiant qui quête sa nourriture. Il comprend alors que si sa condition le met à l’abri du besoin, rien ne le protégera jamais de la vieillesse, de la maladie et de la mort. Il s’éveille une nuit en sursaut et demande à son serviteur de harnacher son cheval. Il abandonne sa femme, les siens et tous ses biens et les quitte pour chercher la voie du salut, je devrais écrire plutôt de l’accomplissement.

   Gautama entreprend alors une vie d’ascète et se consacre à des pratiques méditatives austères. Mais six ans plus tard, il réalise que ces pratiques ne l’ont pas mené à une plus grande compréhension des choses. Il met fin à ses mortifications. Il préconise la voie moyenne et nie les excès, refusant autant l’austérité excessive que le laxisme. Il se concentre dès lors sur la méditation. Il prend place sous un arbre, un ficus, faisant voeu de ne pas bouger avant d’avoir atteint la Vérité. On raconte que le démon de la mort, effrayé du pouvoir que le Bouddha allait obtenir contre lui en délivrant les hommes de la peur de mourir, tente de le sortir de sa méditation en lançant contre lui des hordes de démons effrayants et des filles séductrices. Mais c’est en vain, et Bouddha accède à l’éveil une main posée sur le sol, dans la posture de prise de la terre à témoin de ses mérites passés. Il affirme être parvenu à la compréhension totale de la nature, des causes de la souffrance humaine et des étapes nécessaires à son élimination. Il insistera toujours sur le fait qu’il n’est ni un dieu ni le messager d’un dieu et que l’illumination ne résulte pas d’une intervention surnaturelle, mais d’une attention particulière portée à la nature de l’esprit humain.   

   Durant les 45 dernières années de sa vie, Bouddha voyage dans la région du Gange. Il enseigne sa pratique méditative et fonde la communauté des moines et des nonnes bouddhistes. Il décède à l’âge de 80 ans. Ses derniers mots sont : « L’impermanence est la loi universelle. Travaillez à votre propre salut. »

   Le bouddhisme compterait aujourd’hui entre 375 et 500 millions d’adeptes. Né en Inde, il s’est rapidement propagé dans l’ensemble de l’Asie, vers le Japon, en passant par le Tibet et la Chine, vers l’Indonésie. Et aussi vers l’ouest, où il fut freiné par le christianisme et plus tard par l’islam. Alexandre le grand le rencontra en Bactriane. Au IIe siècle avant JC, l’empereur indien Ashoka envoya, jusqu’en Grèce, des missions bouddhistes dont on n’a plus de traces. Puis, suite à un lent déclin, il fut éradiqué de l’Inde, son berceau, par la revitalisation de l’hindouisme. Il pénètre progressivement en Occident depuis le XIXe siècle. Cette progression s’accéléra depuis 1950 avec l’arrivée de maîtres zen et tibétains.

   Il est bien difficile d’établir une définition concise et pertinente du bouddhisme. D’ailleurs il existe différentes sensibilités, par exemple le bouddhisme tantrique tibétain, ou le bouddhisme Zen japonais. Nous ne pouvons donner ici que les grandes lignes. Les catégories classiques applicables aux religions occidentales sont court-circuitées. On peut considérer le bouddhisme comme une philosophie, une spiritualité ou une religion. Il existe différentes approches de l’enseignement du Bouddha. Pour simplifier, parlons d’une spiritualité, qui comporte des pratiques méditatives, des théories psychologiques et philosophiques, qui sont abordées dans la perspective de la libération de l’insatisfaction et du plein épanouissement de l’être humain. 

   Au départ, nous pouvons poser ce qui est le fondement du bouddhisme, et qui est l’intuition de la douleur universelle. L’homme est éveillé (le mot Bouddha signifie « éveillé ») quand il découvre les quatre saintes vérités, qui sont les suivantes :

   La première est que tout est douleur. La naissance est douleur, la vieillesse est douleur, la maladie est douleur, la mort est douleur, l’union avec ce qu’on n’aime pas est douleur, la séparation avec ce qu’on aime est douleur, bref tout ce qui compose l’être est douleur.

   La deuxième vérité concerne l’origine de la douleur. C’est la soif, la soif du désir, désir de l’existence et aussi désir de l’inexistence.

   La troisième vérité concerne la cessation de la douleur. C’est le détachement complet à l’égard de la soif, le désir d’éteindre la soif.

   La quatrième vérité concerne le chemin, l’ensemble des moyens qu’il faut prendre pour parvenir au but. Voilà le fondement du bouddhisme

   Le bouddhisme est donc – au fond un peu comme le christianisme – une doctrine de salut, ou peut-être plutôt d’accomplissement. Si l’origine de la douleur réside dans la soif et le désir, l’origine des renaissances doit être recherchée dans la rétribution des actes. Mais, contrairement au christianisme, cette rétribution est absolument automatique. Aucun Dieu, aucun juge suprême n’intervient pour peser les vertus et les vices, les crimes et les bienfaits, et distribuer châtiments et récompenses. Mais tout acte moralement bon ou mauvais laisse une trace dans le psychisme de son auteur et infléchit sa destinée dans un sens qui le fait progresser vers le salut ou régresser loin du salut. Le fruit de cet acte mûrit lentement. Une seule existence ne suffit pas pour cette maturation. Il en faut plusieurs. Il y a donc plusieurs renaissances en d’autres vies.

   Concernant la morale, il y a trois passions fondamentales dont toutes les autres dérivent : la convoitise, la haine et l’erreur. À ces passions s’opposent les vertus : le renoncement et la générosité s’opposent à la convoitise ; la bonté, la compassion et la patience s’opposent à la haine ; et la sagesse s’oppose à l’erreur.

   Le fidèle parvient peu à peu, au cours de plusieurs existences, à se débarrasser de ses passions. Il devient alors un méritant et finalement il entre dans le Nirvana.

   Le Nirvana, ce n’est pas le néant, comme on le croit souvent en Occident. C’est un état d’extinction. Extinction des désirs et de la soif, mais aussi du sujet des désirs, c’est-à-dire du Moi. C’est la cessation des passions. Ce n’est ni l’existence ni la non existence, mais plutôt l’absence de relation avec ce qui existe et ce qui n’existe pas.

   Le Nirvana, c’est le refuge, l’autre rive, la délivrance, le but suprême. On ne peut pas dire ce qu’il est, ni ce qu’il n’est pas. Il est l’ineffable, l’inconcevable. Il transcende l’être et le néant. Le Nirvana est la délivrance, la délivrance de la douleur universelle. Le Nirvana n’a rien de commun avec les choses sensibles. Il n’y a en lui ni durée, ni cessation, ni transformation.

   Ainsi le Nirvana n’est pas tout ce qui existe ici-bas, tout ce que nous connaissons. Il est l’ineffable. Il est la délivrance et c’est à cela qu’il faut tendre pour être délivré de la douleur universelle.

   Il existe des exercices spirituels en vue de cette libération. Ce sont les quatre méditations dont la technique fait penser – pardonnez-moi – aux exercices spirituels de St Ignace de Loyola. La finalité de ces exercices est de parvenir à ce qu’on pourrait appeler la Charité, dans ses diverses composantes. Ceci résulte d’un grand mouvement réformateur qui se fit quelques années avant notre ère. Ce fut l’apparition du Grand Véhicule ou Mahayana, qui s’opposa au bouddhisme ancien ou Petit Véhicule. Avec le Grand Véhicule apparaît la notion de Charité, qui en est le sommet. Cette notion comporte les préceptes suivants :

   Il y a d’abord la non-nuisance : c’est le respect de la vie, de toute vie, animale et végétale. Tout ce qui nuit à autrui est péché. Si vous pensez qu’une action que vous envisagez peut nuire à autrui, abstenez-vous. Elle sera source de douleur.

   Il y a ensuite la bienveillance. C’est une disposition de l’âme discrète et cordiale dans laquelle on doit se tenir. La bienveillance fait cesser la haine.

   Puis il y a le don. La bienveillance engendre normalement le don. Cela se traduit par le soin des malades, par les oeuvres.

   Et, bien sûr, il y a la compassion, la Karuna ou la pitié. La compassion procède de l’intuition fondamentale du bouddhisme, qui est l’intuition de la douleur universelle. Si tout est douleur, tout doit être pitié. Elle est à la racine de toutes les vertus. Mais il faut bien comprendre cette vertu dans le sens du bouddhisme : le mot compassion, pour nous, signifie « souffrir avec ». Dans une conception chrétienne, on souffre avec celui qui souffre. Et le chrétien ne peut pas éviter la difficile question d’un Dieu qui souffre avec ses créatures, avec sa création. Dieu peut-il être indifférent ? Or cette question ne se pose pas dans le bouddhisme. D’ailleurs, le bouddhisme ne parle pas de Dieu. La compassion n’est pas douloureuse. La pitié est une force sereine.

   Le souci du salut d’autrui. Il faut sanctifier autrui. Le sage ne connaîtra la félicité suprême que lorsque tous les autres auront atteint la délivrance. Le bouddhiste qui se réalise, ou bodhisatva, pratique l’altruisme. Un texte dit : « Si la souffrance d’un grand nombre cesse par la souffrance d’un seul, celui-ci doit la provoquer en lui par compassion… N’ayez qu’une seule passion : celle du bien des autres. Tous ceux qui sont malheureux le sont pour avoir cherché leur propre bonheur. Tous ceux qui sont heureux le sont pour avoir cherché le bonheur d’autrui. Il faut échanger son bien-être contre la peine d’autrui. »

   Voilà comment se présente, très brièvement, le bouddhisme. C’est un chemin, ou, selon son expression, un véhicule. On aurait demandé un jour au Bouddha comment on devait comprendre son enseignement, et il aurait répondu par la métaphore du radeau : on a besoin de lui pour passer le fleuve, mais une fois qu’on est passé, on le laisse sur le rivage, et on ne le porte pas sur la tête.*

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