Ingmar Bergman, réalisateur de plus de cinquante films, a marqué de son empreinte un demi-siècle de cinéma. Avec sa mort, le 30 juillet 2007, c’est une figure incontournable du cinéma qui disparaît.
« Que je sois croyant ou incroyant, païen ou chrétien, je veux être un artiste de la cathédrale… Mon moyen d’expression est le film, non la parole écrite… » Ces propos d’Ingmar Bergman lui-même, caractérisent l’homme et son œuvre qui marquera encore pendant longtemps le 7e art.
Les clés d’interprétation du cinéma bergmanien sont multiples : philosophie, sociologie, théologie, psychanalyse, libre au cinéphile de choisir ses angles de lecture artistique : jeu des acteurs, dialogues, éclairage, musique. Le spectateur sera d’autant plus impressionné et bouleversé qu’il connaîtra la vie du cinéaste car, dans ses films, Bergman se « met à nu » sans ménagement. Fils d’un pasteur luthérien rigide et d’une mère bourgeoise, le jeune Ingmar est éduqué dans l’obsession du pêché et du repentir, des interdits et des convenances sociales. Il s’en échappera en se réfugiant dans un univers de rêves, puis dans les études littéraires, le théâtre et le cinéma où il trouvera finalement sa voie.
Toute l’œuvre de Bergman est empreinte d’une problématique dominée par une morale intérieure exigeante focalisée sur une interrogation métaphysique permanente et une recherche du sens de la vie. Contrairement à Dostoïevski dont le drame fut de ne pas pouvoir croire, Bergman a souffert de ne pas pouvoir cesser de croire. Harcelés par le doute, certains personnages ne parviennent pas à une foi durable et dénoncent le silence de Dieu. D’autres se rebellent contre l’absence de la grâce pour une humanité enfermée dans la prédestination et un destin injuste. Ils en arrivent jusqu’à la négation douloureuse de Dieu, mais parfois, une espérance irrépressible les conduit à une certaine transcendance.
Bergman met en lumière les tiraillements de la conscience : l’humiliation (La nuit des forains), le regret (Les fraises sauvages), la maladie et le désespoir (Cris et chuchotements), l’égoïsme (Sonate d’automne), l’incommunicabilité (Scènes de la vie conjugale), le mensonge et l’échec (De la vie des marionnettes), la mort (Le septième sceau).
Parmi ses nombreux chefs-d’œuvre, j’ai choisi d’évoquer brièvement la trilogie des « films de chambre » où transparaît son angoisse : À travers le miroir, Les communiants et Le silence.
Dans À travers le miroir, un écrivain raté réalise qu’il a toujours négligé ses enfants. Reconnaissant sa faute, il se raccroche à la grâce divine. Il tente en vain d’ouvrir son cœur à Dieu mais son seul espoir reste l’amour car pour lui « chaque forme d’amour transforme le vide en richesse et le désespoir en retour à la vie ». Dans les deux films suivants, l’homme désespère face à l’injustice et à la douleur. Avec Les communiants, Bergman se réfère aux écrits de Kierkegaard dans lesquels « la vie privée de la grâce devient un gouffre de pulsions destructrices sans possibilité de salut ». Les doutes s’accumulent douloureusement autour du pasteur dont l’amour conventionnel et stérile est incapable de procurer le moindre apaisement à un paroissien acculé au suicide. Le dernier film de la trilogie est un appel désespéré du cinéaste confronté au silence de Dieu qu’il implore afin qu’il se manifeste. Face à l’univers dénué de sens des adultes, c’est la descente aux enfers pour l’enfant, seule une lueur d’espoir apparaît lorsque sa tante, avant de mourir, lui transmet quelques rudiments de la « langue inconnue » de ce monde hostile.
L’œuvre de Bergman ressemble à une quête de Dieu, du Bien et du Mal, de la conscience et de l’inconscient, de l’angoisse de la mort. Le réalisateur est un « sondeur d’âmes » et ses films, toujours d’actualité, méritent d’être vus et revus pour découvrir ou redécouvrir le monde, notre monde.
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