Accueil / Journal / Et maintenant on va où ?

Et maintenant on va où ?

Dans un film récent, Nadine Labaki, réalisatrice libanaise, utilise l’humour pour traiter un sujet grave : la lutte des femmes de son pays pour enrayer la spirale de la violence. Tolérance et non-violence sont ici opposés à la haine et au fanatisme.

  un jour, l’idée que mon enfant pourrait mourir à la guerre m’est apparue dans tout ce qu’elle a d’intolérable […], je me suis demandé jusqu’où j’irais pour empêcher mon fils de prendre un fusil. » Et voilà que de cette question naît un film : Et maintenant on va où ?, de la réalisatrice et actrice libanaise Nadine Labaki. Il s’agit d’une parabole de notre actualité, le Liban, la Palestine, Israël : il était une fois un village où vivaient ensemble chrétiens et musulmans, des femmes qui décident que l’histoire ne sera pas « l’éternel retour » de la violence, du fanatisme et de la mort pour rien.

  Premières images. Belles, terribles. La réalisatrice est aussi actrice. La mort, la fulgurance de ce soleil d’orient, les femmes. Je me prépare à recevoir – puis-je encore, toujours croire pouvoir me préparer à la désespérance ? – l’absurdité de la guerre, la bêtise des « justes causes » qui justifieraient l’injustifiable. Et puis la lumière : les femmes, des femmes, toutes. Ce monde du verbe de la vie qui transcende les idéologies, où le bon sens – d’aucun dirait la débrouillardise – balaye la fatalité des guerres inéluctables. Très vite je me retrouve dans une comédie italienne des années 60 : ce ne sont plus les claquements des armes de destructions qui tuent, ce sont les mots, l’humour, l’amour qui mitraillent des étincelles de paix.

  Et maintenant on va où ? Question qui m’interroge plus que la demande passive d’un royaume à venir. Que faire pour y aller ? « Tout ce que j’avais envie de dire c’est : ça suffit, ayez pitié », clame Nadine Labaki. Maintenant. Pas demain, pas une incantation : un cri de révolte qui devient une profession de foi !

  La réalisatrice tient l’un des premiers rôles, sans pourtant obscurcir les autres comédiennes. Elle crie sa rage aux visages des hommes, non comme « les madones larmoyantes » à laquelle la tradition religieuse nous a habitués ; sa rage de la révolte contre l’éternel retour de la haine. Dès la première scène « c’est aux mères en deuil, s’arrachant les cheveux, se frappant la tête contre les murs… » qu’elle offre une ode. Non un hommage (même si sans féminisme radical le terme, ici, me semble déplacé).

  Première scène donc. Une procession de femmes dans laquelle voiles noirs ou cheveux flottant au vent ont la même signification, la poussière, un cimetière de nulle part, de partout où la violence des idéologies de mort triomphe, le battement des tambourins pareil à celui des coeurs dans les poitrines de souffrances après la mort du proche « la mort sans étouffer la vie », ditelle. « Je suis persuadée que le monde serait meilleur s’il était gouverné par des femmes […] même si je sais que des mères envoient leurs fils au martyre… ». Comme cette lucidité me parle, même si je voudrais, innocemment, ne retenir « que le meilleur du monde » !

  Alors ces femmes, pour la plupart n’ayant jamais joué de leur vie, comme celles de Pasolini dans son « évangile selon Matthieu », que nous disent-elles ? Le trésor d’une culture plurielle, celle où jadis des enfants chrétiens grandissaient avec des enfants musulmans, où l’on allait à l’école ensemble, parfois dans le même lieu de culte, où Dieu était bien au-delà d’un édifice confessionnel. Ce passé lointain, d’avant la guerre, Nadine Labaki l’a recréé le temps du tournage, où l’équipe composée de libanais, français, chrétiens, musulmans, athées, se sont retrouvés dans cette magnifique utopie : des comédiennes chrétiennes jouant des personnages musulmans et réciproquement.

  Alors si l’image, si un film, nous annonçait une nouvelle fois notre espérance : celle d’un monde arraché à la barbarie des fanatismes. Même si le bruit des bombes et la couleur du sang éclaboussent les murs. Même si, dans mon pays, la haine et l’exclusion se répandent comme un venin, ces femmes me disent que la fatalité, quitte à prendre des coups, n’existe pas. Que dans la truculence du verbe et du courage de tous les jours, cette guerre des mères pour la paix est un bien bel Évangile.

Don

Pour faire un don, suivez ce lien

À propos Pierre Ruetsch

est professeur d’histoire, membre de l’Oratoire du Louvre, engagé dans l’accompagnement des migrants et sans papiers à la Clairière (centre social fondé en 1911 par le pasteur Wilfred Monod).

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

En savoir plus sur Évangile et Liberté

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Continue reading