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À propos du désert, lieu de ressourcement

Le désert est un lieu attirant que peu de gens connaissent réellement. Jean Boissonnas, géologue au BRGM, l’a souvent parcouru. Il nous parle de son expérience personnelle dans ce milieu qui l’a profondément marqué.

   On nous présente depuis toujours le désert comme un lieu de ressourcement, un espace de rupture et de refondation, une voie d’accès vers un destin clairement choisi et assumé. Tel est en effet le sens profond de l’Exode et du récit de la tentation de Jésus. Depuis, avec plus ou moins de bonheur, des mystiques, des poètes, des aventuriers et des géographes, sans oublier des touristes occasionnels, ont tenté dans leurs écrits de faire partager leur expérience intime du désert. Gardons-nous alors des idées reçues ! Théodore Monod n’écrivait-il pas dans son livre Méharées : « À quoi pense-t-il, le pèlerin solitaire, exposé au plus violent du soleil, au sommet de son méhari, cloué entre ciel et terre, comme en haut d’un pilori ? Il médite, sans doute, il réfléchit sur la conduite de la vie, sur ses fautes passées ; il prie peutêtre ?… Erreur, il ne songe – et ne peut songer – qu’à des citronnades frappées, à des boissons fraîches et gazeuses, aux petits glaçons qui fondent doucement… »

   Il paraît a priori évident que le géographe, le naturaliste, le géologue que j’étais, qui gardent à tout instant l’oeil rivé sur le sol et sur le paysage, et d’autre part l’homme d’Église ou le mystique, n’abordent pas le désert avec le même état d’esprit. De leurs parcours très différents, faut-il conclure que les uns et les autres n’ont rien à se dire et que l’exigence de ressourcement ne serait l’apanage que des contemplatifs ? Non, bien sûr. Tous ont pu savourer la magie des fins d’aprèsmidi, quand la lumière se dore et l’esprit se détend, ou goûter le silence absolu des nuits, que déchire parfois le jappement d’un chacal. Ils ont au moins une certaine expérience commune de la fatigue physique, il leur est arrivé à tous d’être comme assommés par la dure lumière de midi, et ils peuvent vous décrire la sensation que procure la première gorgée d’eau fraîche, alors que la gourde était vide depuis plusieurs heures. Tous ont eu des occasions de penser, pour peu qu’ils l’aient voulu. Ils savent aussi qu’entre vie intérieure et abrutissement, la ligne de crête est étroite : les deux états peuvent très bien se succéder chez le même individu au bout de quelques mois. Au final, ni les uns ni les autres ne sauraient prétendre avoir échappé à l’emprise de l’expérience vécue ; ils ont été marqués à vie.

   Mais il y a plus, et plus profond. Devant certains panoramas, sous certains éclairages, tous se trouvent exposés à un même mystère, ce ressort trop rarement commenté de l’attrait que le désert exerce sur l’âme. Il ne s’agit pas de quelque sentiment diffus, né de la contemplation du monde dans son état minéral, mais de la conscience aiguë d’un ailleurs à découvrir, par exemple au sommet de tel plateau aux flancs ensablés, ou derrière cette procession de pics pointus qui barre l’horizon au-delà du reg : un léger voile de brume sèche, un contre-jour lumineux, conféreront à ces paysages une allure fantomatique ; à la pointe du jour, une lumière tamisée évoquera d’étrange façon les neiges et les grands glaciers calmes des régions polaires. Je sais d’expérience qu’il n’est pas de repos tant qu’on n’est pas allé voir.

   À 21 ans, fin 1956, j’étais un jeune homme assez mal à l’aise, corseté dans les principes d’une éducation parisienne traditionnelle, mais féru de récits d’exploration. Imaginez ce qu’a pu représenter d’être déposé un après-midi sur une terrasse d’oued, à 20 km de Tamanrasset, avec boy, matériel de campement et ravitaillement, sachant que le camion ne reviendrait qu’au bout d’une semaine. J’ai gravi une petite colline. Un paysage très ouvert se déployait, les sommets du Hoggar se découpaient à 50 km sur l’horizon, la petite tente faisait une tache orange, là tout en bas. Un instant de flottement, puis une grande bouffée de bonheur. Que s’était-il passé ? Tout simplement une double révélation : celle de la liberté et celle d’un chemin à suivre.

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À propos Jean Boissonnas

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