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L’hydre « pédophilie »

Le théologien Karl Barth considérait que l’auditeur attend du prédicateur qu’il le comprenne mieux qu’il ne se comprend lui-même. C’est bien ce que nous sommes en droit d’attendre des pasteurs, des théologiens, des revues de théologie, des institutions religieuses. C’est ce que nous nous efforçons de faire avec la publication du témoignage de l’un d’entre nous : comprendre ceux qui ont souffert et souffrent encore de quelque chose qu’ils n’ont pas compris sur le moment. Aider ceux qui sont dans une situation analogue de pouvoir un peu mieux comprendre ce qu’ils ont subit ou ce qu’ils ont commis.

Nous avons souhaité préserver l’anonymat de notre ami, à sa demande, pour respecter la mémoire de ses parents et pour éviter d’en faire une affaire personnelle. Ce qui compte pour nous, c’est que nul ne soit condamné à porter pour le reste de sa vie un fardeau qui n’est pas le sien.

La rédaction Internet d’Evangile et liberté


Victime d’un prêtre pédophile

Il y a 58 ans (j’avais 10 ans), j’étais « Petit Chanteur » dans la manécanterie de la paroisse de mes parents, d’une bonne renommée qui dépassait largement le cadre de la paroisse, puisque nous donnions des concerts dans des grandes salles (la salle Gaveau ou la salle Pleyel, par exemple), nous enregistrions des disques chez Erato, nous participions à des émissions de télévision, et nous faisions des tournées de concert dans toute l’Europe. La manécanterie était dirigée par un prêtre dont les qualités de musicien et de chef de chœur étaient certainement incontestables. Mais il était pédophile.Bien sûr je ne connaissais pas ce terme, bien sûr je n’avais aucune conscience de la gravité des actes que je subissais : au cours des vacances, nous partions en province, ou à l’étranger pour des tournées de concert, et pendant la sieste, dans le dortoir, il s’introduisait dans mon lit et s’intéressait très particulièrement à mon sexe, au milieu des autres enfants qui partageaient le dortoir avec moi. Je n’étais pas le seul enfant à subir ce « traitement », mais j’étais particulièrement visé. Tout le monde savait mais personne ne disait rien, moi le premier, et j’avais du mal à savoir si ce que je subissais était mal ou pas, car « il » était le directeur de la manécanterie, prêtre et je n’avais personne à qui oser en parler.

L’affaire a éclaté lors d’une tournée de concerts en été, en Europe du Nord, dénoncée (si j’ai bien compris ce qui s’est passé car nous n’en avons jamais été informés) par des « grands chanteurs » de la manécanterie. La tournée de concerts a été brutalement interrompue et nous sommes rentrés en France.

Parole d’enfant niée

A la rentrée scolaire qui a suivi, mes parents ont reçu la visite d’un « grand chanteur » : je n’ai pas eu le droit de participer à l’entretien mais je me suis bien douté quelle en était la raison. Et quand j’ai voulu en parler avec mes parents, ceux-ci ont refusé en prétextant que je mentais, que j’inventais cette histoire. Et tout en est resté là. Que vaut la parole d’un enfant contre celle d’un ecclésiastique ? Les enfants ne comprennent pas ce qui leur arrivent, ils sont sidérés, comme je l’ai été, et je n’ai eu aucune possibilité d’en parler à quiconque. J’ai quitté la manécanterie, on n’en a plus jamais reparlé et je suis resté avec ma honte enfouie au fond moi, avec « mon mensonge ». Et j’avais honte de mon sexe. Et depuis 58 ans je ne peux plus du tout chanter.

La pédophilie médiatisée

Petit à petit, j’ai « oublié » cette honte, et entre temps (10 ans après) j’ai quitté l’Église catholique et abandonné toute référence à la foi chrétienne, avec des raisons qui sont totalement indépendantes de cette histoire de pédophilie que j’avais fini par oublier. Mais avec l’irruption médiatique récente des événements liés à la pédophilie dans l’Église catholique, cette honte a ré-émergé et m’a envahi. Heureusement j’ai rencontré régulièrement à ce moment-là une psychologue et elle m’a aidé peu à peu à dépasser cette honte ; c’est d’ailleurs elle qui m’a poussé à écrire ce témoignage. Mais que c’est douloureux pour moi de revivre cette honte, ce « mensonge », à l’écoute de la radio ou à la lecture des très nombreux articles de la presse que je ne peux m’empêcher de lire.Certes la pédophilie n’est pas une spécificité de l’Église catholique. Il n’y a pas que le scoutisme ou le catéchisme, il y a aussi l’école primaire, ou d’autres lieux où les rapports qu’un homme peut entretenir avec des enfants du fait de sa fonction de prêtre ou de professeur des écoles sont étroits. Mais il y a aussi les manécanteries qui sont des lieux de dangerosité pour les enfants. Les prêtres ou les laïcs qui les dirigent doivent aussi être au dessus de tout soupçon. J’ai depuis eu aussi des témoignages d’autres manécanteries où des faits de pédophilie ont été connus.

Justice / Pardon ?

En ce qui me concerne, je ne réclame pas vengeance. A titre personnel, il ne me vient pas à l’esprit de demander réparation à quiconque, pas même à l’Église catholique : le prêtre en question est certainement mort aujourd’hui, et mes parents le sont aussi. Je reste seul avec le poids de cette énorme culpabilité, de ce manque de confiance de mes parents qui n’ont pas voulu me croire, qui se traduit aussi parfois par un manque de confiance en moi. Mais découvrir par les médias que cette pratique était si généralisée dans l’Église catholique, et pas uniquement en France, me choque aujourd’hui. Quelle honte, non pas seulement la mienne et celle des autres victimes de pédophilie, mais pour cette Église. Et je ne peux pas comprendre que l’Église catholique ait accepté ces faits et couvert ces prêtres fautifs. Et même si c’est 58 ans après, quel soulagement pour moi de voir enfin arriver la dénonciation et le passage devant la justice.D’un point de vue général, avec le recul, et bien au-delà de l’Église Catholique qui n’est pas la seule concernée, cette vérité a été trop recouverte, niée, étouffée. L’affirmer au grand jour permet à ceux qui ont subi ces actes de pédophilie de se libérer du sentiment de honte et de culpabilité, alors que ce sont eux les victimes. Écrire, dire, parler de ces actes de pédophilie subis permet de libérer la parole et d’alerter sur la multiplicité des situations où de tels abus ont pu et peuvent encore avoir lieu, et c’est aussi un désir de vérité pour permettre d’établir la justice.

Alors peut-on invoquer le pardon ? Le demander aux victimes me semble difficile, et si j’étais aujourd’hui confronté à ce prêtre qui a abusé de moi et de mon innocence, je n’en serai pas capable à titre personnel, j’en porte trop encore le poids et en subi trop psychologiquement les conséquences, et c’est ce qui rend si difficile ou impensable de me demander de lui pardonner. Mais c’est aussi, comme moi, un homme ; et peut-être est-ce une victime de ses pulsions du fait du célibat imposé aux prêtres ? Ne peut-on, alors, envisager une autre forme de pardon, celui que l’on acquiert par la prière – le pardon que le Père accorde à tous les pécheurs ?

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À propos la rédaction

laredaction@evangile-et-liberte.net'

3 commentaires

  1. lucile.blavy@orange.fr'

    Sujet douloureux qui arrive aussi dans les milieux protestants où le silence est aussi pesant pour les maux.

  2. rosem_erb@yahoo.fr'

    L’abus est un crime. Religieux ou laïque, le prédateur doit passer par la justice.
    Sans généraliser, ll semble que cette pédophilie vient de loin en forme « d’abuseur abusé », d’une génération à l’autre…
    La justice doit passer, pour assainir le terrain, les pratiques, l’ambiance, le milieu, les privilèges etc. et pour dire aux abusés : il n’avait pas le droit de te faire cela, tu n’es pas coupable ! !
    Que Dieu nous vienne en aide !
    Elsa

  3. christophe.naud@neuf.fr'

    Tous les témoignages de victimes sont très douloureux, et certainement difficiles à mettre en mots aussi. Je ne suis pas victime_ enfin peut-être ais-je été victime d’abus de conscience, mais à un degré bien moindre que tant d’autres. Et puis, ce n’est pas la même chose non plus. Je ne me sens pas particulièrement bien disposé au pardon. Je crains que le pardon ne soit parfois extorqué, arraché, forcé, tiré au forceps. Donc sans grande valeur. Et puis c’est pratiquement un outrage supplémentaire. Aucune victime ne devrait s’y sentir contrainte.

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