Texte : « on pren 1 minut pr trouv kelk 1 2 special, 1 h pr apprecié, 1 journée pr aimé et 1 vi entière pr l’oublié. Envoi ce msg a 1 person ke tu noublira jamé et a moi si jen fé parti. Si tu lenvoi a person sa veu dir ke t pressé et ke ta oublié tou t amis ».
À vous, amis lecteurs, de traduire ce, quoi ?, message, texto ?, que m’a donné une jeune fille de 14-15 ans. Plus simplement, on comprend mieux « t où », « c ki » ou « j v ». Le tout, bien sûr, non pas à lire mais à dire, pour retrouver le sens par le son.
Et je me souviens, avec quelque nostalgie, que l’être humain est passé du son au langage, du langage aux langues, de la langue dite à l’écrit. Et je me souviens, avec une égale nostalgie, que cette essentielle et merveilleuse, et irremplaçable étape de l’écrit, en Occident, a traversé le pictogramme, l’idéogramme, le cunéiforme et, via les Phéniciens, nous a donné l’alphabet grec, puis étrusque, puis latin. Environ quelques dizaines de milliers d’années auront été nécessaires à ce travail prodigieux, à cette évolution de l’homme. Et voici qu’en quelques années, par, pour, à cause de et grâce à (?) la technique moderne, pour déchiffrer les « messages » ci-dessus, il faut retourner au son. Soit un retour en arrière de combien d’années.
Ce nouveau mode d’écriture peut être drôle s’il s’agit d’un jeu, d’un moment. Il l’est beaucoup moins s’il défait vocabulaire et grammaire, le premier étant primordial dans le choix des mots, et donc de notre responsabilité à les prononcer en connaissant le sens, la seconde restant ce que les grammairiens ont appelé « la colonne vertébrale de l’esprit » par la vitesse, notamment, de l’anticipation des articulations grammaticales. Ne risque-t-on pas des lecteurs à deux vitesses ? Ceux qui sauront et ceux qui ne sauront pas, lire et écrire, les uns grâce aux parents et autres adultes, les autres parce que laissés seuls et sans aide. Ne faudrait-il pas cesser de rire, et n’est-il pas temps de dénoncer les maux de ces mots ? À moins que je ne sois devenue l’un de ces êtres en voie de disparition, comme il y en a tant eu. Les espèces se succèdent, alors à quand l’homo analphabetus ? Bientôt peut-être ? Pourquoi pas…
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