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Eloge de l’absence

« Je ne prétends point être là, ni survenir à l’improviste, ni paraître en habits et chair, ni gouverner par le poids visible de ma personne »[1] écrit le poète. Si la foi chrétienne repose sur l’espérance d’une présence bien réelle de Dieu dans la vie du croyant malgré l’absence physique, on peut légitimement se poser la question du sens de cette absence, et au passage du fait que le Christ s’envole littéralement.

Évidemment, dans un souci de cohérence rédactionnelle, si la venue du Christ parmi les hommes est comprise et transmise comme un abaissement qui s’exprime d’un point de vue spatial par l’idée de descente du ciel vers la terre, il est plutôt logique d’imaginer son départ de manière symétrique avec une élévation synonyme de retour à un ordre originel, « à la droite de Dieu ».

Mais bien plus qu’un déplacement physique du ressuscité, le thème de l’Ascension comme enlèvement est d’abord à comprendre comme un motif littéraire qui appartient au registre classique de la biographie dans l’Antiquité. En cela, Jésus s’inscrit d’ailleurs dans une lignée de personnages bibliques comme Hénoch[2] ou Élie[3], mais aussi profanes, considérés comme trop importants pour avoir une destinée ordinaire et dont la mort est alors mise en récit de manière spectaculaire.

On peut penser ici – pour ne citer qu’un exemple parmi tant d’autres – à la mort de Romulus qui est « enlevé par l’orage dans le ciel »[4]. Le récit qu’en fait l’historien Tite-Live met déjà en exergue  un questionnement similaire à celui des chrétiens: non seulement les doutes face à l’historicité de l’événement: « il est étonnant qu’on ait si facilement ajouté foi à un pareil discours »[5], mais surtout, et c’est ce qui nous intéresse ici, le fait que malgré les doutes légitimes, le discours et ce qu’il produit priment sur l’historicité de l’événement.

Le récit de l’Ascension n’est donc pas une invention chrétienne. Elle ne renvoie pas à un énième miracle  dont les chrétiens auraient le secret et obéit à un schéma de représentation familier pour les lecteurs de l’époque.

Mais au-delà de l’hommage littéraire rendu à un personnage important, il répond à deux objectifs. D’abord, le souci d’illustrer concrètement l’idée théologique de la « glorification du Christ ». Ce qui est exprimé physiquement par l’auteur explicite alors une théologie que l’on trouve par exemple dans l’épître de Paul aux Philippiens: « il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, à la mort sur une croix. C’est pourquoi Dieu l’a souverainement élevé et lui a conféré le Nom qui est au-dessus de tout nom »[6].

Ensuite, et de manière plus concrète il apporte une réponse aux croyants qui attendent le retour imminent du Christ pour la fin des temps. En racontant ainsi la montée au ciel, l’Évangile exprime l’idée que ceux-là seuls ont compris la signification de Pâques qui ne se contentent pas de lever les yeux au ciel et de rentrer en dévotion, mais s’en vont dans le monde rendre témoignage à Jésus-Christ en paroles et en actes.

En l’absence du Seigneur, la vie continue, mieux : elle commence.

 

[1] Victor Segalen, Éloge et pouvoir de l’absence in: Stèles, 1912

[2] Gn 5, 25

[3] 2 Rois, 2, 1

[4] Tite Live, I. 16. 2

[5] op. cit. I. 16. 8

[6] Ph 2, 7-8

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À propos Fabian Clavairoly

est pasteur de l’Église réformée du Bouclier à Strasbourg.

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