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L’Église, un vice de construction

Harry Kuitert
pasteur de l’Église réformée néerlandaise

Kerk als constructiefout. De overlevering overleeft het wel. 

(Ten Have, Kampen 2016. 3e édition)

Recension Peter van der Heijde

« Tout ce que nous disons d’en Haut, vient d’en bas, même si nous disons que cela vient d’en Haut » aime à affirmer Harry Kuitert, à la fois professeur émérite et enfant terrible de la théologie aux Pays-Bas.

Voici qu’il lance un nouveau pavé dans la mare chrétienne.

Dans un petit livre de 168 pages, facile et agréable à lire, il applique sa thèse à l’Eglise, qui prétend tenir son autorité et sa doctrine de Dieu en personne.

Kuitert constate trois choses : l’Eglise occupe de moins en moins de place dans le domaine public (sécularisation), les « fidèles » la quittent petit à petit, et de nouvelles façons de croire se développent en dehors de celle-ci. Les gens savent à présent que non seulement ils n’ont nul besoin de l’Eglise pour être de « bons chrétiens » et, pire encore, qu’ils se sont autrefois laissés endoctriner et abuser par celle-ci, dont l’objectif premier est de conserver son pouvoir.

Si les croyants ne se sentent plus concernés par la doctrine ni l’autorité de l’Eglise, c’est que leur expérience intime a évolué par rapport à autrefois, tandis que l’Eglise, elle, continue à prétendre plus ou moins haut et fort qu’elle reçoit sa mission de Dieu, et est donc en droit de s’imposer à tous.

Se dire investi par une puissance supérieure est essentiel pour l’Eglise, et peu importe si tout ce qu’elle dit vient d’en bas, est parole humaine et pas du tout révélation venue d’en Haut.

La foi n’a pas commencé par des dogmes, mais par une expérience personnelle, à savoir les sentiments éprouvés par nos lointains ancêtres face à l’énigme de l’univers : cette conscience de l’infini a pris la forme de diverses religions, selon les diverses cultures.

Et la spiritualité a précédé les dieux, lesquels ont précédé le Dieu unique.

Dietrich Bonhoeffer a secoué les Eglises en lançant le concept de « mündige Welt », de « monde qui a atteint l’âge de la majorité », qui est capable de tenir debout par soi-même. Mais comme l’Eglise a toujours voulu jouer un rôle, il ne fallait surtout pas que le monde devienne trop autonome, sinon elle en arriverait à être superflue ; il fallait que tout se passe sous sa direction, et la distinction Eglise-monde devait perdurer.

L’Eglise est une institution qui transcende le temps, car elle vient d’en-Haut, et qu’elle a pour mission de conduire le monde vers Dieu.

A ce propos, Kuitert reprend l’histoire du Grand Inquisiteur (« Les Frères Karamazov »). Le cardinal-Grand-Inquisiteur dit à Jésus, revenu sur terre, que celui-ci a donné trop de liberté aux gens, alors qu’ils ne sont pas capables d’assumer pareille charge. Pour leur bien, évidemment, l’Eglise s’est alors investie elle-même de cette liberté.

Dostoïevski considère cela comme contraire au message du Christ, car l’Eglise s’arroge ainsi une autorité et un pouvoir qui, en dépit de ses affirmations, ne viennent pas du tout d’en Haut ! L’obéissance à Dieu est en fait obéissance à des ministres autoproclamés
En d’autres termes, l’Eglise est un « phénomène » historique, et Kuitert est d’accord avec Alfred Loisy qui disait : « Jésus annonçait le Royaume de Dieu, et c’est l’Eglise qui est venue ». St Paul le recommandait déjà : « Ne vous remettez pas de nouveau sous le joug de l’esclavage » (Gal.5, 1).

Conclusion : l’Eglise n’aura un avenir que si elle change d’attitude, autrement dit si elle renonce à sa soif d’autorité sur les « âmes », si elle arrête de dire que les dogmes arrivent en droite ligne de Dieu, et qu’hors d’elle il n’est point de salut.

Il lui faudra se contenter de proposer une doctrine qu’on est libre d’accepter ou non, de transmettre, de raconter, comme l’ont été les histoires sur la vie de Jésus. Cette transmission sera sans cesse élargie, modifiée, en fonction des convictions et de la sensibilité du conteur.
Perdant son caractère d’ « obligation », la transmission sera celle non plus de paroles imposées, mais d’une expérience spirituelle vécue au sein d’une communauté dénuée de la prétention de se situer au-dessus des autres.

Espérons que ce livre « salutaire » sera bientôt traduit en français !

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À propos Gilles

a été pasteur à Amsterdam et en Région parisienne. Il s’est toujours intéressé à la présence de l’Évangile aux marges de l’Église. Il anime depuis 17 ans le site Internet Protestants dans la ville.

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