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Qu’est-ce que la théologie du process ?

Imaginons un homme d’une trentaine d’années. Il n’a jamais fréquenté les Églises, ne connaît pas grand chose à la Bible, aux évangiles. Sans être athée, il rechigne à se dire croyant. Il fait partie de cette foule d’hommes et de femmes que l’on dit indifférents aux choses de la foi. L’un de ses amis, protestant engagé dans son Église, lui parle souvent du culte et de la prédication de son pasteur ; une prédication qu’il trouve ancrée dans la vie, moderne, pas du tout ennuyeuse, une prédication qui le fait réfléchir, qui lui apprend des choses, qui parfois le surprend, et lui donne même le sentiment de vivre plus intensément.
Cet ami lui parle régulièrement de ces prédications passionnantes, et notre homme l’écoute avec intérêt mais sans plus. Il est pourtant de plus en plus étonné par l’enthousiasme de cet ami. Cela l’intrigue au point de se dire qu’il pourrait bien, après tout, l’accompagner un dimanche (il ne fait jamais vraiment rien ce jour-là, il n’aime d’ailleurs pas les dimanches). Il pourrait voir ce qui se passe, se faire une idée par lui-même. Ne serait-ce que pour avoir un peu plus de répondant à son ami si intarissable et passionné.

Il vient au culte. Il écoute les différentes prises de parole, sans toujours comprendre ce que cela signifie. Il trouve certains textes assez poétiques, d’autres le laissent plutôt indifférents. Il est impressionné par la musique, l’orgue notamment, une musique qu’il n’aime pas vraiment, qui fait trop « musique d’Eglise », mais qui ici le frappe par sa vitalité, sa puissance, et toutes ces notes qui tourbillonnent, les sons qui s’enchevêtrent : tout cela en est presque vertigineux. Vient le moment de la prédication. Le pasteur parle d’une femme (une dénommée Rachel ?) qui donne naissance à son fils et qui va mourir et qui refuse d’être consolée, qui ne veut pas qu’on lui dise que sa peine n’est pas grave et doit être effacée. Le pasteur parle de la souffrance, du mal, il est très en colère contre l’idée d’un Dieu qui nous sacrifie, qui nous demande de nous sacrifier. Il critique aussi beaucoup les Eglises dans leur discours moralisateurs qui font de l’homme un moins que rien. Le pasteur parle aussi beaucoup de la beauté dont les hommes et les femmes sont capables, de la confiance qui leur permet de dire oui à la vie et de dire non à ce qui nous empêche de bien vivre. Tout se mélange un peu. Notre homme est vraiment surpris par cet homme qui parle, par sa liberté surtout, lui qui n’a pas peur de dire ce qu’il pense. Il est aussi surpris par lui-même, surpris de s’être laissé intéresser et surprendre…

En y repensant après coup, il ressent qu’il a été touché par le fait que le prédicateur soit vraiment habité par une présence qui passe à travers sa parole, une présence qui semble être communiquée à l’assemblée, à voir l’attention, la concentration de celle-ci. Il est touché aussi par le sentiment de gentillesse, de bienveillance, une certaine bonté qui se dégage de l’ambiance particulière de ce culte.

Notre homme est transformé par cette prédication. Il retourne à l’Église, et commence à s’intéresser à ces textes de la Bible. Il trouve qu’ils racontent des histoires qui lui semblent très crues, sans fioriture, sans aucune censure. Il est frappé par le souffle de liberté et de créativité qui anime ces histoires et ces personnages bibliques. Il participe aussi plus régulièrement au culte. De dimanche en dimanche, au fil de ses lectures, de discussion en discussion, il est stimulé par des convictions, des paroles, des idées qui finissent par le faire réfléchir à sa propre vie, à ses relations aux autres, à son passé, à des gens qu’il ne voit plus, à son avenir aussi. Parce qu’il y prête attention, son existence lui semble plus consistante qu’avant, moins banale et indifférente. Sa vie lui paraît même pouvoir être plus épanouie, plus harmonieuse ; et peut-être est-elle déjà moins mécanique, moins superficielle.

À travers ses recherches, les événements de sa propre histoire, de son histoire passée, prennent un autre relief. Certains événements, certaines paroles aussi, ressurgissent, sortent de l’oubli. Inversement, certains événements auxquels il pensait assez souvent lui semblent moins importants, se trouvent presque relativisés par les découvertes qu’il fait et notamment à travers la lecture de la Bible. Toutes ces histoires bibliques, souvent incroyables, lui ouvrent des horizons. Il découvre notamment des manières nouvelles de vivre, de penser la vie, de se comporter vis-à-vis des autres, de penser Dieu aussi. Il pense de plus en plus à ces personnages bibliques qui deviennent presque des compagnons de route, il se demande ce qu’un tel aurait fait à sa place dans telle ou telle circonstance. Cela lui ouvre parfois de nouvelles perspectives et le rend plus audacieux, plus courageux, presque plus téméraire.

De ce compagnonnage, son existence se trouve transformée. Il se sent comme habité par une réalité, une présence qui l’anime, le stimule, le pousse vers l’avenir et lui demande de faire des choix avec peut-être plus de rigueur, d’attention qu’avant. Sa vie est devenue plus intense. Il se sent plus existant. Il se sent plus vrai, plus abouti dans sa vie, plus solidaire aussi. Il reconnaissait auparavant toute la valeur de ceux qui s’engagent, se battent, luttent, militent, ils les admiraient sans pour autant se sentir réellement impliqué. Et par où commencer ? où s’engager concrètement ? L’infini des problèmes et l’infini des actions possibles contribuaient à rendre tout engagement impossible. Le fait désormais de se sentir appartenir à une communauté et de pouvoir y apporter quelque chose de lui-même, lui donne le sentiment d’appartenir à un monde plus palpable, plus concret. Il n’est plus devant un choix illimité de possibilités d’actions, mais bien devant celles d’une communauté particulière.

Il se sent plus existant et il sent aussi que Dieu existe. Dieu n’est plus seulement une idée, un concept, un principe, mais bien une présence, une réalité vivante qui donne une acuité plus forte à sa propre vie. À travers sa recherche, son intérêt pour la Bible, à travers sa foi, Dieu existe. Il s’est transformé, pour lui. Il n’évoque plus les mêmes choses. Notre homme sent que ce Dieu vivant, chemine avec lui, qu’il l’accompagne dans sa vie, et il sent surtout que lorsqu’il participe au culte, lorsqu’il lit la Bible, lorsqu’il médite sur sa vie et le monde, Dieu le stimule et l’habite autrement. Comme si Dieu le suivait dans sa vie, en s’adaptant à lui, en se laissant émouvoir, stimulé, en étant transformé par lui. Ce Dieu qui l’anime et le stimule, qui l’ouvre à l’avenir, devient un acteur de sa vie, et semble lui-même vibrer à travers son existence et avoir aussi un autre avenir. Un avenir qui n’est tracé pour aucun des deux, une aventure ouverte, stimulante parce que non entièrement déterminée par ce qui est.

Ce qui motive le plus notre homme est de se dire que si Dieu compte tant pour lui, c’est qu’il se sent existant pour Dieu, c’est de savoir que lui-même compte pour Dieu. Et que s’il compte pour Dieu, tout ce qui lui arrive, les bonheurs qui le traversent et qui ne restent pas, ce qu’il rate aussi et qu’il aurait tant aimé pouvoir recommencer, tout cela passe par Dieu aussi, se trouve en lui. Comme si tous les éléments fugaces, passagers et éphémères de sa vie, se trouvaient inscrits dans une dimension autre, hors du temps, presque éternelle, immortelle.

Et il ressent l’importance que revêt sa relation à Dieu, pour sa propre vie, dans ses relations aux autres, pour sa communauté, pour le monde. Car il tire de cette relation une énergie nouvelle, un désir de créativité, de bienveillance, de poser des actions qui rendent le monde meilleur, plus satisfaisant, plus beau. Il se dit que sans ces actes qui humanisent l’humanité et la vie, qui se préoccupent aussi du monde, de la nature, des animaux, des plantes, Dieu pourrait être mis en échec. Comme il l’a été par exemple le jour où Jésus a été rejeté, crucifié, par des gens qui ne voulaient pas de sa prédication. Il sent finalement, au plus profond de lui-même que Dieu l’a recréé et le recrée sans cesse et il sent aussi, sans trop oser se le dire d’ailleurs, car cela lui semble bien prétentieux, que sa foi en Dieu contribue aussi à créer Dieu, à faire que Dieu soit réellement un Dieu pour lui. Dieu et lui, Dieu et l’homme, indissociables et pourtant si différents.

Raphaël Picon

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