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Réalité de Dieu, besoin de l’ homme

Pasteur Serge Soulié

Au cours des deux derniers siècles, Dieu a été profondément remis en question. Certes le concept même de Dieu est toujours resté une énigme mais depuis la conversion de l’empereur Constantin, la puissance de l’Eglise semblait le protéger à tout jamais. Dieu semblait indélogeable de son ciel. Cette période allant du quatrième au dix huitième siècle contraste fortement avec les périodes précédentes. Bien avant l’ère chrétienne, les philosophes grecs se penchent sur la question de son identité. Quant au christianisme naissant , on sait combien il a été secoué par toutes sortes d’hérésies. La nature même de Jésus amenait à redéfinir celle de Dieu. Un homme pouvait-il aussi être Dieu ? Un Dieu pouvait-il s’incarner dans un homme ? Certains voient dans ces interrogations polémiques et souvent houleuses la cause de l’avènement, au septième siècle, de l’islam dont le but premier est d’affirmer un Dieu unique qui ne peut être remis en question, un Dieu miséricordieux et intransigeant à la fois. L’islam verrouille définitivement le contenu du concept même de Dieu.

Les découvertes scientifiques, quelques soient les domaines explorés ont permis d’expliquer de nombreux phénomènes là où l’on ne voyait que l’intervention possible de Dieu. La météo explique la formation de l’orage, le bruit du tonnerre et la présence des éclairs. Les maladies ne sont pas dues à de mauvais esprits mais à des microbes et des virus. Dieu ne peut plus être la cause de ce qui reste inexpliqué. Il ne joue plus le rôle de bouche trou que lui faisaient jouer ceux qui justifiaient son existence à partir de l’inconnu. Tout inexpliqué donne cours à une ouverture de chantier qui ne peut se terminer tant que les causes ne sont pas élucidées.

L’ analyse historico critique des textes de la bible ou de tout autres textes dits sacrés fait apparaitre que ces textes ont bien été écrits par des hommes. Seuls des intégristes fondamentalistes peuvent encore croire que ces textes ont été dictés par Dieu, directement ou par un intermédiaire. Quant à l’inspiration, attribuée par les théologiens aux auteurs des textes de la Bible, (1) elle apparait plus raisonnablement comme un effet de leur l’intelligence, de leur intuition et de leur capacité sans qu’un être extérieur intervienne. Ce dernier rempart s’effondre parce qu’il retire à l’homme des possibilités pour les attribuer sans preuve à un Dieu. Il rabaisse l’homme pensant élever Dieu. Celui-ci s’en trouve tout autant rabaissé tellement « Il est tout autre » et ne peut supporter aucune comparaison avec l’homme.

Il apparait donc tout à fait légitime de renoncer à un Dieu qui serait un être concentrant tous les pouvoirs de la terre et la cause de toute chose. Une sorte de surhomme intervenant dans la vie des gens et du monde. Auteur des bonnes choses comme des plus mauvaises. Un être qu’il faudrait prier pour obtenir ses grâces. Un juge qui déciderait de ce qui est bien et de ce qui est mal , qui punirait ou gratifierait selon le cas. De nos jours, dans le monde occidental en tout cas, une grande majorité d’ humains adhérent souvent sans le dire, à une telle conception de Dieu qui rejette un être extérieur, intervenant de manière arbitraire ou selon les mérites dans les affaires du monde comme dans les affaires personnelles. Une telle attitude nous parait non seulement raisonnable mais encore porteuse d’avenir parce qu’elle oblige à repenser Dieu. Les religions qui iront dans ce sens permettront de se renouveler, de corriger des croyances qui ont conduit à la violence et à l’exclusion au cours de l’histoire. Ce n’est pas terminé. On tue encore au nom de Dieu quelque soit le nom qui lui soit donné. Notons au passage que ceux qui disent NON à Dieu ouvertement comme ceux qui s’en cachent, le font parce qu’ils n’ont pas eu l’occasion, de par la crispation des religions, de découvrir un Dieu qui ne puisse être saisi autrement que par des termes anthropologiques. Contrairement à ce qui est habituellement dit, il n’est pas vrai que l’on ne puisse s’approcher d’une compréhension de Dieu qu’en se référant à des attributs concernant l’être humain. Les termes de lieux, d’espace, d’atmosphère, de force, de matrice, d’amour ou plus justement encore d’ Esprit nous semblent bien mieux convenir. Les termes de père ou de créateur ne sont pas à exclure à condition de les dépouiller des oripeaux dont on les a revêtus pour, encore une fois, qu’ ils puissent désigner des possibilités humaines.

Toutefois, nous ne devons pas hésiter – là est la pointe de mon propos- à ouvrir le deuxième volet de cette réflexion sur Dieu vu à partir des connaissances actuelles. Ce volet est celui du besoin qui est en chaque humain et qui se manifeste à travers des questions telles que pourquoi venons-nous sur terre ? Où étions-nous avant la naissance ? Pourquoi le mal ? qu’est-ce qu’il y a après la mort ? Le besoin a pour origine l’angoisse. Celle-ci est de deux ordres. Il y a l’angoisse dite pathologique. Elle ne touche qu’une petite partie de la population. Elle se manifeste par une série de symptômes tels les obsessions, les paralysies et autres dérèglements physiques. Il s’agit chaque fois de conflits intrapsychiques. Psychologues et thérapeutes sont chargés de traiter ces symptômes. L’angoisse dite existentielle traduit un mal être et pose la question du sens de la vie. Elle est inhérente à la nature humaine. Lorsqu’elle devient embarrassante il est possible de consulter un psychanalyste, de se rapprocher d’une religion ou de toute autre forme de pensée proposant un changement de vie. On a l’habitude de dire qu’elle se manifeste plus massivement en fin de vie. Ceci expliquerait que les personnes âgées fréquentent plus massivement les cultes des différentes religions. Récemment un conférencier turc nous expliquait qu’en Turquie, les nouvelles mosquées construites par le pouvoir en place à des fins politiques, étaient fréquentées par les personnes âgées, les jeunes restant attachés à la laïcité. Selon lui , il fallait y voir la peur de mourir et en aucun cas une adhésion politique.

Notons que la frontière entre ces deux types d’angoisses n’est pas toujours très nette dans la mesure où l’angoisse pathologique ne peut se développer que sur le terrain de l’angoisse existentielle puisque celle-ci touche toute l’ humanité. Faire la part des choses est tout l’art du thérapeute et de toute personne à l’écoute de ceux qui souhaitent retrouver la liberté à l’égard de ce qui les étreint. Dans la dépendance à l’alcool par exemple, trop de patients sont lourdement traités pour « des pathologies associées » avec antidépresseurs, anxiolytiques et autres barbituriques alors que le mal être, accentué par les affres de la vie, les a amenés à s’alcooliser. De manière plus générale, dans une société ou le mal être va en grandissant il y a un abus de l’utilisation de la psychiatrie et de la psychologie mises au service de l’angoisse existentielle. Or, celle-ci ne demande pas de médicaments, elle pose la question de la finitude humaine. Que se passe t-il après la mort ? Où allons-nous ? Pourquoi être venu sur terre ? Le besoin d’une divinité susceptible de répondre à ces questions apparait. C’est ainsi que les questions sur Dieu qui avaient été éliminées soit en s’enfermant dans des rites et des croyances soit en s’éloignant de toute religion resurgissent. Elles se manifestent par un retour quasi intégriste au religieux ou à l’inverse par un raidissement voire une grande rancœur à l’ égard de Dieu. Dans tous les cas, on assiste à un mécanisme de défense visant à contenir l’angoisse. Il serait dangereux de venir briser ce mécanisme en rejetant toutes les représentations de Dieu connues jusque là sous prétexte de donner une « image » plus exacte du divin. En vidant Dieu du contenu par lequel il est exprimé à savoir les rites, les dogmes, et les croyances diverses, on risque aussi de vider l’humain de tout ce qui l’étaye et lui permet de traverser la vie terrestre.

Il s’agira alors de chercher l’équilibre entre une représentation de Dieu plus juste et correspondant au monde moderne et le besoin humain qui est toujours de l’ordre de la sécurité, de la tendresse et de la paix. Nous dirons, d’une manière plus générale, de l’ ordre de l’ amour. Il y a des représentations de Dieu qui aliènent l’homme et le rendent prisonnier d’attitudes et de croyances. La Réforme l’ avait compris en son temps en donnant par exemple un grand coup de balai aux représentations de ce qui se passe après la mort. Mieux encore en proclamant la « grâce seule », elle a libéré l’homme de toute servilité à l’ égard de Dieu. Ce n’est plus à coups de prières, de pèlerinages et de confessions que l’on gagne le ciel. Il nous est donné par avance. La Réforme ne peut que continuer. Elle n’ a pas tout accompli. Elle n’en avait pas les moyens. Chaque chose en son temps.

Aujourd’hui, il serait imbécile de penser que l’humain n’a pas besoin de sécurité et de tendresse. Ce serait une erreur de croire que Dieu nous bouscule pour que nous prenions nos responsabilités. Celui qui nous interpelle, c’est Jésus. Il nous secoue et veut nous rendre responsable. Il nous enjoint de nous engager pour les autres au nom de l’amour que nous recevons de Dieu et dans lequel nous baignons en permanence, y compris lorsque le sol se dérobe sous nos pieds. Dieu est amour signifie que Dieu n’est pas un combattant, un chef, un dirigeant, un interventionniste. Ce rôle est celui de Jésus. Parce qu’il est homme, ce rôle est à notre portée. Il appartient aux humains de diriger ce monde, de secourir le prochain. Ils le feront d’autant mieux qu’ils seront sûrs de l’ amour de Dieu quelles que soient les circonstances. L’amour apaise. Il libère. Il permet de s’emparer de toute la force et de toute l’intelligence qui nous sont naturellement données puis entretenues par la culture. L’amour de Dieu ne nous est pas donné par l’intention et par la volonté d’un Dieu souverain qui pourrait le retirer selon son bon vouloir. Il nous est donné par la nature même de Dieu. Il ne peut pas être repris. Jésus qui a souffert le martyr en est la preuve. C’est toute la signification de la résurrection. En proclamant celle-ci, les disciples ont voulu nous dire que Dieu est toujours amour. L’amour de Dieu ne s’est pas manifesté en ce que Jésus est mort à notre place par la volonté du père qui aurait sacrifié son fils. Un père infanticide par l’intermédiaire de l’homme. Quelle dette aurions-nous si Jésus était mort à notre place. ou si nous l’avions tué ? Quelle culpabilité ! Pourrions nous dormir tranquille ? L’amour s’est manifesté par le fait que Jésus a mis en accord sa vie et son message. Il a refusé la violence. Il nous montre que l’ amour qu’il a vécu jusqu’au bout est disponible pour chacun de nous.  L’Amour c’est Dieu. Il ne l’a pas quitté. Le Dieu qui l’a abandonné, n’est pas celui de l’Amour. C’est celui qu’il s’est représenté à un moment difficile et douloureux de sa passion. Il s’écrie : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’ as-tu abandonné ? ». Ce cri c’est celui que nous aurions poussé. C’est le Dieu que nous nous représentons spontanément.

Ne cherchons pas seulement à purifier Dieu à tout prix. Cherchons à rassurer l’homme en lui signalant l’amour de Dieu sans condition. En saisissant l’amour de Dieu, l’homme sera de lui même amené à rejeter les fausses représentations de Dieu. Celles qui en font un Dieu dont la nature n’ est pas l’amour. Mais cessons aussi, pour présenter Dieu d’utiliser les termes qui conviennent aux humains. Les mots entrainent nos pensées et nos croyances. Ils forgent la divinité dont nous voulons parler. Or cette divinité ne peut être faite ni de main d’homme ni de mots concernant l’homme. S’il est souhaitable de se passer d’une telle divinité, il n’est pas certain que l’homme puisse se passer de Dieu. Quel Dieu ?

(1) voir par exemple l’introduction à la Bible de Robert et Feuillet tome II

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À propos Gilles

a été pasteur à Amsterdam et en Région parisienne. Il s’est toujours intéressé à la présence de l’Évangile aux marges de l’Église. Il anime depuis 17 ans le site Internet Protestants dans la ville.

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