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Création, évolution et rédemption

 

Le croyant, s’il ne veut pas être schizophrène, doit élaborer une synthèse, autrement dit une théologie, entre ce qu’il reconnaît scientifiquement et ce qu’il croit. Y a-t-il contradiction entre une théorie scientifique de l’évolution, du type « évolution des espèces » chez Darwin, et la foi en un Dieu créateur, responsable de son projet ? Jacques Monod, prix Nobel pour ses travaux en génétique, est l’auteur d’un livre au titre évocateur Le Hasard et la Nécessité, paru en 1970. Il utilise le mot téléonomie qui vient du grec telos, fin, et nomos, loi. « Il ne faut pas dire que nous avons un œil pour voir. Nous avons un œil et nous voyons », disent certains. Autrement dit, il n’y a pas de finalité, pas de projet, pas de plan directeur. Si l’œil permet de voir, c’est par hasard.

 Le hasarD avec un grand « D » ?

Darwin, comme J. Monod, expliquent que cet œil n’est autre que le fruit progressif d’une longue série de mutations génétiques. Croyant, je l’accepte aussi car je suis un scientifique devenu théologien par la suite. Oui, ces mutations se sont produites par hasard. Ce hasard, observe J. Monod, est orienté par une loi de téléonomie : toute mutation qui n’apporte pas une amélioration n’a pas de chance d’être retenue. Une sorte de « loi de la vie » fait en sorte que ne se maintiennent que les mutations avantageuses, par sélection. Les mutations létales sont éliminées et les animaux moins rapides, ou moins bien protégés, disparaissent au profit de ceux qui sont plus performants. Il y a comme une crémaillère qui empêche d’aller vers le bas, qui oblige le petit train de la vie à monter.

Cette théorie est simple. Tant que nous n’avons pas mieux scientifiquement, nous l’adoptons.

Quelle synthèse proposer ? Mis en cause parce qu’il existe des fossiles de plusieurs dizaines de milliers d’années, alors qu’il affirmait que le monde n’est, selon la Bible, vieux que de 5 779 années, un rabbin a eu cette réplique, astucieuse mais biaisée : « Dieu a pu créer le monde vieux ». Cela n’est pas cohérent. Dépassons les apparentes oppositions.

 Une évolution suppose un sens

L’évolution indique une direction, un sens donc, vers quoi ? Pierre Teilhard de Chardin (1881-1955), scientifique, mystique et poète, n’a cessé d’y réfléchir dans la foi. Oui, il y a un sens dans l’« uni-vers », une convergence, une unification. Il parle de « cosmogénèse », de « noogénèse », de « christogénèse », divers mots pour désigner ce qu’on appelle aujourd’hui le « monde numérique », la « mondialisation », la « globalisation » ou bien l’« évangélisation ». Il y a un enroulement de la vie sur elle-même qui conduit à la conscience et à la conscience collective. Cela commence avec l’évolution même de la matière et la formation d’atomes de plus en plus lourds. Les électrons tournent autour du noyau, c’est un début d’organisation. Cette attraction mutuelle est comme le commencement d’une affection, dans le microcosme (l’atome) comme dans le macrocosme (la gravitation des astres). Cela continue avec l’organisation des atomes en cellules vivantes, solidaires et progressivement capables de reproduire le système chimique complexe de leur organisation. Le seuil suivant vient avec un ensemble de cellules qui forment un organisme.

Atomes, cellules, organismes… L’enroulement-complexification rebondit avec la conscience. Conjointement à la conscience, apparaissent les sociétés humaines grâce au langage, à l’écriture, aux différents médias de communication. Il n’est plus alors question de race supérieure : c’est l’humanité comme un tout qui porte l’évolution. Il ne s’agit plus d’un organisme qui évolue mais d’un corps social qui se développe. L’évolution passe par le travail des laboratoires, les échanges économiques, culturels. La Covid, en ce moment, manifeste la nécessité de la recherche au niveau global de l’humanité. Celle-ci prend conscience d’elle-même. Elle pense le monde comme un tout. Elle s’interroge sur son origine, et sur les conditions de sa survie.

En résumé, l’univers progresse vers plus de complexité, plus d’organisation et finalement vers plus de conscience, en s’unifiant. Le processus évolution-complexité-conscience-unification s’accélère. Quinze milliards d’années se sont écoulés depuis le big-bang et l’apparition des étoiles, trois milliards d’années depuis l’apparition de la vie, trois millions d’années depuis la conscience, cinquante ans depuis la perception de la globalisation.

 Le pourquoi du comment

Après le comment, vient la question du pourquoi ? D’où vient cette « téléonomie », cette loi, cette logique, qui « conduit » la vie ? Que signifie ce mouvement de complexité-unification, de conscientisation, à un niveau de plus en plus large et global ? Que signifie cette nécessité éthique, de plus en plus aiguë, de respect, de reconnaissance de l’altérité, au cœur même d’une socialisation de plus en plus intense dans un processus irréversible d’unification ?

Teilhard, après avoir contemplé le spectacle saisissant de l’évolution de la vie, en vient à poser la question du sens, de la direction de cette évolution. Qu’est-ce que cette téléonomie ? Qu’est-ce qui guide la vie, la conscience ? Qui ? Peut-on revisiter la vieille notion de révélation ? Un peu de science conduit au dogmatisme, un peu plus de science conduit à se poser des questions, encore un peu plus de science conduit à la prière. Pourquoi faudrait-il opposer ce que Dieu a uni : l’évolution d’un côté et sa présence de l’autre ? L’immanence et la transcendance ? Le monde serait-il ou bien une fabrication, ou bien une autoproduction ? Ne peut-on pas comprendre la création comme une relation ? Comme un accompagnement ? Comme une éducation ? Comme une alliance ? Pourquoi un monde qui évolue par lui-même, serait-il sans Dieu ? La liberté n’est-elle pas une conquête ? Celle des enfants, devenant adultes, ne fait-elle pas la joie des parents ?

Le monde s’est-il jamais perçu si proche de l’apocalypse ou de l’accomplissement : Babylone la grande et sa destruction, ou Jérusalem qui descend du ciel, d’auprès de Dieu, belle comme une épouse, parée pour son époux (Apocalypse 21) ?

À quel prix ?

Comme l’écrit Teilhard, l’évolution est un chemin de croix. L’histoire humaine, qui prend le relais de l’évolution cosmique, puis biologique, est une errance tragique, depuis le premier meurtre du frère, jusqu’aux génocides et aux écocides contemporains. Faut-il que toutes les impasses soient visitées, pour que la « téléonomie » conduise aux seuls chemins viables ? Faut-il avoir expérimenté toutes les abominations pour pouvoir dire « plus jamais cela » ? Faut-il avoir tout raté, tout détruit, tout perdu pour que tout soit sauvé ? Faut-il subir le hasard d’une marche à l’aveugle ou bien ouvrir les yeux, réfléchir et anticiper ?

Le monde de Teilhard n’était pas encore menacé par la pollution. Il n’a pas eu à penser le recyclage des déchets, ni perçu l’analogie que l’on peut faire avec le pardon. L’évolution du monde passe aujourd’hui par le recyclage, et celle de l’histoire humaine par la rédemption. Si le Dieu créateur ne nous préserve pas des échecs, des crimes, des catastrophes, des destructions, s’il ne nous préserve pas de la tentation ni d’y succomber, alors il doit nous sauver. Il doit assumer ses responsabilités, et conduire son grand projet jusqu’à sa fin, à son plein accomplissement et, comme le dit saint Paul, pas seulement la fin comme aboutissement pour les tout derniers vivants, mais la fin comme « récapitulation » de toutes les générations (Éphésiens 1,10). Il doit tout recycler, tout re-créer, nous ressusciter.

Avec la Covid nous ouvrons les yeux sur l’humilité des scientifiques : ils ne savent pas tout d’un petit virus. Ils ne savent pas non plus tout de l’évolution. Elle va bien au-delà de ce qu’ils voient car la fin apparente, la mort est un passage, « nous savons que, jusqu’à ce jour, la création tout entière soupire et souffre les douleurs de l’enfantement » (Romains 8,22).

 

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À propos Michel Van Aerde

est Dominicain, ingénieur agronome, docteur en théologie, recteur de Domuni-Universitas. site internet : www.domuni.eu

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