L’avis du Comité consultatif national d’éthique sur les demandes sociétales de recours à l’AMP (15 juin 2017)
Marianne Carbonnier-Burkard (membre du CCNE de 2013 à 2017, au titre de la « famille spirituelle » protestante)
Le « Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé » (CCNE) doit sa naissance à celle du premier « bébé éprouvette » en France, en 1982. C’est pour répondre aux interrogations éthiques suscitées par les avancées de l’Assistance médicale à la procréation (AMP) que le Président François Mitterrand a créé en 1983 cet organe de réflexion ad hoc, composé de quarante membres, garants d’une large diversité de points de vue: un président nommé par le Président de la République, cinq personnalités aussi désignées par le Président de la République et « appartenant aux principales familles philosophiques et spirituelles », dix-neuf « personnalités qualifiées désignées par différentes instances politiques en raison de leur compétence et de leur intérêt pour les problèmes d’éthique », quinze personnalités appartenant au secteur de la recherche médicale et biologique. Les mandats sont de quatre ans, renouvelables une fois. Le comité est renouvelé par moitié tous les deux ans.
Comme son nom l’indique, le Comité consultatif national d’éthique n’a qu’un rôle consultatif. Il a mission d’émettre des avis, le cas échéant de formuler des recommandations, toujours d’éclairer les enjeux et d’informer. Depuis trente ans, le CCNE a rendu 127 avis ou recommandations, élaborés à la suite d’un long travail de réflexion commune et de recherche de consensus. Certains avis ont été pris en compte par le législateur, mais beaucoup n’ont pas débouché sur une loi.
Fin 2013, le CCNE s’est auto saisi d’une question qui s’est imposée dans le débat public depuis la loi d’avril 2013 sur le mariage des couples de même sexe : celle de l’ouverture de l’assistance médicale à la procréation (AMP) aux couples de même sexe. En effet, le cadre actuel de l’AMP, défini par la loi de 2011, est celui de couples formés d’un homme et d’une femme vivant ensemble, en âge de procréer, pour remédier à une infertilité à caractère pathologique médicalement diagnostiquée ou pour éviter la transmission d’une maladie grave.
Le groupe de travail en charge du sujet était composé de 15 à 20 (selon les années) personnes de métiers et de sensibilités très différents. Ayant fait partie de ce groupe, je peux témoigner de l’intensité du travail mené pendant près de quatre ans – auditions, lectures, discussions, écriture et réécritures. Le groupe a pu se rassembler sur une méthode d’analyse, mais la méthode n’est pas venue à bout des divisions ou des hésitations au sujet de l’AMP dite « sociétale », pour les couples de femmes et les femmes seules. Sur un tel sujet, les données médicales, techniques, juridiques, psychologiques, se mêlent de passion, au nom de valeurs d’ailleurs consensuelles jusqu’à un certain point : la liberté, l’égalité, le soin des plus faibles (j’avoue que je n’ai pas cru devoir ajouter de la théologie ni de la bible dans la bataille). Pour faire droit à tous les arguments et contre-arguments, le texte est devenu pléthorique et a dû intégrer des « points de butée », résistant à toute solution binaire.
Après toutes ces années de discussions, la majorité du CCNE a souhaité aboutir à un texte qui tranche, quitte à renoncer au consensus. L’avis voté par le CCNE le 15 juin 2017 fait en finale le pari de l’ouverture, l’extension de l’AMP pour toutes les femmes en âge de procréer. Une ouverture assortie de conditions préalables : qu’elle soit compatible avec le système de santé français, fondé sur le principe de la solidarité nationale (question de la prise en charge), et avec les lois de bioéthique, qui en 1994 ont posé le principe de la gratuité et de l’anonymat des dons de gamètes (question de la disponibilité des gamètes, et du marché).
Préciser ces conditions implique de vérifier de tels choix de société. C’est pourquoi l’avis renvoie au chantier de la révision des lois de bioéthique que le CCNE a mission d’organiser en 2018, pour donner aux citoyens l’occasion de s’exprimer. La position majoritaire adoptée en juin 2017 est en quelque sorte celle d’une ouverture à l’ouverture. Pour une fois, je me suis retrouvée dans la majorité.
A côté de cet avis majoritaire, une « position divergente », minoritaire, a été formulée, recommandant le statu quo par prudence, en premier lieu au nom de l’intérêt de l’enfant.
Avec ce rapport-avis complexe, l’objectif du CCNE a été de « nourrir les réflexions de la société » et de donner du grain à moudre au législateur.
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